Selon l’adage, faute avouée, à moitié pardonnée. Seulement, si la bavure n’est pas verbalisée par son auteur, la victime peut difficilement lui accorder son pardon, passer outre. Le litige laissera alors toujours une ambiguïté et une amertume dues à l’absence de reconnaissance par les fautifs. Aussi grave soit l’affront ou l’acte perpétré, la parole possède des vertus libératrices, la parole colmate les brèches les plus rugueuses, la parole rétablit l’ordre des choses.

Quatre ans après Les Médiateurs du Pacifique, documentaire dans lequel Charles Belmont évoque la guerre civile qui déchire la Nouvelle Calédonie, le cinéaste y retourne à l’occasion du Festival des Arts du Pacifique. Cette manifestation, qui existe depuis mai 1972, se déroule tous les quatre ans dans un pays différent appartenant au continent océanien. Elle met en valeur par le partage les pratiques culturelles et traditionnelles des différentes communautés occupant l’Océanie. La prochaine édition aura lieu en 2020 à Hawaï, mais, cette année-là, en 2000, Nouméa était la scène des diverses représentations et le thème en était la parole.

Onze ans se sont écoulés depuis la mort de Jean-Marie Tjibaou, figure politique du nationalisme kanak engagé dans une démarche non-violente. Le 4 mai 1989, le meneur charismatique d’obédience catholique est assassiné en même temps que son bras droit, Yeiwene Yeiwene, lors de la cérémonie de levée de deuil des 19 militants tués un an plus tôt lors de l’assaut de la grotte d’Ouvéa, autre sanglant épisode relaté par Mathieu Kassovitz dans son film L’Ordre et la morale. Le tueur, Djubelly Wea, un indépendantiste qui lui est opposé de par son appartenance au protestantisme. De par cette dissension religieuse, les deux hommes envisagent deux conceptions différentes du combat pour l’indépendance, Djubelly Wea n’ayant jamais accepté la signature, le 26 juin 1988, des Accords de Matignon. Depuis,31 ans après, la paix est revenue en Nouvelle-Calédonie, la réconciliation entre les clans et les familles de Hienghène, Maré et Ouvéa étant passés par là.

Si ces événements ne sont pas clairement explicités dans le film de Charles Belmont, il y est pourtant fait référence à plusieurs reprises et leurs connaissances aident à la bonne compréhension du récit. D’ailleurs, Océanie ressemble à une suite à son précédent documentaire, le cinéaste filmant cette fois des lieux apaisés au rythme des danses et des chants des groupes des différentes régions de cette partie du monde venus célébrer la parole. La place n’est plus aux conflits, mais aux dialogues, aux accords musicaux qui se répondent, aux échanges entre ces cultures qui se rencontrent d’une scène à une autre. Ateliers d’écriture, entretiens avec les directeurs des compagnies artistiques, avec les danseuses, la parole est partout, qu’elle s’incarne dans les rythmes syncopés des percussions ou les voix des comédiens.

La parole, Marie-Claude Tjibaou la fait sienne, s’en empare pour commenter les différents événements, raconter sa région, la flore qui l’enrichit. Le choix de suivre la veuve du chef indépendantiste établit le lien thématique entre Les Médiateurs du Pacifique et Océanie. Car, sous le documentaire musical et la balade bucolique, Océanie s’avère une œuvre politique qui prône la réconciliation, affiche la culture comme un vecteur essentiel de la paix entre les peuples.

Le montage entremêle séquences musicales et discussions avec habileté. La caméra se balade dans le festival, filme les répétitions et les spectacles avec acuité, donnant une idée précise de leurs teneurs. Charles Belmont n’hésite pas à jouer sur la longueur des plans sans que ceux-ci ne se révèlent ennuyeux, le rythme étant dans le plan même, imposé par les danseuses, les acteurs et les musiciens, tous à l’image. La réalisation donne alors toute leurs dimensions aux diverses créations qui se produisent durant le festival, comme si les artistes s’étaient accaparés la caméra. Malgré la contrainte du format télévisuel de l’époque, le 1.33, l’image acquiert un certain souffle et les spectacles arrivent à s’incarner, à prendre corps. Des corps, il en est justement question : corps dansant, corps sculptés, corps tatoués et malaxés, Océanie rend également hommage à la sensualité, une ode à la volupté. Ces différentes transformations, ces mouvements, couplés à des jeux scéniques et de lumière concourent à la création d’univers fantastiques, qui démontrent la capacité d’adaptation des anatomies et la richesse d’imagination des cultures du monde.

Cependant, cette fenêtre ouverte sur une partie du monde n’est pas exempte de défaut. Charles Belmont choisit de faire appel à Ariane Mnouchkine afin d’instaurer un dialogue entre elle et Marie-Claude Tjibaou, comme un fil rouge, un guide qui évoluerait au milieu de ce dédale festif. Ariane Mnouchkine est partout, sur presque toutes les images, en avant-plan, au fond du cadre, en gros plan, en arrière-plan. Parfois, alors qu’un groupe est en train de danser, un insert sur Ariane Mnouchkine s’insinue dans le montage, comme si le spectacle ne pouvait, ne devait exister qu’à travers son regard. Sa présence plutôt envahissante s’ajoute à la façon avec laquelle Ariane Mnouchkine s’exprime aux différents artistes venus se produire : avec une certaine condescendance. Un choix malheureux qui empêche d’apprécier pleinement les différentes représentations, comme si le spectateur avait besoin d’être pris par la main.

Enfin, le film se termine sur une petite maladresse, une confession de Marie-Claude Tjibaou qui, si elle éclaire sur ses prises de position et ses choix, tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Cet épilogue s’inscrit cependant dans la logique de la thématique de cette édition 2000 du festival en concluant ainsi sur une parole de paix et de réconciliation.

Le DVD : Dans certaines séquences où la lumière est basse, les images peuvent paraître bruitées. Un défaut certainement dû au fait qu’Océanie a été tourné en vidéo, ainsi qu’à l’âge du film. En bonus, cette édition propose des propos croisés entre Marielle Issartel, monteuse d’Oéanie et compagne de feu Charles Belmont, et du cinéaste Jean-Loup Djinn Carrénard ainsi que la première réalisation de Charles Belmont, Un Fratricide. Ce court-métrage en noir et blanc adapté de Franz Kafka se montre à première vue bien éloigné de l’univers d’Océanie, mais, pourtant, il convoque aussi le corps comme l’un de ses motifs principaux.

Océanie
(France – 2001 – 86min)
Réalisation : Charles Belmont
Direction de la photographie : Étienne Carton de Grammont
Montage : Marielle Issartel
Musique : Michel Portal
Avec Marie-Claude Tjibaou, Ariane Mnouchkine.
Disponible en DVD, chez L’Éclaireur.

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