Paul Vecchiali – entretien 3 : « hétérogénéité et contingences »

« L’antinaturalisme » des films, leurs écritures soutenues, autant textuelle que formelle, auront valu au cinéaste un reproche et un malentendu récurrents : sur l’artificialité ou la théâtralité de ses films. La qualité, parfois perçue comme un défaut, est à rapprocher de ce que Vecchiali appelle « la dialectique » (voir la première partie de l’entretien), c’est-à-dire « la chose et la critique de la chose » (pour reprendre Truffaut), un endroit où se joue pour le spectateur la possibilité de douter ou de croire, de passer par des états émotionnels contrastés, de s’amuser et de « travailler »… Cette hétérogénéité, fondamentale pour Vecchiali, est ce qui donne sa vie au film et à son contenu, pour l’expérience qu’en fait spectateur, davantage que l’imitation « néo-naturaliste » de la réalité, ou qu’une diction supposée authentique.

Il y a donc dans ce cinéma des contradictions animées et des moments de conflits productifs, parfois déroutants. Pour reprendre une expression du cinéaste : il donne un peu de « travail à emporter à la maison », du grain à moudre. Vecchiali peut donc conduire la forme très rigoureusement quand cela l’exige, par une prouesse de plans-séquences comme dans « Femmes Femmes » et plus encore dans « Once More » ; et tout autant nourrir son film par des éclats de hasards imprévus, qui en troubleront la conduite en apportant autant de doute, de véracité, que de vitalité. En ce sens, l’écriture n’est qu’un pré-texte – littéral ou figuré – au tournage. Là, tout se joue : la grâce des incidents, l’inspiration, le sublime des circonstances…

 

(…) le cinéma doit être hétérogène. S’il ne l’est pas, il ne reflète pas la vie.

 

Je dirais que le scénario, c’est le « pré-texte », et que le vrai texte, c’est le film. C’est vrai qu’il y a le pré-texte, mais c’est au moment du « moteur », que le film se passe. Et tout peut arriver. Il faut l’intégrer.

Partie 3 : hétérogénéité et contingences

Théâtre ? ; tragédie et mélodrame ; plan-séquence ; pré-texte et tournage ; la leçon de Cocteau

Vos apparitions dans vos propres films, renvoient à un aspect qui est très présent dans « Nuits Blanches… », et qui a suscité des commentaires, auxquels on peut prêter plusieurs interprétations, c’est la Théâtralité dans votre cinéma.
Les critiques accentuaient parfois le côté statique du dialogue, et en même temps de la sorte de monologue que Fédor tient face à la caméra. Mais il me semble que la théâtralité est un élément qui est un peu plus diffus, et moins frontal que cela, dans votre cinéma.

Je ne sais pas. Moi, je dis toujours que du moment où il y a une caméra et un micro, c’est du cinéma. On dit un film « théâtral », ok. Maintenant, si on voit une pièce de théâtre, avec des extraits vidéo sur l’écran, est-ce que l’on dit que c’est une pièce cinématographique ? Voilà, c’est tout. C’est un peu facile. Il y a quelqu’un qui m’a dit ça à Locarno, et je lui ai répondu. Il s’est excusé en me disant : « mais, ce n’est pas un défaut ! ». Non, le problème n’est pas là. C’est une question de voir les choses. Des mouvements d’appareil, j’en ai fait des masses. Il y a des plans à la grue dans « Corps à cœur » incroyables. Dans « Retour à Mayerling », vous le verrez également, il y a des plans où ça bouge !! Mais pour « Nuits Blanches », je ne m’en reconnaissais pas le droit. Il faut être à l’écoute…

et puis en même temps, dans chaque plan, il y a énormément d’évènements : le travail sur la profondeur, les sorties de cadre…

…de travail cinématographique : la ville derrière, qui est là comme une menace, floue, constamment derrière eux, quasiment comme si elle leur disait : « vous ne vous échapperez pas ; le jour va revenir et là, vous serez à nouveau prisonniers de la ville ». Le film, c’est ça pour moi. Ça n’a donc rien à voir avec Visconti et Bresson. Et il y a énormément de gens, qui, de la même façon, tout en disant beaucoup de bien du film, commencent leurs articles par le reproche : « malgré le prologue indigeste… ». Mais ce prologue, il est essentiel pour ouvrir sur le masochisme du personnage, sinon, ça ne rime à rien. En plus, pour moi, le cinéma doit être hétérogène. S’il ne l’est pas, il ne reflète pas la vie.

