Plus besoin d’aller à Cannes pour profiter du plus grand festival de cinéma mondial ? N’exagérons rien, mais notons que pour la première fois, il était possible pour les lyonnais de vivre en simultané une partie de sa 72ème édition à domicile. Manifestation en place à Paris depuis plusieurs années du côté du Gaumont Opéra, où le temps d’un week-end, du 24 au 26 Mai, le groupe Gaumont Pathé propose, parallèlement à la fin du festival, la projection en avant-premières d’un panel de films issus de la Sélection Officielle. Le dispositif a été – et c’est une nouveauté – étendu à quatre autres salles dans le reste de la France, dont le Pathé Bellecour à Lyon. Culturopoing fort d’un partenariat avec le complexe a pu pleinement profiter de l’expérience via ses deux rédacteurs Vincent Nicolet et Jean-François Dickeli, lesquels ont vu sur les trois jours, treize des quatorze films projetés. Une façon de profiter de l’événement avec une intensité peut-être pas aussi forte que sur la croisette (ceux qui ont déjà éprouvé la folie cannoise peuvent affirmer que ce n’est pas forcément un mal) mais suffisamment pour les laisser à l’issue de l’ultime projection, pleins d’images, d’émotions et de sensations. Une façon donc de vivre avec davantage de calme et moins de pression l’événement. Au sein de la la programmation, huit films faisaient partie de la compétition, parmi lesquels quatre ont été primés par le jury présidé par Alejandro Gonzales Inñarritu, tandis que deux autres lauréats étaient déjà à l’affiche dans toute la France. Il s’agit de Douleur et Gloire de Pedro Almodovar, offrant à Antonio Banderas un prix d’interprétation amplement mérité, ainsi que du dernier long-métrage des frères Dardenne, Le Jeune Ahmed, récipiendaire d’un prix de la mise en scène qui n’aura pas manqué de faire grincer leurs détracteurs, venant à notre avis récompenser le principal atout d’un film plus ambigu qu’on veut bien le dire tout en focalisant l’attention ailleurs que sur les interprètes ou le scénario, points sur lesquels on insiste parfois au détriment du reste au moment d’évoquer la fratrie la plus primée de Belgique. Les choses commençaient un vendredi après-midi, alors qu’étaient présentés les deux derniers longs-métrages de la compétition et que le palmarès était remis le lendemain en fin de journée, entre la fin de projection du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et le début de celle de Sorry We Missed You, dernière réalisation du vétéran Ken Loach.

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Douleur et gloire – Copyright Studiocanal / El Deseo 2019

En préambule, commençons par évoquer brièvement Sibyl de Justine Triet, l’un des fameux derniers films de la compétition, sorti simultanément en salles le vendredi 24, découvert au sortir du week-end, comme une sorte de conclusion à celui-ci. Réglons l’affaire en quelques lignes, d’une cinéaste dont on avait adoré la première réalisation, La Bataille de Solférino, fiction à budget minimal, portée par un parti pris fort, observant le déchirement d’un ancien couple sur fond de second tour de l’élection présidentielle de 2012. Avec trois fois rien, la réalisatrice forte d’un dispositif faussement aléatoire et véritablement rigoureux, signait des images spectaculaires tout en observant le déchirement d’un couple (et celui d’un pays en toile de fond) incarné par un mémorable duo d’acteurs. D’un côté,Vincent Macaigne, devenu par la suite une figure incontournable du jeune cinéma d’auteur français et surtout de l’autre, Laetitia Dosch (déjà primée par le passé pour son interprétation dans un court-métrage de la réalisatrice : Vilaine fille, mauvais garçon), comédienne hallucinante depuis remarquée dans la caméra d’or 2017, Jeune Femme et dans ses diverses prestations théâtrales comme le récent Hate (un monologue entre une femme nue et un cheval) et avant ça le formidable Un Album, où sans accessoire et dans un décor minimaliste, elle campait pas moins de quatre-vingt personnages. Trois ans plus tard, Justine Triet, réussissait avec Victoria – après une présentation à la Semaine de la Critique de Cannes 2016 – à compiler succès en salles et réception très positive tant dans la presse que dans la profession, consacrant définitivement Virginie Efira comme actrice (première nomination aux césars à la clé), laquelle obtenait là son premier grand rôle. Accueillie par une partie de la critique hexagonale à coup de comparaisons très flatteuses (la James L.Brooks française est un exemple parmi d’autres), cette sympathique comédie se trouvait vêtue d’un costume involontairement démesuré. Comment la talentueuse cinéaste allait gérer l’après ? On pouvait le redouter, la réponse est la suivante : pas très bien. Sûre de ses forces – ou de moins de celles que ses amis lui ont vanté – la voilà qui se rêve désormais à la fois en héritière de Brooks (elle récite ici allègrement une séquence du mésestimé et régulièrement formidable How do you know), Joseph L.Mankiewicz, David Lynch et John Cassavates, références écrasantes, face auxquelles inévitablement son film ne fait même pas illusion. Inutilement complexe dans son montage et sa narration (l’un et l’autre approximatifs), la tentative de cinéma mental échoue complètement, la faute à une mise en scène inégale, plombée par une psychologie lourdement surlignée dans le dialogue (la profession du personnage principal, psychanalyste, étant censée justifier ce qui apparaît comme une ficelle grossière). Heureusement, le film sauve partiellement ses arrières, quand occasionnellement, sa cinéaste revient à ce qu’elle fait de mieux, un comique de situation, un peu intello sur les bords mais souvent savoureux dans son écriture. Bénéficiant d’un casting féminin irréprochable, Virginie Efira bien sûr dans le rôle titre mais aussi les plus inattendues Adèle Exarchopoulos loin des univers cinématographiques dans lesquels elle s’est exprimée jusqu’à présent et surtout Sandra Hüller, la révélation fracassante de Toni Erdmann, qui parvient à faire décoller chacune de ses séquences, rehaussant ainsi l’intérêt général. Justine Triet confirme sa capacité à proposer des rôles féminins, forts, complexes et hors des clichés trop répandus (en contrepartie, les rôles masculins sont particulièrement inconsistants ou insignifiants). La dichotomie entre un accueil dans la presse française globalement élogieux, pour ne pas dire dithyrambique et celui à l’étranger, autrement plus tiède (voir les barèmes cannois) nous apparaît comme une raison de perdre espoir en une cinéaste qui semble régresser à mesure qu’on l’encense. Désignée arbitrairement reine de la nouvelle comédie française, elle nous paraît désormais freinée dans son développement à coup de louanges exacerbées, ce qui ne manque pas de frustrer les défenseurs de la première heure que nous sommes. Prématurément mise sur un piédestal, avec son troisième long-métrage, en dépit de quelques passages heureux, elle se prend inévitablement les pieds dans le tapis. (V.N.)

