La DVDgraphie d’Hong Sang-soo se complète petit à petit en France avec cet incontournable double DVD annoncé pour le mercredi 27 novembre, regroupant ses deux productions de l’année 2010. Si Ha Ha Ha demeure finalement un peu mineur, Oki’s Movie n’est « petit » que par son format, s’avérant sans doute le film qui a permis au réalisateur de trouver définitivement la forme où il se sent le plus à l’aise
Ha Ha Ha
D’un espèce de film somme avec Les femmes de mes amis, son précédent, on passe assez brusquement avec Ha Ha Ha à une expérimentation sur une idée de base qui peut paraître très ténue. Le défi est ainsi de montrer à l’écran une conversation entre deux hommes qui ne sera jamais filmée, uniquement vue au travers des expériences qu’ils se racontent qui ont pour cadre le même lieu, et des personnages identiques… On peut s’amuser à avoir une double lecture de ce qu’il se passe à l’écran :
– Soit au premier degrés le spectateur est un témoin privilégié qui sait qu’ils évoquent de mêmes personnages, au détriment des deux compères saoulards. Ce qui ici tendrait par moment à un zest de cynisme dans le décalage entre nous et eux, reproche parfois fait injustement au réalisateur, mais qui ici est vraiment à la frontière de se manifester dans certaine scènes…
– Soit à travers une vision plus abstraite des personnages, il y a une tentative de compte-rendu à l’écran de l’ expérience même de la conversation et de la communication, qui tend parfois à vouloir mimer un peu involontairement ce que l’autre raconte, pour chercher une meilleure implication et un partage plus intense… Et quand le tout est noyé dans l’alcool…
Si Ha Ha Ha a des moments de toute beauté il laisse parfois un goût de frustration de par les mécanismes plus attendus auxquels, de façon dommageable, il se raccroche parfois. Les (belles) photographies en noir et blancs qui s’intercalent dans les récits, et qui représentent les deux amis autour de leur table n’est pas loin de devenir un « truc » en forme de gimmick, ce que le cinéma de Hong a toujours su éviter. La distance devient trop évidente et moins fine que dans les cartons et chapitrages dont il a le secret.
Avec La vierge mise à nue par ses prétendants, HSS avait ainsi su éviter les pièges du pur dispositif en allant toujours au-delà de son apparente structure… ici il y a comme des retours forcés et rythmés qui sont aussi celles de l’ivresse progressive. L’éclat de rire titre retentissant du final, même s’il intervient dans un fondu au noir d’une étonnante douceur et qu’il est plein d’ambiguïté, laisse aussi son goût d’ironie un peu trop facile. De même le jeu très burlesque et ahuris des acteurs est peut-être cette fois un peut appuyé?
Pour autant Hahaha n’est pas non plus devenu le premier avatar d’une écriture préétablie chez l’auteur, c’est seulement un opus qu’on peut estimer assez mineur. Il y a toujours présente cette capacité à faire vivre chaque détail en profondeur sans les définir , ce qui rend ce cinéma infiniment vivant, délicat, spirituel autant qu’atomiste (difficile d’imaginer ailleurs des instants décalés comme celui où le beau personnage de Moon So-ri décide sans aucune justification, pour marquer sa rupture, de porter son amant sur le dos en pleine rue). A posteriori tous le jeu sur les rêves du protagonistes et le regard porté sur les lieux historiques annoncents aussi la beauté mélancolique qui éclatera pleinement dans Haewon et les hommes. Retrospectivement en s’intéressant au réalisateur on voit que le film est très à cheval entre deux « process » de travail chez lui, on peut le trouver un peu longuet d’ailleurs, comme si Hong étirait trop son fameux « traitement » qui lui fait office de script en début de tournage . Mais ces choses vont s’arranger dés le film suivant…
Oki’s Movie – Les amours d’Oki
C’est comme interlude entre deux semestres de ses cours à la fac (ce qui va devenir une habitude) qu’est né ce Oki’s Movie dans la filmo du réalisateur, retrospectivement sans doute le film qui a permis à Hong Sang-soo de trouver ce qui est pour lui aujourd’hui sa forme et lson environnement de travail idéal. Conçu pour être un long métrage seulement composé de ce qui s’avère mainenant le seul premier récit de faux films à sketch, le réalisateur décide au fil du tournage de compléter son ouvrages par trois autres segments, rappelant son actrice Jung Yumi, complétant ainsi son trio de son court métrage Lost in the Mountains.
Entrecoupé de génériques faussement identiques sur fond d’une fameuse marche d’Edward Elgar, Oki’s movie va suivre un trio de personnages joués par les mêmes acteurs mais se retrouvant d’un segment à l’autre dotés de personnalités et de comportements souvent très différents. S’ajoute à cela des narrations et des styles de mise en scène parfois divergents (tout particulièrement pour le troisième court). Au-delà des variations, il y a pourtant paradoxalement comme une construction empirique qui se crée mentalement pour le spectateur, si bien que lorsque le personnage d’Oki nous apparaît très frontalement une dernière fois lors du dernier plan, nous sommes laissés à une subtile sensation de totalité à la fois fuyante et éphémère…
Chacun cherchera comme il l’entend tout un tas de significations dans ces sketchs, de leurs situations chronologiques à leurs glissements de points de vue, mais c’est peut-être un peu vain. Car on peut ici sur le même plan tout aussi bien jouer à relier les quatre récits ensembles que les détacher individuellement pour mieux les apprécier en eux-mêmes. Malgré tous ces lieux identiques revisités, ces échos de situations qui prennent de nouveaux sens… Au moins Oki’s Movie a t’il en lui une puissance compassionnelle et mélancolique assez forte puisque jamais le réalisateur n’aura traité à ce niveau de la jeunesse fuyante et de ses illusions. Hong Sang-soo brasse au final un spectre tellement large et riche en émotions et faux-semblants que les trois personnages suivis finissent au fond presque par n’en composer plus qu’un seul, où chacun va se projeter allègrement en va et vient. Un tour de force qui reste relativement inédit dans un art du cinéma qui se sert tellement de l’identification (In another Country sera peut-être plus transparent dans son jeu sur l’incarnation et le cousinage théâtral).
Le cinéaste pousse en prime ici à bout ses principes de ruptures discursives et de ton. Elles ne passent plus seulement par des comportements surprenants ou de brusques envolées de colères (très souvent opposés à une mise à nue de comportements convenus hypocrites, ou tellement détachés qu’ils en deviennent inhumains) ; mais aussi au travers d’une mise en évidence de l’artificialité de la grammaire cinématographique, qui n’a jamais été aussi radicale chez lui jusqu’ici. Sans que l’on soit dans la mise en abyme ou la démonstration… Comme dans Conte de Cinéma, les professionnels de cinéma ou ceux en devenir ne sont jamais montrés dans le cadre de leur métier, c’est simplement leur réalité au milieu d’une immanence que Hong est l’un des rares à capter à ce point via le cinéma. Les constructions narratives et esthétiques apparaissent ainsi dans toute leur relativité, sans pour autant être niées ou déconstruites :comme une réalité propre à l’humain, aussi touchantes que les illusions dans lesquelles vivent souvent (et s’échappent parfois) les personnages du cinéaste. Le dernier (gros) plan achevant la ballade finale, et la confusion qui découle de la dernière réplique, sont l’un des états les plus troublants dans lequel un spectateur de cinéma puisse être plongé.
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