le prologue pose aussi la complexité du personnage de Pascal Cervo…

…c’est exact, c’est à la fois ce que vous dîtes, et, comme je l’ai dit précédemment, un passage de relai. Et à partir de ce moment, je ne me sens pas capable d’intervenir. Je pense que faire des mouvements virtuoses, ça, de toute façon, j’ai démontré que je savais les faire ; on ne peut pas me le reprocher. Le plan qui part de la cour, dans « Corps à Cœur », qui monte sur la terrasse et fait tout le tour ; il a fait vendre 22 Loumas aux États-Unis. Le gars qui me louait la Louma m’a demandé l’autorisation de s’en servir à titre de démonstration. C’est sans compter que j’adore les mouvements d’appareil, en plus ! C’est quelque chose que j’aime beaucoup mais là, j’ai fait un petit tête-à-tête avec moi-même, et je me suis dit : « non ! » Il y a quand même le premier traveling, très lent, quand ils marchent l’un vers l’autre, pour marquer – bien – la situation. On est là sur quelque chose qui est presque inéluctable, qui va se passer, avec lui en lumière, et elle dans l’ombre. Maintenant, on va décliner ça. Après, il y a un petit traveling arrière sur eux deux ; et il y a le petit traveling latéral où ils parlent d’eux-mêmes, comme si ce n’était pas eux. C’est tout. C’est – Tout ! Je veux dire que, c’est un choix, radical.

Moi, je pense que ce qui a intéressé les gens dans « Nuits Blanches… », c’est la maîtrise technique incroyable, et il ne s’agit pas de moi là, mais de la photo, du son… Il y a une maîtrise technique qui est visible, et c’est quelque chose qui impressionne toujours. Ce n’est pas ça qui va faire faire au film des millions d’entrées mais, c’est ce qui a déclenché Locarno, Saint-Pétersbourg, La Roche-sur-Yon, Sao Paulo… 17 festivals. Parce qu’il y a une apparence comme ça, entre guillemets, de grand cinéma. C’est la maîtrise… Ce n’est pas mon film préféré même si je suis très content de l’avoir fait : je trouve qu’il tient, que les comédiens, et encore une fois la technique, sont fabuleux. « L’épouvantable Pascal Cervo » est merveilleux… (Paul Vecchiali fait allusion à une mauvaise critique)

C’est vrai qu’en revoyant « Corps à Cœur », il y a aussi une théâtralité, mais qui est plus diffuse, qui est dans la représentation que se construisent les personnages sur eux-mêmes, qui est plus largement, une représentation sociale…

…tout à fait.

…et évidemment, comme dans « Femmes Femmes », où là, c’est absolument criant…

Non. Dans « Femmes Femmes », c’est le sujet.

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Pierre Cosso et Marianne Basler dans « Rosa la rose, fille publique » (1985) © Shellac 2015

…oui, c’est le sujet, mais c’est aussi présent, d’une certaine manière dans « Rosa la rose… » qui…

Moins, je trouve. C’est un vrai Mélo, « Rosa ». Et puis, surtout, il y a une symbolique énorme qui n’est pas toujours perçue, mais que les gens voient dès fois, c’est que Rosa la rose, la fille, représente le cinéma. La preuve la plus évidente, c’est qu’elle meurt quand la lumière la touche. Si vous ouvrez les portes d’une salle de cinéma, l’écran meurt. Il faut l’ombre et la lumière pour que l’on puisse voir les images. On le lit, ou on ne le lit pas, je m’en fous, mais dans mon esprit, Rosa représente le cinéma ; son souteneur est cinéphile ; et sur sa coiffeuse, on voit Brando, Darrieux, De Sica, Godard, Anna Karina… Elle est donc « cinéphilisée » par son souteneur. Elle représente donc le cinéma, et pardon de faire l’exégèse, le cinéma qui, dans son début, est dans l’innocence. C’est-à-dire qu’elle est là, et elle fait ce qu’on lui demande de faire, toujours joyeuse, gaie. Elle dit d’ailleurs : « c’est pas sale ». Vous verrez dans « Retour à Mayerling », elle le redit (Marianne Basler y joue la fille de Paul Vecchiali : Rosa, « revenue » du précédent film pour régler ses comptes avec son géniteur de fiction). « Ce que je faisais, je pensais que ce n’était pas sale », dit-elle, « parce que donner du plaisir aux gens, ce n’est pas sale ». Et quand Rosa rencontre l’amour, soit, quand le cinéma prend presque conscience de lui-même, il se regarde dans le miroir, et là, ça ne va plus. Au moment où Cosso est assis (Pierre Cosso, le personnage d’ouvrier peintre, dont Rosa tombe amoureuse dans le film initial) et compte les billets, et qu’elle, apparaît dans le miroir, on passe tout d’un coup de Rosa la rose à fille publique. Autrement dit : la conscience de son état. Elle ne peut pas le supporter. Elle va donc aller jusqu’à la mort pour essayer d’éradiquer cette chose-là. Et dans mon esprit, le cinéma a un peu tendance à aller vers la mort. On n’a pas l’obligation de le lire comme ça, ni de partager mon point de vue, mais… Godard a dit, il n’y a pas deux ans, le cinéma est mort. Je ne partage pas ce point de vue mais, je pense qu’une certaine conception du cinéma, effectivement, est morte. Ça, c’est sûr. Maintenant, il faut trouver autre chose. C’est aux gens qui suivent de le faire…