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Sibyl – Copyright Les Films Pelléas 2019

Revenons maintenant au principal, le compte-rendu de ce week-end cannois dans la terre natale du cinéma, au cours duquel sept films seront chroniqués. Quelques coups de cœur, quelques cinéastes dont on suit avec intérêt les avancées, quelques propositions inspirantes… À défaut d’un retour global sur le festival de Cannes, voici à la loupe nos considérations sur un échantillon de cette édition manifestement dense.

La belle époque de Nicolas Bedos (France, 2019)
Hors Compétition

La Belle époque – Copyright Julien Panié / Pathé Distribution 2019

Personnalité clivante ayant fait ses débuts sur le petit écran, où il participe à plusieurs émissions de talk-shows en tant que chroniqueur (livrant des billets d’humeur acerbes) avant de scénariser plusieurs téléfilms pour Josée Dayan, Nicolas Bedos se tourne vers le cinéma et coécrit en 2012 le film à sketches Les Infidèles. Porté, entre autres, par Gilles Lellouche et Jean Dujardin (qu’il retrouvera bientôt, puisqu’il a été choisi pour succéder à Michel Hazanavicius à la réalisation du troisième volet des aventures d’OSS 117), le film, bien qu’inégal, réserve de très bons moments grâce, notamment, à la présence du réalisateur de The Artist (formidable segment du Séminaire) ou encore d’Emmanuelle Bercot (qui en profite pour offrir à Alexandra Lamy son plus beau rôle). Suivront le script du médiocre Amour et turbulences (2013), dans lequel Bedos partage également l’affiche avec Ludivine Sagnier, et une participation à celui de l’oubliable Encore heureux en 2016, avant qu’il ne fasse ses premiers pas derrière la caméra. Scénarisé à quatre mains avec son actrice principale et compagne, Doria Tillier, Monsieur & Madame Adelman sort en 2017, accompagné d’un accueil critique plutôt favorable et décrochant même deux nominations aux César (Meilleure Actrice et Meilleur Premier Film). Comédie dramatico-romantique à cheval entre deux époques, le long-métrage se révèle surprenant par son assurance (qui plus est pour une première réalisation) dans son désir de romanesque, son envie d’envergure visuelle et son insolence dans le ton, révélant au passage une comédienne étonnante. Deux ans après ce coup d’essai, il retrouve son fauteuil de metteur en scène (sans apparaître, cette fois, à l’écran) pour La Belle époque, portée par un casting poids lourds (Daniel Auteuil, Fanny Ardant, Guillaume Canet, Pierre Arditi, Dennis Podalydès et, bien sûr, Doria Tillier, tous trois faisant déjà partie de l’aventure précédente). Le film raconte l’histoire de Victor (Auteuil), un dessinateur sexagénaire désabusé, qui voit sa vie bouleversée le jour où un ami de son fils, Antoine (Canet), un brillant entrepreneur, lui propose une attraction d’un genre nouveau, proposant aux participants de replonger dans l’époque de leur choix. Victor choisit alors de revivre la semaine la plus marquante de sa vie : celle où, quarante ans plus tôt, il rencontra le grand amour…

La Belle époque – Copyright Julien Panié / Pathé Distribution 2019

La scène d’introduction, avec son ambiance feutrée et ses dignitaires de l’armée napoléonienne dînant aux chandelles alors que les remarques racistes sur les domestiques noirs fusent de toutes parts, brouille les pistes, elle intrigue, puis dérange à force d’humiliations et de mépris fièrement affiché. Tout à coup, un 4×4 remplis d’hommes cagoulés et armés de fusils modernes (aidés par l’un des domestiques) déboule dans la cour du château, les assaillants prenant ainsi en otages la petite assemblée. Rupture sèche et brutale qui s’avère être une vidéo diffusée sur un smartphone, visionnée par un Victor circonspect au beau milieu d’un repas rébarbatif. Le court extrait se révèle être en réalité les premières minutes du pilote de la série produite par son fils, elle-même inspirée par les services assez spéciaux vendus par l’entreprise de l’un des amis d’enfance de ce dernier, dont le passé semble marqué par sa rencontre avec l’illustrateur. En quelques minutes, Nicolas Bedos aborde tous les aspects de son intrigue, l’homme déconnecté de son époque, le poids des souvenirs et la mise en scène comme unique échappatoire au quotidien morne. Une mise en abyme inaugurale assez forte et surprenante, aidée par le montage nerveux et énergique donnant au film un rythme vif et enlevé (quitte à frôler la frénésie durant le premier quart d’heure), entraînant le spectateur dans le « voyage » de son héros (excellent Daniel Auteuil, dans un registre de Droopy nostalgique). Parti « à la recherche du temps perdu », ce dernier va donc entrer de plain-pied dans un « show », une version romancée et presque fictionnalisée de ses souvenirs afin de ressentir, d’éprouver une nouvelle fois la vérité d’une émotion. Cette quête du réel, du vrai par l’intermédiaire de l’artificiel peut sembler théorique au premier abord mais trouve une belle représentation à l’écran, lorsque le protagoniste pénètre dans le studio où le bar dans lequel il a rencontré la femme de sa vie quarante-cinq ans plus tôt a été recréé. Examinant chaque détail émerveillé, il décèle les trucages ou les approximations (une tapisserie imitant un mur en briques, un réverbère en carton-pâte) mais choisit de les ignorer, préférant croire à la magie de l’instant retrouvé. Souvenirs et fantasmes se mêlent au gré de l’illusion pensée par un manitou tout-puissant (Canet), jouant avec la mémoire et les sentiments de Victor, traduisant parfois littéralement les sensations ressenties par le vieil homme, donnant chair à la rêverie (à l’image de cette pluie de pétales de roses). À l’aise dans la direction de ses acteurs, tous impeccables (mention spéciale à Fanny Ardant en psychanalyste délurée citant Freud à tout bout de champ et à Doria Tillier dans le rôle de son avatar rajeuni), Bedos l’est aussi dans l’écriture, signant d’excellents dialogues, dont une mémorable et réjouissante scène d’engueulade entre les deux sexagénaires. Si certains personnages semblent survolés (notamment Pierre Arditi en fils n’ayant jamais fait le deuil de son père) et que La Belle époque n’évite pas, par moments, l’écueil du « film juke-box » (certains tubes des années 70 s’enchaînant sans véritablement intérêt), la véritable limite se situe ailleurs.

