Portrait condensé en une heure de trois soldats ukrainiens blessés au combat, We are soldiers frappe par sa concision, la précision du geste et de l’observation dont fait preuve la jeune réalisatrice Svitlana Smirnova.

Les premières images, trompeuses, baignant dans une lumière esthétisante et accompagnée d’une musique lancinante à la guitare aux accords presque sirupeux, laissent craindre une vision plus sentimentaliste qu’empathique envers ces rescapés de la guerre du Donbass qui a débuté en 2014 et se poursuit encore aujourd’hui. On ne va pas rappeler les faits mais le film raconte en arrière-plan le conflit qui oppose les séparatistes ukrainiens et les Russes à travers le témoignage vibrant de véracité de trois volontaires représentant chacun trois générations, trois milieux sociaux et trois régions différentes. Dmytro Trompac, Anatolii Fateev et Oleksii Sokolovsky sont soignés à l’hôpital militaire de Kiev. Ils se rétablissent, végètent un peu, réfléchissent sur le sens du conflit et, surtout, envisagent leur avenir qui ne sera plus jamais comme avant.

We Are Soldiers : Photo

Copyright ESC Editions

We are soldiers se pose moins comme un pamphlet à charge contre une guerre qui s’éternise que comme un film sur la réparation. Les trois individus évoquent certes à travers des propos édifiants l’horreur et la brutalité du conflit mais ne semblent étrangement pas regretter ce qu’ils ont fait. Le plus âgé des trois, Anatolii Fateev, 55 ans, un ingénieur en bâtiment, un homme cultivé d’une nature joviale, a perdu l’usage de ses jambes en voulant désamorcer une mine spéciale. Il s’en amuse même et assure sur un ton ferme qui si c’était à recommencer, il retournerait sur le terrain. Il critique aussi ouvertement le choix de son fils d’avoir refusé de combattre en disant que s’il est parti à son âge, c’était pour remplacer son fils et effacer une honte. Ces propos peuvent évidemment faire froid dans le dos mais doivent en premier lieu être recontextualisés.

Oleksii Sokolovsky, 37 ans, deux enfants, a aussi perdu l’usage de sa jambe droite. Il évoque très crûment ce qui lui est arrivé. Il remet aussi en question l’image fantasmée de la guerre et de l’héroïsme. Son accident est arrivé très vite.

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Et enfin le plus jeune Dmytro Trompac, la vingtaine, a été gravement blessé au ventre et à la jambe mais la rééducation lui donne un espoir. Le cœur du film est bien dans cet espoir, dans l’après. Comment se reconstruire quand on a vécu un traumatisme, que l’on revient diminué physiquement d’une guerre que l’on a idéalisée ? Svitlana Smirnova porte sur ces hommes un regard distancié mais plein de compassion. Elle observe avec beaucoup de justesse leur comportement au quotidien, montrant tout de même une soif de rebondir, une appétence pour la vie. En dépit d’un sujet douloureux et déprimant, We are soldiers ne plombe pas le spectateur, ne porte nul regard condescendant sur ces individus qui ont choisi l’engagement. Rien d’étonnant au vu du CV de la réalisatrice qui, avant d’être cinéaste, exerce la fonction de kiné dans cet hôpital.

Son manque d’expérience dans le domaine du documentaire est largement compensé par la nature même de sa profession qui a pour but d’aider les autres. La caméra n’est jamais intrusive, alternant intelligemment plans larges sur les handicapés physiques en train de se distraire ou de se rééduquer avec un filmage plus serré, plus près des visages lorsque les trois Ukrainiens interviennent sur le ressenti. Par la manière dont la parole circule librement, une confiance palpable entre l’équipe du tournage et ces hommes meurtris s’installe.

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Elle est aussi soutenue par le travail formidable de son monteur, Nicolas Desmaison, qui parvient à donner un rythme idéal, à couper les scènes au bon moment. Malgré la courte durée de ce documentaire tourné en un mois, la réalisatrice prend son temps, n’enchaîne pas les interviews à un rythme soutenu ponctuées de flashs d’actualités effrayants. Les rares images d’archives agissent comme un rappel, un effort de mémoire. Rien d’affreux n’est exhibé à l’écran. La réalisatrice évite les pièges du documentaire choc, du film à sensations que le sujet amenait naturellement vers lui, pour livrer au contraire une œuvre sobre et captivante, empreinte avant tout d’un message apaisant : et pour reprendre ces mots de  Valéry « il faut tenter de vivre ».

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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