C’est vrai que l’on a moins la culture du cinéma des années 30, à fortiori parce qu’il est peu diffusé…

Il est peu visible, sauf sur Ciné+, et puis, quand même, il y a Patrick Brion. Le Cinéma de Minuit, il y va lui ! C’est un fana.

Ce film, « Rosa la Rose », c’est peut-être celui qui renvoie le plus explicitement à ce cinéma-là, y compris dans l’innocence, ou le caractère un peu pionnier de ce cinéma, qui n’était pas encore trop conscient…

…et dans un mélo qui s’avoue, aussi ! Parce que « Corps à Cœur », on m’a dit c’est un mélodrame, mais ce n’est pas vrai, pas du tout. Dans un mélodrame, les personnages subissent le destin, or, ni Pierrot, ni Jeanne-Michèle, ne sont des gens qui subissent ; ils se révoltent contre leurs états. Dans un mélodrame, on ne verrait jamais Pierrot s’installer dans sa voiture devant la pharmacie. Il est là, il lutte ! Il prend son destin en charge, quoi. Alors que « Les Orphelines » (Paul Vecchiali fait probablement allusion au film de Maurice Tourneur datant de 1933), ça leur tombe dessus ! Si je parle de ce film, c’est précisément parce que Béatrice Bruno dit à Pierrot, à moment donné : « arrête de pleurer, on a l’air de deux orphelines ! ». C’est pour bien marquer, justement, la distance. Ça m’amusait dans le film. En revanche, je revendique « Rosa la rose… » comme un vrai, vrai, mélodrame ; parce que c’est le destin qui pèse, elle se trompe. Au moment où elle croît qu’elle est foutue, Jean Sorel (l’acteur qui joue le souteneur) dit : « je veux avoir de l’argent et donner sa liberté à Rosa ». Elle, au contraire, pense qu’elle est perdue, et elle échange le déniaisement de Laurent Lévy (un jeune garçon toujours dans la rue, qui suit Rosa à la trace) contre le coup de couteau. Ça, c’est du vrai mélodrame ! De toute façon, j’aime le mélo, énormément, ce n’est pas ça, mais il y a un petit truc derrière, quoi…

C’est un peu anecdotique, mais est-ce que le personnage de Pierrot dans « Corps à Cœur », c’était une référence indirecte à Carné, ou pas du tout ?

à Carné ?…Non, non, mais je pense que la ruelle, ça vient de Pierre Prévert, Jacques Prévert, et René Clair. Ça, Oui ! Mais, en même temps, c’est le cœur antique.

oui, et là, on rejoint le théâtre…

La tragédie. Le théâtre, le drame, la tragédie…

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Nicolas Silberg et Béatrice Bruno dans « Corps à Coeur » (1979) © Shellac 2015

et les appartements sont comme des loges sur la cours.

Exactement.
Donc, « Corps à Cœur », c’est un film qui a beaucoup été travaillé parce que je l’ai fait sur neuf mois. Au fur et à mesure que je trouvais de l’argent, je faisais le film, et en même temps, je réfléchissais. Le film se nourrissait, se nourrissait, se nourrissait… beaucoup de la transformation géographique, de la transformation du milieu – les grilles de la ruelle fermées d’un seul coup, alors qu’avant elles étaient ouvertes –, des conneries comme ça… Et puis le fait que j’ai eu un don de mon oncle, qui m’a laissé 60 000 balles, et du coup, j’ai décidé d’aller tourner une partie du film dans le Midi, au lieu de le faire dans la banlieue, comme je l’avais prévu au départ. Ça apporte énormément de choses d’un coup, le Midi : la dimension solaire, la fameuse scène des mots d’amour qui est… l’un de mes plans préférés.

c’est un peu comme l’échappée en Normandie au cours du film.

Oui, mais là c’est un peu un contrechamp géographique. Le personnage (Pierrot) veut refaire ses griffes. C’est un peu dégueulasse. Elle, au début, en a conscience, et elle résiste (le personnage d’Anna, l’ancienne femme de Pierrot), mais petit à petit, elle se laisse avoir. J’aime beaucoup le plan dans la chambre, où elle parle du vent, et où la caméra part vers la fenêtre, comme ça… Ce n’était pas prévu, ça. Beaucoup de choses ont été trouvées sur le tas. Par exemple « les mots d’amour », je l’ai écrit la veille.