La Belle époque – Copyright Julien Panié / Pathé Distribution 2019

Ainsi, dans le rôle d’un metteur en scène mégalo, cynique et autocentré, gagné par la jalousie qu’il éprouve pour son actrice/compagne, Antoine se pose en alter ego de Nicolas Bedos, véritable « control freak » manipulateur et possessif, empêtré dans ses certitudes (répondant à l’une de ses assistantes qui lui demande s’il se prend pour Dieu, il lui rétorque « Je suis scénariste ! »). Le personnage finit par se révéler agaçant tant le cinéaste semble offrir au spectateur une auto-analyse, en forme d’aveu de faiblesse, démontrant pourtant une prise de conscience de ses propres défauts (nombreux sont ses détracteurs à lui reprocher son arrogance et sa suffisance) mais sans éprouver le désir de changer pour autant (travers déjà présent dans Monsieur & Madame Adelman, où l’identification était encore plus forte puisqu’il interprétait lui-même le rôle principal). Heureusement, les nombreuses saillies mordantes (que certains n’hésiteront pas à qualifier de réacs) de Victor sur le monde et l’époque renvoient au talent d’écriture indéniable de l’auteur, quitte à rentrer dans une dénonciation systématique. Tout y passe, de Netflix aux régimes de Gwyneth Paltrow, des bars non fumeurs à la nouvelle cuisine (le personnage de Daniel Auteuil apercevant le menu composé de recettes du terroir du restaurant s’exclame ainsi « Ça c’est de la bouffe ! À l’époque on grossissait, on mourrait mais au moins on avait le sourire ! »). Quitte à frôler le hors-sujet (que vient faire là cette référence aux Gilets Jaunes ?), Bedos tire à boulets rouges sur un siècle hygiéniste et consensuel qu’il semble abhorrer, avant de remettre tout son discours en question lors de la très belle dernière scène. Aussi exaspérant qu’attachant, La Belle époque pourrait facilement sombrer dans la posture rédhibitoire, accumulant les poncifs de dandy blasé et sarcastique de son réalisateur, si ne transparaissait pas à chaque séquence une vraie empathie, un vrai regard tendre posé par le cinéaste sur ses personnages, faisant du film une réussite certaine, non exempte de défauts, mais encourageante pour la suite de sa carrière. (J-F.D.)

Sortie le 6 Novembre

It Must Be Heaven (Palestine, France, 2019)
Compétition

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It Must Be Heaven – Copyright Le Pacte

Cinéaste et acteur palestinien, à la filmographie relativement courte (It Must Be Heaven est son quatrième long-métrage en vingt-trois ans) mais immédiatement identifiable en raison d’une approche singulière à la fois drôle, grave et poétique, Elia Suleiman, explore un territoire intime, partiellement autobiographique, tout en ouvrant sur des thématiques beaucoup plus universelles comme la notion d’identité, d’appartenance, de territoire et de frontière. Il se sera écoulé pas moins de dix ans entre Le temps qu’il reste, précédent long et ce nouveau, une décennie entrecoupée seulement d’une participation pour un court-métrage, Diary of beginner, au sein du film collectif 7 jours à la Havane, aux cotés de réalisateurs divers comme Gaspar Noé, Pablo Trapero, Laurent Cantet. Après cette absence sensiblement plus longue qu’à l’accoutumée (sept ans séparent Intervention Divine du film suivant), que devait-on attendre d’un artiste que l’on a mécaniquement pris l’habitude de surnommer au choix le Jacques Tati ou le Buster Keaton palestinien ? À quelle niveau de forme allait-il revenir et pour raconter quoi ? Commençons par répondre à la seconde question, ES (Elia Suleiman) fuit la Palestine à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d’une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l’absurde. Aussi loin qu’il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie.

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It Must Be Heaven – Copyright Le Pacte

Passé une étonnante introduction, où l’on suit un évêque en pleine procession nocturne, soudainement coupé dans son élan par des gardiens refusant de lui ouvrir le portail de l’église. Montée de colère dans un lieu destiné au calme, conclue par une violence relative (quelques coups seront assénés) en inadéquation avec la sagesse présumée du personnage (de par son rang), évacuée hors champ mais suffisamment marquée sur le plan sonore. Drôle, inattendu et virulent, ce prologue affiche une santé presque insolente qui se vérifie ensuite dès la première apparition à l’écran d’Elia Suleiman. Si ce n’est les années écoulées, marquées par le teint désormais sel et poivre de sa barbe et de sa chevelure, son visage et par extension son personnage semblent inchangés, accentuant la sensation de retrouver le cinéma de l’acteur-réalisateur exactement là où il l’avait laissé. Jeux de symétries dans les cadrages, maîtrise du tempo comique, faculté à se fondre dans le plan pour mieux feindre l’effacement mais aussi accentuer une force burlesque, un pouvoir d’expression qui tend à valoriser une idée (qu’elle soit théorique ou pratique) par séquence… Serein et assuré, le cinéaste n’a pas perdu la main, au point que certains pourraient faire la fine bouche en arguant qu’il récite ici une partition désormais connue. D’un côté ils n’auraient pas tout à fait tort, même si cela reviendrait à omettre certains détails. L’évolution que constitue It Must Be Heaven, tient moins à sa façon d’appréhender l’image et le récit, qu’à une volonté de délocaliser l’action et la confronter à de nouveaux territoires, à commencer notre cher hexagone, donnant un éclairage inédit aux préoccupations de l’auteur.

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It Must Be Heaven – Copyright Le Pacte

À n’en pas douter la partie parisienne contient certains des plus beaux moments et des plus belles surprises du film, d’abord esthétiquement avec cette capitale complètement (et inexplicablement) vide. La chose n’est pas nouvelle, Luc Besson l’avait fait pour sa relecture toute personnelle de La Vie est Belle de Frank Capra (ironie bien sûr), Angel-A, puis plus tard Eric & Ramzy sur Seuls Two, en comparaison on se doute que Suleiman ne dispose pas des mêmes moyens. Sous sa caméra, Paris se transforme en un théâtre absurde et poétique, la « délocalisation » n’impactant pas l’essence de son cinéma, pas plus qu’elle n’en renouvelle les fondements. En revanche, les thématiques chères au réalisateur se confrontent dans la douceur à des problématiques sociétales brûlantes, sur lesquelles il s’interroge autant qu’il nous interroge par ricochet. Invoquant sciemment une imagerie observée dans le premier tiers en Palestine (tanks dans les rues, omniprésence de la police,…) quitte à délibérément flirter avec les lieux communs, il redéploie ses motifs à Paris puis New York, les détournant, pour en faire ressortir l’absurdité. Par ailleurs, peu avare en surprises (notamment au niveau des caméos), le long-métrage nous offre un délicieux moment dans le bureau du producteur Vincent Maraval (dont on avait apprécié les talents de comédie dans le Love de Gaspar Noé), les deux hommes jouant peu ou prou leur propres rôles, la séquence devient une mise en abyme du cinéma d’Elia Suleiman auquel il est reproché de ne pas faire un film assez « palestinien ». Plus que sa propre identité, c’est son ADN cinématographique que le cinéaste souhaite désormais interroger, elle qui semble résister à l’exil, ne perdant ni de sa vigueur ni de sa pertinence. C’est en définitive ce qui peut faire la force et la limite d’It Must Be Heaven, chambouler une forme de continuité, étendre ses thématiques plutôt que les renouveler, le geste est beau, mais peut-être trop infime pour certains. À nos yeux en tout cas, il s’agit de belles retrouvailles, réjouissantes et émouvantes, avec une personnalité rare mais attachante. En conséquence, rendez-vous pris dans quelques années… (V.N.)

