Dino Risi – « Les Monstres »

© LCJ éditions

Un père de famille hâbleur (Ugo Tognazzi) inculque à son fils, sérieux et réservé, tous les principes qui lui permettront de ne pas se « noyer » dans un monde où règnent la compétition permanente, la malhonnêteté et la vilenie. Il s’agira donc d’arnaquer une boulangère, de prendre des sens interdits quand le temps est compté, de gruger dans les files d’attente d’une fête foraine en se faisant passer pour un mutilé de guerre et encore d’inciter à la tricherie et à la bagarre. Tous ces préceptes finiront par se retourner contre le père lors d’un finale tombant comme un couperet.

Ce premier sketch des Monstres donne la mesure d’une œuvre représentant d’une certaine manière la quintessence de la comédie italienne ou, du moins, un modèle du genre. Ce n’est donc pas un hasard si, au générique du film, on retrouve tout le gratin de ce courant. Outre Risi, le scénario a été co-écrit par les incontournables duettistes Age et Scarpelli mais également Ettore Scola et Elio Petri. Par ailleurs, Les Monstres s’inscrit dans la tradition, très en vogue à l’époque, du « film à sketches » : certains segments sont très courts (à peine plus d’une minute), d’autres prennent un peu plus de temps pour développer une saynète dont la saveur tient généralement à sa chute.

Enfin, c’est un ton et un regard très acide qui caractérisent cette comédie italienne. Ancrée dans une réalité sociale très forte, elle pose un regard extrêmement sarcastique et impitoyable sur une nature humaine forcément affreuse, sale et méchante. Les Monstres est un concentré de cynisme, d’humour noir ravageur et de misanthropie décapante. A l’image de ce père indigne, le film renverse toutes les valeurs traditionnelles pour mettre à nu l’âme humaine et ses turpitudes. Dans Le Monstre, petite vignette extrêmement courte, un assassin est arrêté et se retrouve entouré par deux carabinieri à l’apparence bien plus monstrueuse que lui (l’un louche tandis que l’autre affiche un sourire édenté et benêt).

Le film est généralement construit sur ce principe de renversement des conventions : le beau devient le laid, la victime se change en bourreau ou le témoin se transforme en accusé dans l’excellent Témoin volontaire où un brave homme, prêt à confondre un dangereux criminel grâce à son témoignage, se trouve lui-même pris en faute par un avocat de la défense zélé et devient à son tour suspect. Cette approche permet à Risi de tirer à boulets rouges sur toutes les institutions : la justice dans le dernier exemple cité mais également l’église (avec son prêtre chargé d’inculquer les valeurs d’humilité de Saint François et qui joue les divas avant de passer à la télé dans Le Testament de Saint François), le pouvoir politique (La Journée d’un parlementaire qui égratigne l’hypocrisie d’un député logeant dans un couvent), etc. Le cinéaste s’en prend également à une certaine forme de snobisme chez les rupins, à l’image de cette impayable critique littéraire dans La Muse ou encore le glaçant cynisme de ces bourgeois regardant un film de guerre particulièrement atroce et qui s’intéressent moins au message véhiculé qu’au mur constituant le décor du film.

Mais la comédie italienne s’est aussi distinguée par sa manière de ne pas épargner les pauvres. Dans Une vie de chien, Gassman incarne un homme sans travail et sans le sou, incapable de nourrir et soigner sa tripotée de marmots et qui, au lieu de chercher à s’en sortir, préfère aller hurler sa joie dans un stade foot lorsque Rome l’emporte. Outre le sport, la télévision est aussi dénoncée comme le nouvel « opium du peuple ». C’est en effet sous ce titre que Risi nous propose un sketch très amusant où Michèle Mercier profite de l’addiction de son mari à la télévision (Ugo Tognazzi avec des lunettes en cul de bouteille) pour faire venir son amant à la maison et prendre du bon temps sans le moindre risque d’être surprise. Citons également Les Deux Orphelins où Gassman refuse que son compère aveugle soit soigné car c’est ce handicap qui lui permet de gagner sa vie en mendiant.

Cette manière de ne montrer que la noirceur de l’être humain, des hommes en particulier (gueulards, lâches, infidèles, menteurs, hypocrites…), constitue peut-être la petite limite de ce film dénué de la moindre générosité envers ses personnages. Si le trait acéré de la caricature fait souvent mouche, la forme même du « film à sketches » ne permet pas toujours d’éviter quelques chutes de rythme et des saynètes moins inspirées.

Mais si Les Monstres emporte l’adhésion, c’est aussi par le génie de ses deux comédiens principaux. Si Tognazzi est parfait dans le registre de la veulerie (voir son chantage larmoyant dans Le Pauvre Soldat), Vittorio Gassman s’en donne à cœur joie dans l’exubérance carnavalesque. Le film est un parfait véhicule pour sa démesure transformiste. Il peut y incarner aussi bien un boxeur bas du front qu’une femme mondaine, un pauvre hère hystérique comme un avocat pointilleux, un séducteur papelard comme un « italien moyen » râleur qui oblige les automobilistes à s’arrêter pour faire valoir ses droits de piéton avant de conduire comme un parfait chauffard lorsqu’il prend le volant de sa petite Fiat.

Devant un tel abattage, le spectateur finit par être conquis. Ces acteurs protéiformes parviennent à incarner en très peu de temps tous les types de monstres et leur donnent une silhouette marquante en faisant ressortir immédiatement leurs traits saillants. Un art de la caricature au diapason d’un cinéma corrosif et foncièrement méchant.

NB : Les éditions L.C.J ont très bien fait les choses car outre une belle copie restaurée du film, disponible en DVD ou Blu-Ray, l’œuvre est accompagnée par un livret instructif signé Marc Toullec.

 

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Les Monstres (1963) de Dino Risi avec Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman, Michèle Mercier

Editions L.C.J

Sortie le 15 octobre 2020

 

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