Sale temps pour cette dernière journée arrageoise : le ciel est gris, et le cœur déjà lourd d’un passage trop express dans un festival qui cultive avec brio l’art de la programmation (de la sélection officielle, parfois trop sociale à notre goût, aux différentes thématiques et coups de projecteurs qui recèlent quasiment systématiquement des pépites) et de l’accueil. On s’y sentait bien, sans doute un peu plus que sur les deux gros dérapages compétition du jour : un plutôt craint, et un plutôt attendu. Deux déceptions à la clef : on n’aime décidément pas les dimanches.

  • Anna’s life, de Nino Basilia

Arras et l’argent, le retour. En ce dernier jour de compétition, ca ne rigole pas des masses dans les appartements hypothéqués. En tout cas pour Anna, héroïne de l’éponyme Anna’s life, sorte de Dardenne de l’Est dont le tour de main consiste comme habituellement à regarder bien tranquillement un héros plutôt sympathique se vautrer dans la misère la plus totale.

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Liste dans le désordre : Anna a un fils autiste et plus un sou pour payer sa pension, Anna n’a pas le droit aux alloc, Anna se fait avoir sur des faux papiers pour lesquels elle a vendu son appart. Mais comme Anna aime bien la mouise, elle réussit à tomber enceinte d’un coup d’un soir avec un amoureux muet. Tout ça serait suffisant (vous en reprendrez un peu ?) si elle ne risquait pas de perdre son emploi de femme de ménage et que sa grand-mère ne commençait pas à avoir les fils qui se touchent.

Bref : Anna en a ras-le-cul, et trouve que la meilleure idée pour se sortir de ca serait de kidnapper la fille de son mafieux de service.

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Pas besoin d’être un génie pour se rendre compte qu’Anna n’a pas fait math sup en plan machiavélique et que ca va mal finir, comme à peu près tout ce qui touche à ce film plutôt bien mis en scène par ailleurs (succession de plans séquences qui étirent le temps, jolies séquences lors du kidnapping) et dont l’héroïne bouleverse, mais qui, comme dans chacun des rejetons de ce cinéma tendance social, nous fait questionner l’idée d’attaquer de tels problèmes dramatiques par la face nord alors que des objets pop comme le superbe Roues libres réussit à en dire au moins tout autant en réorganisant le réel.

Cette simple question, lancinante : pourquoi pas un documentaire ?

  • Houston we have a problem, de Ziga Virc

C’était le film le plus attendu par la rédaction pour cette édition 2016 : un vrai-faux documentaire autour d’un supposé accord secret entre américains et yougoslaves pour le rachat au début des années 60 du programme spatial secret démarré par Tito, pour la modique somme de 3.5 Milliards de dollars (aide réellement versée à l’époque).

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Problème : arrivés aux USA avec un cargo chargé de documents, les yankees remarquent vite qu’ils se sont un peu fait c**llonnés par nos amis buveurs de rakja. Rien ne fonctionne dans leurs plans, et rien ne fonctionnera jamais. They want their money back, and they will have it : « alu ui c’est les US, en fait c’était un prêt, pas un don. Sorry sorry, lulz ». Quitte à faire exploser progressivement le pays.

Basé sur des images d’archives yougoslaves, des interviews de quelques protagonistes bien réels et d’historiens sur le sujet, le film détonne et questionne par sa capacité à mettre en scène les grands enjeux du siècle -guerre froide, mouvement des non-alignés, assassinat de Kennedy- dans un mouvement filmique qui semble dire sans cesse « Et si ».

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C’est le rôle plaisant d’un Slavoj Zizek en chaussettes dégueulasses qui vient commenter l’action en évoquant croyance et mythe, voire figure du père noel « personne n’y croit, mais tout le monde fait semblant ». Et conclura par un sublime : « et si : et si tout était faux, tout cela dirait quelque chose de l’époque, et du monde dans lequel nous vivons. »

Et si (bis), ne manquant pas d’élégance et plutôt agréable au regard par ses différentes couches narratives de l’historique à l’intime, Houston… propose une sympathique réflexion sur l’image et la société du spectacle (quoique à mille lieues de la qualité d’un William Karel avec Opération Lune sur un sujet très similaire), avec témoignages d’autorités, détournement par recontextualisation d’archives bien réelles, etc., le film de Ziga Virc instille aussi progressivement un malaise.

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Car dans ce projet qui utilise le faux pour dire le vrai, et qui avoue vouloir aboutir à un spectateur éveillé et critique surnage une figure quasi divine et intouchable : Tito lui-même, que l’on voit s’ébattre et s’ébrouer tranquillement dans sa lutte pour préserver l’intérêt de son pays. C’est Tito à la plage, Tito aux USA, Tito sur sa terrasse, Tito qui fume un cigare : un vrai petit père des peuples.

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Pis : en utilisant le mocumenteur (nouvelle entrée du Larousse culturo) comme fable à même d’expliquer le délitement de la Yougoslavie, le film aboutit progressivement dans sa seconde partie à une contre-vérité absolue, qui frise l’ostalgie bas du front.

En résumé express : certes, il n’y a pas eu de programme spatial et de complot, mais si le pays s’est effondré, c’est bien à cause d’enjeux internationaux, américains notamment.

Adieu à toi, fait historique : cette volonté d’expliquer l’explosion du pays par des facteurs uniquement extérieurs (ce que le débat post-projection avec le producteur semble confirmer) est un mensonge, simplification tout aussi dangereuse finalement que l’idée de complot elle-même, car elle en vient à résumer par des excuses extérieures des faits majoritairement dûs à une haine centenaire (croates VS. serbes), une montée des nationalismes (dont partie peut être attribuée à Tito lui-même et qui ne sont évoqués ici en creux que comme réaction au remboursement de la dette américaine), une économie vacillante et légitiment perfusée par les USA, etc.

Retirer ce mouvement interne flirte avec la malhonnêteté, comme si ce supposé « nous allons vous ouvrir les yeux » n’était qu’un meilleur moyen d’entériner une nouvelle manipulation. Le vrai est un moment du faux disait Debord (très justement cité par notre compatriote Rémi Boiteux, ex-culturo-boy) ? Nope : laissons le faux remplacer le faux. Truth, we have a problem.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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