Sortie le 4 Décembre

Little Joe de Jessica Hausner (Autriche, 2019)
Compétition

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Little Joe – Copyright The Coproduction Office

Élève à la Filmakademie de Vienne où elle a notamment pour professeur, Michael Haneke, qui fera d’elle sa scripte sur le controversé mais essentiel Funny Games, Jessica Hausner se fait remarquer il y a vingt ans avec le moyen-métrage Interview, son film de fin d’études, qui lui vaut une mention (prix spécial du jury) de la cinéfondation lors de l’édition 1999 du festival de Cannes. La même année, elle fonde aux côtés de la réalisatrice Barbara Albert (Banlieue nord, Mademoiselle Paradis), du producteur Antonin Svoboda (Le Cauchemar de Darwin) et du cameraman Martin Gschlacht une société de production, visant à valoriser le cinéma indépendant autrichien, coop99. Régulièrement sélectionnée à Cannes, dans la section Un Certain Regard (Lovely Rita/Hotel/Amour Fou), la cinéaste remporte le Prix Fipresci à la Mostra de Venise en 2009 pour Lourdes, qui permettra également à son actrice, Sylvie Testud de se voir gratifier d’un prix du cinéma européen de la meilleure actrice. Naviguant entre les genres, elle affirme discrètement une œuvre cohérente, étrange et singulière, sur laquelle cette première en Compétition de la sélection officielle pour son cinquième long-métrage, le premier en langue anglaise, Little Joe, met un joli coup de projecteur. Une première incursion dans la science-fiction, ou plus précisément l’anticipation, saluée par le Jury au détour d’un prix d’interprétation féminine pas immérité pour sa comédienne Emily Beecham, confirmant le statut atypique de la réalisatrice, quand bien même sa réussite ne serait que partielle. L’histoire d’Alice (Emily Beecham), mère célibataire, phytogénéticienne chevronnée qui travaille pour une société spécialisée dans le développement de nouvelles espèces de plantes. Elle a conçu une fleur très particulière, rouge vermillon, remarquable tant pour sa beauté que pour son intérêt thérapeutique. En effet, si on la conserve à la bonne température, si on la nourrit correctement et si on lui parle régulièrement, la plante rend son propriétaire heureux. Alice va enfreindre le règlement intérieur de sa société en offrant une de ces fleurs à son fils adolescent, Joe. Ensemble, ils vont la baptiser ” Little Joe “. Mais, à mesure que la plante grandit, Alice est saisie de doutes quant à sa création: peut-être que cette plante n’est finalement pas aussi inoffensive que ne le suggère son petit nom…

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Little Joe – Copyright The Coproduction Office

Film bancal et à bien des égards inabouti, Little Joe a pourtant un pouvoir de séduction durable donnant envie de le défendre, au-delà de ses limites avérées. Si son postulat initial est plutôt intriguant, celui-ci se révèle progressivement aussi déceptif que prévisible, comme s’il n’était qu’un prétexte, n’intéressant que partiellement la réalisatrice. La raison est à chercher du côté de ce qui constitue la force de l’ensemble, sa direction artistique, aussi bien sur le plan visuel que sonore. Esthétique glaciale, léchée et soignée, mise en scène clinique et rigoureuse, musique anti-mélodique presque « insidieuse », sound design inquiétant : l’ambiance et l’atmosphère singulières priment sur le récit et la narration. On pense aux travaux visuels de l’un des plus célèbres émules du maître Haneke, Yorgos Lanthimos dont le décor ici, évoque lointainement celui de Mise à mort du cerf sacré, comparaison à laquelle s’ajoute un parallèle thématique à un endroit précis. Quand le cinéaste Grec filmait la lente et inévitable destruction de la cellule familiale, la réalisatrice autrichienne, reste certes un curseur en dessous, mais observe froidement sa dégradation. Différences de tailles toutefois, tout d’abord dans le ton, délibérément solennel mais également dans le traitement des personnages, Jessica Hausner se montre très distante, sa caméra semblant davantage s’intéresser aux architectures, aux machines, à la plante qu’aux êtres humains qui les parcourent. Ce parti-pris n’a pour autant, pas que des désavantages, il permet de rendre crédible certaines situations qui pourraient facilement être ridicules, M.Night Shyamalan et Mark Wahlberg (qu’on adore) n’ont pas réussi à éviter cela au détour d’une séquence en particulier devenue motif de railleries dans Phénomènes. Reste que dans ces conditions, il devient difficile de s’attacher un tant soit peu à l’héroïne ainsi qu’aux problématiques amorcées. L’univers prenant vie avant tout par sa « façade », créant une ambivalence entre une perfection feinte et des failles de plus en plus palpables, de là naît un trouble autre que celui recherché par le scénario, paradoxalement assez stimulant à contempler. En somme, Little Joe envoûte lorsqu’il s’affranchit des normes narratives pour laisser s’exprimer une sorte de vrai-faux film d’horreur sensoriel, convaincant par intermittence, mais conceptuellement fascinant. (V.N.)

Sortie le 27 Novembre

Sorry We Missed You de Ken Loach (Royaume-Uni, 2019)
Compétition

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Sorry We Missed You – Copyright Joss Barratt

