Pour son deuxième opus des Masters of horror, faisant fi des règles de bienséance, Dario Argento se lâche littéralement dans une farce gore exubérante d’une méchanceté réjouissante, dans laquelle l’homme devient son propre équarrisseur. Régressif et subversif.

La série des Masters of horror a beau se féliciter de laisser une totale liberté à ses réalisateurs, elle ne leur impose pas moins quelques conditions évidentes, les obligeant à sacrifier au divertissement d’horreur à l’américaine. En effet, dans une certaine tradition des adaptations télé des comic books à la Tales from the crypt jouant plus encore sur l’humour visuel sanglant et le gag macabre final que sur la peur, l’excès, la provocation et les effets chocs ne peuvent être facultatifs. Contrairement à un Carpenter qui dans Cigarette burns s’accommode assez mal de l’intrusion du gore qui charge la singularité de son univers d’une « vulgarité » mal venue, Argento se détache délibérément de ses inspirations habituelles et saisit d’emblée l’occasion de sa collaboration à un mode de divertissement mineur, qui tient lieu de récréation au sein de sa filmographie, pour explorer des univers différents. Tout comme Jenifer, Pelts métamorphose la figure imposée en exercice de style. Astreindre Argento au gore tient presque de l’absurdité pour un cinéaste dont les films ont le plus subi au monde les foudres de la censure. Plus adepte de l’agonie sublimée que du gore potache, il s’y plonge pourtant avec une jouissance non dissimulée, jouant d’emblée la carte de la surenchère, certes, mais en lui donnant une légitimité thématique, qui curieusement l’empêche de l’assimiler à une simple gratuité. Dans Jenifer la violence cannibale explorait les paradoxes de la belle et la bête contenues simultanément au sein la même créature ; l’argument de départ de Pelts – des fourrures ensorcelées de ratons laveurs conduisent les coupables à s’identifier aux animaux qu’ils découpent au point de travailler leur propre corps – permet à Argento d’exploiter sans tabou jusqu’à satiété le thème de la « chair » et de la « peau » dans toutes ses acceptions – humaines ou animales – et dans toute la polysémie des champs lexicaux et symboliques qu’elle recouvre, de l’érotisme à la curée, du corps nu au dépeçage, de la caresse au tannage, de l’acte sexuel à la mise à mort. Si Argento ne nous épargne rien sur la souffrance faite à l’animal c’est pour mieux anticiper sur une automutilation humaine qui va restituer phase par phase les étapes menant à la conception de la fourrure (piéger, dépecer, éviscérer, couper, coudre et jeter les restes). Comble de la perversité, l’animal n’intervient nullement dans cette vengeance, laissant à l’homme possédé par son délire de destruction, le soin de se maltraiter tout seul. L’aspect grand guignolesque de cette fable féroce ferait presque oublier à quel point elle obéit à une logique implacable, poussant à son comble le raisonnement du « et si on leur faisait la même chose ». S’il est impossible de leur trouver une résonance esthétique (excepté la création d’un masque mortuaire par les dents d’un piège), les scènes font surtout preuve d’un jusqu’au-boutisme étonnant qui montre un personnage se tirer ses propres boyaux comme on fait à l’animal, et une femme passer des talents de couturière à la loi du talion puisqu’elle faufile l’aiguille dans son visage comme pour confectionner un vulgaire sac à main.


Argento se délecte à juxtaposer, amalgamer, marier tous les commerces de chair, morte ou vivante, entre l’exhibition de la peau dans le night club et celle de l’animal dans l’atelier. L’homme qui taillade quotidiennement la chair animale ne peut se défaire de cette odeur, comme la strip teaseuse qui vend son corps à ses clients le lui fait remarquer. La femme, quant-à-elle, n’accepte de s’offrir à lui que contre un manteau de fourrure. En faisant l’amour à Shana de la manière la plus bestiale possible, Jake embrasse la fourrure. Le montage alterné qui présente la belle contemplant devant le miroir sa chair nue enveloppée dans le manteau tandis que Jake s’auto dépèce pour lui offrir, tel un ultime sacrifice, un habit de chair, troquant une peau morte contre une autre, dévoile les objectifs d’Argento. Dans un irrespect réjouissant, Pelts réduit l’homme à de la chair coupée, dénonce la corruption de l’espèce humaine prisonnière de ses désirs, de ses plaisirs, un être destructeur obsédé par le sexe, prédateur dont l’arme finit par se retourner contre lui. Cette fourrure qui incite à s’auto mutiler, à se charcuter, illustre l’aliénation d’une société cannibalisée par son culte de la consommation, de l’argent et de l’apparence.

captures d’écran coffret © First International Production


Dans sa façon d’allier l’image poétique à la pure trivialité, Pelts est indéniablement argentesque : ce regard sauvage accusateur des ratons laveurs observant à travers la fenêtre, la découverte du sanctuaire sous la lune, cette vision des fourrures frémissantes, ou encore ces plans de lézards dans l’herbe rappellent le panthéisme et l’animisme d’un Phenomena. Se rattachant ainsi parfaitement au reste de l’œuvre d’Argento, Pelts célèbre à nouveau la toute puissance sacrée de la nature, la revanche de la bête contre la barbarie humaine.
Avec son atmosphère baroque, ses éclairages en clair obscur, sa géométrie des cadrages, et ses couleurs primaires, Pelts apparaît comme bien plus marqué esthétiquement que Jenifer qui frappait par une neutralité quelque peu télévisuelle. Pelts est une œuvre volontairement outrancière, assumant le mauvais goût et le grotesque. Argento mime les archétypes d’un visuel typiquement américain (boite de strip tease, cadre urbain US, personnages ouvertement caricaturaux) pour mieux les tirer vers la bouffonnerie. Il part d’un érotisme toc plutôt laid, pour l’entraîner vers l’orgie de membres sectionnés, véritable pornographie de l’horreur.


Derrière la jubilation du grotesque, perce la radicalité, la subversion du conte cruel. La drôlerie et la sécheresse de l’écriture aboutissent à une fin qui tombe avec la brutalité d’une guillotine. Cette farce macabre tire sa poésie de son obscénité même, l’étal de chair coupée confinant parfois à la beauté ambivalente d’une nature morte avec gibier, à l’instar de ce plan final sur une main abandonnée, patte coupée dans une mare de sang noir.

Pelts (Masters of horror) – Dario Argento – USA (2006) – 60′ – Meat Loaf, Ellen Ewusie, John Saxon

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