Enfin un José Ramón Larraz édité en Blu-ray en France. Pas le meilleur, loin de là, mais le geste est là, et qui sait, peut-être que cette sortie inespérée donnera des idées à d’autres éditeurs curieux ou incitera Artus à lancer une collection regroupant des titres plus excitants comme Vampyres ou Symptoms. Mais qui est donc ce drôle de zèbre ? La trajectoire singulière de Larraz, aux confins de plusieurs arts, mérite une petite réflexion. Les exégètes de la BD qui lui ont consacré des articles ne mentionnent même pas sa participation – pourtant très active – dans le domaine du septième art. À l’opposé, les fans de bis qui se sont penchés sur ses films survolent sa carrière dans la bande dessinée. Les publics ne se croisent pas, l’interaction ne se fait pas, comme s’il existait deux Larraz, voire davantage, ce que ses nombreux pseudonymes ne font que renforcer. Cette remarque n’est pas un jugement de valeur mais souligne l’insaisissable évolution artistique d’un dessinateur – considéré comme moyen – et scénariste à l’imagination débordante. De passer des aventures exotiques dans Spirou à des films de genre sulfureux, il y a un pas de géant que seul un iconoclaste peut franchir.

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De Spirou à Mickey en passant par Pilote, au gré des exploits de ses personnages héroïques, Paul Foran ou Charles Vanel, il s’est imposé comme une valeur sûre de la bande dessinée, lorgnant du côté des comics et des Krimi pour ses récits délirants. Son passage à la mise en scène avec un drame érotique déviant a de quoi surprendre, encore fallait-il savoir qui se cachait derrière J. R. Larrath quand il signait dans les hebdos sous le patronyme de Gil ou de Dan Daubenay. Ce casse-tête explique sans doute pourquoi le cinéaste n’a jamais eu la reconnaissance méritée. Pourtant, L’Enfer de l’érotisme, produit par les Anglais, demeure un excellent film, d’une richesse et d’une folie qui l’élèvent largement au-dessus de ceux de la plupart de ses confrères espagnols. Son parcours inégal recèle des merveilles à redécouvrir tournées en Angleterre ou en Espagne. Sans entrer dans le détail, outre les titres cités ci-dessus, Cris et mœurs, Déviation ou encore le sublime Emma constituent des portes d’entrée dans l’univers fascinant de Larraz.
Production anachronique du début des années 80, Les Rites sexuels du Diable s’inscrit dans le sillage de l’âge d’or du cinéma fantastique espagnol couvrant la période 1968-1975. À quelques détails près, le film ne semble pas de son époque, articulant avec plus ou moins de réussite érotisme et surnaturel, renouant ainsi avec les thrillers anglais du cinéaste du début des années 70. L’histoire s’inspire ouvertement de Rosemary’s Baby. Une jeune femme fait l’amour à un homme mûr. Ce dernier – dont on apprendra qu’il est le propriétaire des lieux – décède en plein coït, gentiment aidé par une intervention extérieure : une poupée transpercée par des aiguilles. Une première bizarrerie saute aux yeux. Ce trope d’inspiration vaudou apparaît comme un acte isolé au sein d’un film attaché aux rites occultes occidentaux. Suite à ce prologue intriguant, on fait la connaissance de Robert et Carol, celle-ci étant la nièce du défunt. Ils débarquent chez la veuve, Fiona, dans une grande demeure isolée, située en pleine campagne, aux alentours de Londres. Rapidement, face au comportement bizarre de Fiona, qui se trouve être la cruelle gourou d’une secte satanique régnant sur la contrée, Carol commence à avoir des doutes sur la mort « naturelle » de son oncle. Prise dans un étau exsangue, elle ne peut pas vraiment compter sur son mari dont l’attitude s’avère de moins en moins fiable, rappelant fortement le personnage incarné par John Cassavetes dans le classique de Roman Polanski. Le climat paranoïaque est plutôt bien tenu même s’il est régulièrement parasité par une surenchère de scènes sexuelles qui nuisent à la pertinence du récit.

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La tension – et l’attention – se relâchent dès que Larraz filme des ébats érotiques poussifs. Le satanisme fait office de prétexte pour dénuder tout ce beau linge, à commencer par les deux actrices principales, Vanessa Hidalgo et Helga Liné, deux habituées incontournables du cinéma populaire européen. Les séquences saphiques et incestueuses pimentent légèrement un programme déjà vu. L’érotisme n’a rien d’excitant ni de sensuel, se figeant dans une vulgarité distanciée (froide, désincarnée) (comme si le cinéaste était en désaccord avec ce qu’il filme). Cette approche ambivalente retient néanmoins l’attention ; Larraz se rince l’œil sous notre regard complice, mais le sexe est assimilé, dans l’équation, au danger, à la perdition, à la tentation perfide de s’acoquiner avec le malin. Sans surprise, le film se clôt par une orgie, soigneusement chorégraphiée et éclairée avec les fameuses bougies noires. Par intermittence, le puritanisme libertaire, oxymore qui sied bien à Larraz, n’est pas sans rappeler le cinéma de Pete Walker, autre déviant pour qui la chair est aussi triste que nécessaire. Quand il assume la dimension provocatrice de son long métrage, il devient audacieux, brisant la mécanique un prévisible du récit : un personnage masturbe le plus naturellement du monde un bélier comme s’il tirait le lait d’une chèvre. Le malaise s’avère réel, profond, car ancré à ce moment dans une réalité tangible, dans une forme de naturalisme glauque qui n’appartient qu’à son auteur. La fameuse scène d’empalement par l’anus avec une épée d’un pauvre paysan, puni d’avoir voulu aider l’héroïne, demeure toujours un grand moment de cinéma déviant.

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Rien que pour ces audaces jubilatoires, le film mérite d’être vu, d’autant que Larraz, dissimulé sous le nom d’emprunt de Joseph Braunstein, est un metteur en scène doté de solides compétences techniques. L’ambiance délétère, où se mêlent voyeurisme et fétichisme, est soutenue par une réalisation soignée. La très belle photographie tout en clair-obscur et la précision des cadres font de cette petite série B à l’ancienne un sympathique divertissement pour adultes filmé en quasi huis clos. À ce titre, comme dans la plupart de ses films, le cinéaste espagnol confirme sa parfaite maîtrise des espaces confinés, de ces lieux perdus au milieu de nulle part, devenant le petit théâtre glauque de toutes les perversions et vices.
(1982/ Espagne) de José Ramón Larraz avec Helga Linné, Vanessa Hidalgo, Jeffrey Healey, Alfred Luchetti
Le combo Blu-Ray/DVD édité par Artus est accompagné d’une discussion entre Emmanuel Le Gagne et Sébastien Gayraud qui reviennent sur la carrière du réalisateur et sur le film.
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