Depuis sa révélation avec Kes, son deuxième long-métrage en 1969, Ken Loach, construit une œuvre cohérente et militante, oscillant entre des films contemporains abordant les dérives sociétales et un versant historique scrutant les heures noires de la Grande-Bretagne. Connu et reconnu, le cinéaste a toujours été productif, affichant une régularité qualitative notable, invité récurrent des grands festivals, c’est à Cannes où il se distingue le plus, ayant récolté sept prix pour un total de treize sélections. Après une retraite annoncée en 2014, dans la foulée de la sortie du très beau Jimmy’s Hall (trop méconnu alors qu’il s’agit peut-être sa réalisation la plus saisissante sur la décennie 2010), il avait effectué un retour en 2016 avec Moi, Daniel Blake. Présenté comme la majorité de ses derniers films, sur la croisette, il avait décroché à la surprise générale, la palme d’or, entrant dans le cercle très restreints des cinéastes doublement palmés (Francis Ford Coppola, Luc et Jean-Pierre Dardenne, Michael Haneke, Shōhei Imamura, Emir Kusturica, Alf Sjöberg et, pour ceux qui s’en souviennent, le relativement médiocre Bille August).
Une récompense que l’on se permettra de juger un peu trop grande, remise à une œuvre certes estimable mais pointant des limites cinématographiques palpables (filmage avant tout fonctionnel) également affublée de quelques facilités d’écriture (charge flirtant avec la caricature, tentation du pathos). Il n’en demeure pas moins qu’à bientôt 83 ans, Ken Loach reste une valeur sûre n’échouant que rarement (le démagogique et paresseux, bien que très célébré, La Part des anges) et toujours pleinement en capacité d’ausculter la société au sein de laquelle il évolue. Son nouvel opus, Sorry We Missed You, constitue en ce sens, une nouvelle preuve de cette bonne santé. L’action se situe à Newcastle où vivent Ricky, Abby et leurs deux enfants. Leur famille est soudée alors qu’Abby travaille de manière dévouée pour des personnes âgées à leurs domiciles et que Ricky enchaîne les jobs mal payés. Ils réalisent que jamais ils ne pourront devenir indépendants ni propriétaires de leur maison. Une réelle opportunité semble leur être offerte par la révolution numérique : Abby vend alors sa voiture pour que Ricky puisse acheter une camionnette afin de devenir chauffeur-livreur à son compte…

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Sorry We Missed You – Copyright Joss Barratt

Une nouvelle fois écrit par son fidèle scénariste, Paul Laverty (inséparables depuis Carla’s Song en 1996), le cinéaste fustiges les dérives de l’ubérisation, peignant une société en voie de déshumanisation, observée à travers l’un de ses piliers, la famille. Délaissant la charge frontale, au profit d’attaques indirectes ne ménageant en aucune façon les coups, Sorry We Missed You, convainc d’abord par la complexité de ses personnages principaux (tous formidablement interprétés). Construisant ses portraits dans une situation d’urgence, rapidement doublée de crises multiples (les problèmes de comportements de Seb, le fils aîné, réaction, rébellion d’un adolescent délaissé) dont les conséquences sur le foyer familial sont immédiates. Le scénario épingle sans détour ce qui au visionnage apparaît telle une évidence, un libéralisme décomplexé aux effets dévastateurs, multipliant les problèmes au lieu de tendre à les résoudre. Au nom d’un intérêt collectif, à savoir la pérennité financière des siens, Ricky, est poussé à un individualisme grandissant, pervers car guidé par un besoin vital et des aspirations nobles. Plus simplement, afin de préserver sa famille, celle-ci va se retrouver au bord de l’implosion. Obligé de se plier à des conditions et méthodes de travail, à la fois révoltantes, malsaines et dangereuses, que lui et ses collègues n’ont d’autres choix que d’accepter, rendus dociles par la précarité et la peur de ne pas trouver d’autre emploi. Plus de traces de syndicats ou d’un éventuel esprit d’équipe, de solidarité, dans un univers où chacun est mis en concurrence avec l’autre, où le moindre retard, la moindre absence peut-être fatale, où la moindre remarque est déjà perçue comme un début de révolte. Le travailleur n’a plus d’autres droits que celui d’exécuter ses « missions livraisons » et s’estimer heureux de ce que cela lui rapporte. À titre d’exemple lorsque Ricky effectue l’une de ses sessions, en se faisant aider par sa fille, gagnant d’une part en efficacité et rendant moins pénible un travail ingrat, en plus de passer du temps avec elle, il lui sera par la suite fermement demandé de ne pas réitérer. La démonstration est forte, impactante, bénéficiant d’une écriture et d’un regard parfaitement complémentaires, nous rappelant au constat suivant, Laverty et Loach comptent parmi les plus fins observateurs d’un monde moderne qu’ils dépeignent sans la moindre concession.

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Sorry We Missed You – Copyright Joss Barratt

Il n’en demeure pas moins qu’avec Sorry We Missed You, Ken Loach fait du Ken Loach « classique », induisant un cinéma où la mise en scène s’efface au profit du propos, témoignant d’une modestie notable, mais aussi éventuellement d’une limite voire d’une forme de paresse. Le geste militant tend à systématiquement étouffer une éventuelle proposition cinématographique. Ne prenons personne de court, c’est en partie pour cette raison que l’on ne s’extasiera pas outre mesure sur le film. Au risque de passer pour des ordures insensibles, on veut croire que la forme a vocation à nourrir, enrichir le fond et non l’inverse. Ici, l’intelligence du scénario se heurte à une mise en image avant tout « pratique », visant essentiellement à valoriser le discours. Traitement d’autant plus frustrant, que le réalisateur collabore avec un chef opérateur, Robbie Ryan, dont on a pu admirer les travaux magistraux pour Andrea Arnold, merveilles d’épure stylisée notamment sur American Honey ou Les Hauts de Hurlevents, il donne ici l’impression de négliger le potentiel. Surtout, au sein d’une sélection cannoise, où Bong Joon-Ho triomphait avec son classique instantané, Parasite, où Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, repartaient avec un prix pour leur western Carpenterien, Bacurau, une certaine idée du cinéma politique a été valorisée, laquelle, correspond davantage à nos aspirations. Ces considérations évoquées, Sorry We Missed You, constitue tout de même un bon cru, auquel on préférera – pour des motifs probablement subjectifs – les problématiques passionnantes qui traversaient Jimmy’s Hall ou la rage militante rarement égalée d’It’s a Free World. (V.N.)

Sortie le 23 Octobre

La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti (Italie, France, 2019)
Un Certain Regard

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Illustrateur et auteur de bandes-dessinées, connu et reconnu, Lorenzo Mattotti avait déjà commencé à flirter avec le cinéma, il y a une quinzaine d’années. En 2004, ses peintures avaient été utilisées en tant que transitions entre les trois films, sur le projet Éros, mis en scène par Wong Kar-wai, Steven Soderbergh et Michelangelo Antonioni. Un an plus tard, il réalisait l’un des six segments sur l’anthologie d’animation Peur(s) du noir aux côtés de Blutch et Charles Burns notamment. À 65 ans, voilà qu’il franchit le pas en signant son première long-métrage, La Fameuse invasion des ours en Sicile, adaptée du roman pour enfants de Dino Buzatti, également illustré par ses soins en 1945. Épaulé dans son travail d’adaptation par l’excellent Thomas Bidegain (scénariste d’Un Prophète, De Rouille et d’os, Dheepan, Saint Laurent mais aussi réalisateur du très solide Les Cowboys) qui prête également sa voix à l’un des personnages, aux cotés d’un autre scénariste de renom, Jean-Claude Carrière et, au doublage, d’acteurs comme Leila Bekhti ou Arthur Dupont mais aussi Toni Servillo pour la version originale. Dix-ans après avoir conçu l’affiche officielle du Festival de Cannes, histoire de boucler la boucle, Lorenzo Mattotti présentait sa première réalisation sur la croisette, section Un certain regard. Le récit débute en Sicile, le jour où Tonio, le fils de Léonce, roi des ours, est enlevé par des chasseurs… Profitant de la rigueur d’un hiver qui menace son peuple de famine, le roi Léonce décide de partir à la recherche de Tonio et d’envahir la plaine où habitent les hommes. Avec l’aide de son armée et d’un magicien, il finit par retrouver Tonio et prend la tête du pays. Mais il comprendra vite que le peuple des ours n’est peut-être pas fait pour vivre au pays des hommes…

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La Fameuse invasion des ours en Sicile séduit dans un premier temps par son animation, totalement à contre-courant des tendances dominantes dans le secteur, ce qui n’étonne guère, quand on voit au générique figurer Prima Linea Productions, studio d’animation français, déjà derrière La Tortue Rouge de Michael Dudok de Wit mais aussi de Peur(s) du Noir, qui s’est fait le spécialiste d’un cinéma animé européen « alternatif ». Le film est visuellement à la fois fidèle au style propre à son réalisateur, celui marquant ses dessins couleurs des années 80 notamment, Feux et Nocturne par exemple, dans l’utilisation de couleurs vives, un goût pour les traits « arrondis », le tout transposé vers une forme un peu plus « jeune public » (aucune considération péjorative ne se cache derrière ce terme) tout en croisant la 2D avec des saisissantes perspectives de 3D (les décors montagneux sont assez splendides) et en venant s’inscrire dans un héritage précis de l’animation, celui de classique de la trempe du Roi et l’oiseau de Paul Grimault. Emballée par une mise en scène dynamique et pleine de trouvailles, l’utilisation de la magie permet par exemple au long-métrage de s’offrir de belles envolées poétiques, telles cette armée de sangliers s’envolant et ainsi rendue inoffensive. Derrière ses qualités de fabrication et un ensemble conçu pour être accessible au plus grand nombre, il y a une œuvre adulte, toujours pertinente dans sa réflexion, et ce, plus de 70 ans après sa parution. Adaptation interdite de son vivant par Dino Buzzatti, lui-même auteur réputé inadaptable, La Fameuse Invasion des ours en Sicile, bénéficie d’apports (ou trahisons) de ses scénaristes. À commencer par l’ajout de deux nouveaux personnages, deux conteurs (un troisième fera ensuite son apparition) évoquant la commedia dell’arte, et d’une suite à l’intrigue originelle. Récit dans le récit, spectacle dans le spectacle, ce jeu de poupées russes entrepris par Lorenzo Mattotti est plus ludique que cérébral, venant répondre à un appréciable appétit de cinéma. Écrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conte moral peut se targuer en 2019 de tendre vers d’autres sous-textes politiques, plus raccords avec l’actualité, la question du vivre-ensemble d’une part mais surtout la question migratoire, plus que jamais au cœur du débat en Italie à l’heure où son ministre de l’intérieur se nomme Matteo Salvini. La voie de la fable évitant les discours frontaux, sans pour autant simplifier ou survoler des problématiques complexes, préférant user de métaphores et symboles, venant enrichir l’animation d’une dimension merveilleuse. Drôle, intelligent, émouvant, réflexif et pédagogique, ce coup d’essai confronte deux univers singuliers pour un résultat aussi étonnant qu’excitant. (V.N.)

Sortie le 9 Octobre

Le Traître de Marco Bellocchio (Italie, 2019)
Compétition

Le Traître – Copyright Ad Vitam 2019

La renaissance, ou tout du moins le net regain de santé, du cinéma Italien a été l’un des faits marquants du cru cinématographique 2018. Tandis que le pays connaissait une forme de faillite politique (débâcle des partis « classiques », victoire des mouvements populistes) comme – malheureusement – la conséquence logique d’une crise durable (faible croissance, chômage qui explose…), le 7ème art voyait nombre de ses cinéastes phares exceller. Ambition retrouvée de traiter son Histoire, de relire son actualité à travers son passé, politiser son propos, revenant ainsi aux fondamentaux d’un cinéma contestataire très en vue durant les années 60 (Main Basse sur la ville de Francesco Rosi) et les Années de Plomb (La Mafia fait la loi de Damiano Damiani). De la fable Pasolinienne d’Alice Rohrwacher, Heureux comme Lazzaro, aux deux films de Luca Guadagnino (les années 80 pour Call Me By Your Name, même son controversé remake de Suspiria se permet des échos au nazisme, à la séparation des blocs de l’Est et de l’Ouest, en passant par le puissant Sur ma peau d’Alessio Cremonini. Nos deux préférés demeurant Loro de Paolo Sorrentino, qui ausculte la société Italienne à travers la figure de Silvio Berlusconi en adoptant une approche très « Verhoevenienne » (comprendre que sont repris et déclinés les codes disons, vulgaires, de l’esthétique Berlusconienne comme leitmotiv de la mise en scène, mais aussi motif de critique implicite) et Dogman de Matteo Garrone, transcription d’un fait divers sordide, peinture désespérée d’une nation volant en éclats. Dans ce contexte, le retour de Marco Bellocchio, et ses quatre-vingts printemps approchants, que l’on pourrait qualifier de doyen des réalisateurs transalpins, s’il ne restait pas Paolo Taviani, encore plus âgé que lui (87 ans), dont l’œuvre a toujours été éminemment politique, était particulièrement attendu. Dix ans après Vincere, le voilà qui revient à un cinéma biographique et historique (même si l’on n’oublie pas que La Belle endormie, traitait de l’Histoire à très court terme), en se frottant, ce qui est aussi étonnant que réjouissant dans une carrière s’étendant à près de soixante années, à un genre nouveau : le film criminel. Il nous replonge, près de quarante ans en arrière, au début des années 80, alors que la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta (Pierfrancesco Favino), membre de la Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s’enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, ce dernier prend une décision qui va changer l’histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à la « Pieuvre »…

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Le Traître – Copyright 01 Distribution 2019

Une gigantesque fête est donnée dans une luxueuse villa où sont réunis des chefs mafieux, leurs femmes et leurs enfants, tandis que l’action s’articule subtilement autour de la figure du charismatique Tommaso Buscetta, homme de l’ombre discret et respecté. Arpentant les salles du palace à la recherche de son fils, il fait le lien entre tous les individus présents, la caméra le suivant dans ses moindres déplacements, révélant les rapports, les amitiés et les tensions. On intercepte par bribes, ragots et histoires personnelles, certaines figures se croisent, d’autres s’évitent, se cachent. En quelques minutes et avec une virtuosité certaine, Bellocchio pose les différentes strates de son film, tant sur le plan historique (les rapports entre les clans de Corleone et de Palerme, la discrétion de Salvatore « Toto » Riina, masquant son visage sur la photo de groupe) que privées (le désir de Buscetta de quitter ce milieu, la dépendance de son fils à l’héroïne, ombre planant au-dessus de la mafia comme un tournant « moral » impardonnable pour le protagoniste). À l’aide d’un travail de montage assez étourdissant, Le Traître, contient plusieurs morceaux de bravoure équivalents à cette scène inaugurale telles ces séquences d’exécutions sommaires accompagnées d’un décompte des morts s’affichant à l’écran (un « body count » littéral) conclues par un superbe plan observant l’un des membres du clan s’effondrer sous les balles au milieu d’une pièce remplie de miroirs, lesquels démultiplient son image, accentuant ainsi la violence de sa mort. Refusant d’enfermer son long-métrage dans un seul registre, ou le cantonner à une simple relecture de celui-ci, le cinéaste se plaît à jouer avec les ruptures de tons, en donner plusieurs couleurs. Passé l’introduction tendue, aux accents crépusculaire, il fait le choix d’exiler son héros au Brésil, ce nouveau cadre donne lieu à une multitude de plans dotés d’une grande profondeur de champ sur les hauteur de Rio, traduisant un sentiment de liberté retrouvée, dont le caractère éphémère contribue à ajouter un soupçon d’ironie et de fatalité. Plus tard, lorsque que tombe la sentence à l’issue du premier procès, l’utilisation du Choeur des esclaves, tiré de Nabucco, l’opéra de Giuseppe Verdi, apporte à la fresque mafieuse une dimension purement tragique. À l’inverse, quand plus tard, apparaissent à l’écran des centaines de rats fuyant précipitamment, suivis de titres des journaux annonçant les rafles de mafieux, l’ensemble se révèle beaucoup plus sarcastique. Marco Bellecchio, ne se pose jamais en simple rapporteur factuel d’une époque, préférant créer de vrais moments de cinéma, en s’appuyant sur des personnages hauts en couleurs et pourtant bien réels (voir pour s’en convaincre la jouissive scène de confrontation entre Buscetta et Pippo Calo dans un tribunal transformé, en arène hystérique et presque surréaliste).

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Le Traître – Copyright Ad Vitam 2019

La peinture de quinze ans d’une vie de mafieux trouve un écho dans la situation actuelle, l’impossibilité pour l’Italie de se sortir de l’emprise de la Cosa Nostra, implantation ancestrale ancrée dans les mœurs comme faisant partie intégrante du pays. Marco Bellocchio en rajoute une couche par l’apparition courte mais lourde de sens d’une figure notable de la politique italienne. Un certain Giulio Andreotti, chef de la Démocratie Chrétienne, par sept fois président du Conseil des ministres entre 1972 et 1992 (déjà héros d’Il Divo de Paolo Sorrentino, sous les traits de l’impérial Toni Servillo), au cœur de nombreuses affaires en lien avec la Pieuvre. Pour autant, cette analyse pessimiste et désabusée, le cinéaste ne la limite pas à sa patrie, il délivre également un tableau peu flatteur du Brésil et des États-Unis (où Buscetta est caché dans le cadre d’un programme de protection des témoins). Dans la terre du football, alors encore sous le joug de la dictature militaire (dont le souvenir fait froid dans le dos à l’aune de l’élection récente de Jair Bolsonaro), il filme sans détour des méthodes de la police locale que l’on qualifiera de très expéditives, lors d’une séquence clef qui obligera le protagoniste à collaborer. Au pays de l’Oncle Sam, moins spectaculaire mais tout aussi frappant, la fascination pour les armes est rendue palpable à travers un plan montrant de nombreux fusils d’assaut vendus banalement dans les rayons d’un supermarché. Violence mondialisée et corruption généralisée agissent comme un étau se resserrant inévitablement autour du héros (ou plutôt antihéros). Sa rédemption, son combat politique contre l’organisation tentaculaire, se muent en quête personnelle autodestructrice, une obsession qui le pousse à continuer sa bataille juridique (doublée d’une colère vengeresse et subjective) au détriment de sa sécurité et de celle de sa famille. L’excellent Pierfrancisco Favino, acteur emblématique du nouveau film noir transalpin, déjà vu, entre autres, dans Romanzo Criminale et Suburra (autre film récent traitant des liens entre la politique et la mafia), incarne un individu esseulé, le fameux traître du titre, donnant au réalisateur l’occasion d’ausculter les rouages de la Cosa Nostra à travers les yeux d’un repenti. Même si Le Traître s’inscrit dans la mythologie du cinéma mafieux, dont il reprend certains codes (le regret d’avoir « collaboré » et de retrouver une vie normale, considérée comme minable, renvoie au final des Affranchis, quand le souvenir récurrent du premier meurtre commis, évoque les flashbacks de la jeunesse de Don Vito dans Le Parrain II), ceux-ci sont le plus souvent détournés. Ainsi, à l’instar du jeune Michael Corleone dans la première partie du chef-d’œuvre de Francis Ford Coppola, fuyant sa famille criminelle et aspirant à se ranger, Bellocchio choisit un marginal, un renégat revenu de tout, connaissant par cœur le système. Loin de glorifier le milieu qu’il traite, il dépeint un panier de crabes où les coups bas et les batailles d’ego sont monnaie courante, un environnement morbide agissant en toute impunité, se pensant au-dessus des lois, enfermant ses membres dans un piège sans issue. Loin du « Rise and Fall » Scorsesien, devenu un lieu commun du genre, ici le salut et l’élévation de son héros passent par sa faculté à se sortir de son milieu d’origine, quitte à devoir sacrifier tout le reste. (J-F.D. et V.N.)

Sortie le 30 0ctobre

Hors Normes d’Éric Toledano et Olivier Nakache (France, 2019)
Hors Compétition

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Hors Normes – Copyright Carole Bethuel 2019

Tandem exerçant depuis maintenant près de quinze ans, révélé par Nos Jours heureux (leur deuxième long-métrage après le coup d’essai Je préfère qu’on reste amis) et mis sur orbite quelques années plus tard avec le succès stratosphérique d’Intouchables, Éric Toledano et Olivier Nakache confectionnent une œuvre, que certains n’hésitent pas à observer avec condescendance, mais pourtant notable et estimable dans le paysage sclérosé du cinéma populaire français. Artisans d’un divertissement noble et rassembleur (que les détracteurs taxeront de « consensuel »), s’inspirant autant de la comédie italienne des années 60/70, que de son versant social et anglais, en passant par les réalisations d’Yves Robert ou encore celles de Blake Edwards. Très bons directeurs d’acteurs, dotés d’une maîtrise du comique de situation et d’un sens de la formule souvent efficaces, leur filmographie oscille entre la farce pure mais néanmoins touchante (dont les deux plus belles réussites seraient Tellement Proches et Le Sens de la fête) et une veine plus dramatique à tendance sociétale, dont Intouchables serait le parfait prototype. Hors Normes, leur septième réalisation portée par un duo d’acteurs inédits, n’ayant jamais joué ensemble auparavant, Vincent Cassel et Réda Kateb, s’inscrit dans ce deuxième versant. Projet dont l’origine remonte à près de vingt-cinq ans en arrière, lors de la rencontre des réalisateurs avec Stéphane Benhamou et Daoud Tatou, les créateurs de deux associations atypiques. On y suit donc Bruno (Vincent Cassel) et Malik (Réda Kateb) vivant depuis 20 ans dans un monde à part, celui des enfants et adolescents autistes. Au sein de leurs deux structures respectives, ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas qualifiés « d’hyper complexes ».

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Hors Normes – Copyright Carole Bethuel 2019

Brouillant les pistes dès l’ouverture, avec une séquence nerveuse à la photographie étonnamment terne, réaliste, cadrée caméra à l’épaule, suivant une adolescente fugueuse dans une rue passante, les cinéastes retardent l’apparition de Malik, présenté en pleine action dans ce qui semble être, au premier abord, une arrestation policière musclée. Rapidement le contexte s’éclaircit pour le spectateur, lorsque Bruno est introduit dans une scène comique où il doit retrouver l’un des jeunes handicapés placés sous sa responsabilité, arrêté par la sécurité de la SNCF. En quelques minutes, Nakache et Toledano posent avec fluidité les problématiques de leurs deux héros ainsi que le fonctionnement complexe de leurs activités. Par cette façon de mêler le réalisme de l’approche extrêmement documentée du milieu associatif et la tendresse du regard posé sur les différentes individualités, ils réussissent ce qu’ils avaient en partie échoué dans leur inégal (et seul réel ratage) Samba avec la peinture du quotidien d’un sans papiers. Là où les pérégrinations du personnage interprété par Omar Sy souffraient d’une « romantisation » maladroite, visant à enjoliver une réalité âpre (notamment à travers l’histoire d’amour avec Charlotte Gainsbourg), ici, rien n’est épargné de la dureté du combat des protagonistes (des obstacles administratifs aux aléas inhérents aux personnalités de chacun). Hors Normes se démarque aussi par un refus d’édulcorer la violence présente dans certaines situations, quelle soit physique (l’un des enfants autistes arborant constamment un casque de boxe afin d’éviter de se blesser, casse le nez de Dylan, l’un des aidants) ou dans les rapports humains (voir la manière dont les agents de sécurité traitent Joseph, le protégé de Bruno). À travers le parcours touchant du personnage de Vincent Cassel, se dessine également un sacrifice personnel, celui d’un homme entièrement dévoué à sa « mission », négligeant sa vie intime. Les professionnels, déconsidérés voire traités comme des hors-la-loi par l’État, fragilisés par des conditions de travail précaires, trouvent dans une forme de solidarité entre individualités hétérogènes, une force pour continuer à porter leur voix et leur combat.

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Hors Normes – Copyright Carole Bethuel 2019

La communauté, le groupe, le clan, sont les différentes facettes d’une composante majeure du cinéma de Nakache et Toledano tant devant que derrière la caméra. Au fil de leurs sept longs-métrages, ils ont ainsi créé une véritable famille de cinéma, s’entourant de comédiens récurrents parmi lesquels Jean-Paul Rouve, à l’affiche de trois de leurs comédies, Omar Sy, présent dans quatre d’entre eux, ou encore Hélène Vincent, déjà au générique de Samba et Le Sens de la fête, qui joue ici le rôle de la mère de Joseph. Cette volonté de rassembler des individus venant de tous horizons se traduit à l’écran par une capacité à rendre attachants une multitude de personnages (les membres d’une famille dans Tellement Proches, les animateurs d’une colo dans Nos Jours heureux, les différents participants et organisateurs d’un mariage dans leur film précédent), à les faire tous exister sans donner la sensation d’en négliger certains, mais au contraire en familiarisant le spectateur avec chacun d’entre eux, en le plongeant dans leur microcosme tout en le rendant cinématographique. Dans Hors Normes, leurs enjeux intimes et professionnels sont constamment vecteurs d’intensité, que celle-ci s’exprime sur un mode léger (comme lorsque les abréviations, les acronymes et les sigles des différentes catégories d’organismes d’État deviennent la base d’un jeu), dramatique ou tendu (les diverses pressions que subit Bruno au cœur de nombreuses séquences d’entretiens entre les inspecteurs de l’aide sociale et les proches de ce dernier). L’une des forces du film est son écriture faite de ruptures de tons, les auteurs n’hésitant pas à apporter un fond de légèreté dans une situation dramatique, non pour désamorcer sa gravité mais pour créer une respiration bienvenue, ou, à l’inverse, rattraper la légèreté de l’instant par une tonalité plus sombre qui n’est jamais loin, un numéro d’équilibriste que les auteurs réussissent brillamment. Ainsi, au détour d’une séquence riche en suspens, ils n’hésitent pas à basculer vers le thriller urbain tranchant nettement avec l’humour et la légèreté des secondes précédentes. Ce jeu entre les tonalités doit aussi beaucoup à ses deux comédiens principaux, l’un et l’autre plutôt identifiables dans des rôles purement dramatiques, même si l’on minore encore trop le potentiel comique de Vincent Cassel (voir ses deux prestations chez Romain Gavras, Notre Jour viendra et Le Monde est à toi, mais aussi les séquences de procès dans L’Ennemi public n°1) et que l’on a récemment pu entrevoir celui de Réda Kateb dans L’Amour flou. Comédiens justes et généreux, entourés d’une « troupe » tout aussi talentueuse (dont certains non-professionnels), Alban Ivanov (déjà très bon dans Le Sens de la fête) en tête, leur investissement est palpable. Dans ces conditions, on est plus enclins à pardonner un final démonstratif aux allures de spot publicitaire venant céder à une facilité presque contraire au reste du long-métrage. Tout comme les précédentes œuvres du duo, Hors Normes s’affirme à contre-courant des tendances dominantes arborées en toute inconséquence par les fossoyeurs de la dignité du cinéma populaire hexagonal (on laissera nos lecteurs deviner qui peut bien-être visé), armé d’un humour fédérateur, paré d’une sensibilité plus d’une fois désarmante de justesse, il touche sa cible avec douceur et force. (J-F.D. et V.N.)

Sortie le 23 Octobre

 

 

 

 

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