…et ce qui est très curieux, c’est qu’au final, cela donne l’impression d’un ensemble très cohérent, surtout pour un film réalisé sur une aussi longue période.

Eh oui, parce qu’il y a l’ordinateur qui calcule derrière ! (rires) Si tu fais ça, il faut changer ça, tu bouges ça… Oui, neuf mois et qui fait 2h06 quand même !

Le résultat est impressionnant et la photographie magnifique de Georges Strouvé y contribue ; d’autant plus qu’elle est amplifiée par la restauration.

Et celle de « L’Étrangleur » aussi ! Ça aussi, c’est quelque chose qui me bouleverse. Je me dis : « si seulement, il pouvait être là, qu’est-ce qu’il serait heureux ! » Comme Antoine Bonfanti qui a fait le son de tous mes films, et aussi le mixage, pour pratiquement tous. J’ai eu une complicité incroyable avec eux.

« L’Étrangleur » effectivement, sur le DVD je ne l’avais pas perçu, mais la richesse du montage sonore est incroyable…

…incroyable, oui. Mais dans « Femmes Femmes », quand nous avons fait le premier plan – et on a mis deux jours et demi à le faire –, un plan de 10 minutes 40, qui fait tout l’appartement, c’était très dur. Il y avait plein de problèmes et Strouvé me disait : « Paul, je t’en supplie, découpe, découpe ! ». Derrière, Bonfanti me faisait des signes : « non, surtout pas ! » Et pourtant, tout dans « Femmes Femmes » est du son direct, tout est envoyé – tout le temps ! – en direct. Les sons seuls, les pas de l’appartement du haut, ce qu’elle entend dans la cheminée, c’est du direct, envoyé en playback. La musique aussi – quand Huguette Forge arrive, et qu’elle raconte son histoire de communiante, la robe de mariée, etc. Moi, je tenais à ce plan-séquence parce que c’était la matrice du film. À partir de là, on pouvait induire tout le reste, qui arrivait… Il fallait faire un plan-séquence mais on n’y arrivait pas ! Georges a fini par mettre un rideau, pour éviter les reflets ; on avançait petit à petit ; puis les acteurs étaient paumés, ça ne marchait pas. Lundi, mardi, rien. Et il y avait des gens qui se trouvaient dans le champ ! Il y avait les meubles aussi, à enlever. Moi je réfléchissais et soudain, Strouvé me dit : « mais qu’est-ce que tu fous là, toi ? » (rires) « Coupez ! » Et le mercredi, à midi et demi, le plan est parti.

Vous savez le plan-séquence, surtout dans « Once More », c’est presque du cirque. Tout le monde travaille partout. Il n’y a pas des gens qui regardent, qui ne travaillent pas. Je sentais, surtout dans « Once More », quand je disais : « coupez ! », que tout le monde faisait une expiration, après tant de tension… Il y avait trois perchmen ; moi qui déroulais les tapis pour que le Panther avance, et dès qu’il reculait, moi j’enroulais à nouveau le tapis ; je ne voyais rien, j’étais par terre la plupart du temps. Les électros étaient là, cachés à un mètre. Ça n’arrêtait pas ! Vous savez qu’il y a eu dans Libération une série d’articles. Chaque jour, un journaliste est venu, ou un cinéaste – il y a eu Frot-Coutaz, Treilhou, etc. – qui venait sur le tournage et faisait un compte-rendu le lendemain, jour par jour. « Once More » était vraiment une folie. Ils n’en revenaient pas. C’est vraiment le film que je respecte le plus. Le plus abouti.

La tension se réfléchit, quelque part, sur le film. Elle l’anime de l’intérieur…

Évidemment. Ce n’était pas toujours facile. En studio oui, mais dehors…

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« Les Parents Terribles » (1948) de Jean Cocteau © TF1 Vidéo – Pathé

Les contingences du tournage qui apparaissaient dans « Corps à Cœur », et le fait de les intégrer, on les retrouve aussi dans « Nuits Blanches… », avec les clapotis, l’avion qui passe, des accidents qui entrent dans la narration.

Ça, j’avais prévenu les acteurs : « Attention, une seule prise ! Donc, s’il y a des nuisances sonores, vous les intégrez ». C’est pour ça qu’Astrid dit : « c’est votre avion ? » Avec mon assistant, nous étions morts de rire. Pascal aussi, a très bien réagi.

C’est drôle, car il y a aussi l’histoire du I-phone, et, au bout d’un moment, on ne discerne plus tout à fait ce qui relève de la vraie contingence, ou de celle qui est écrite, prévue.

Oui, la pseudo-modernité qui intervient dans un texte très écrit… Mais ce qui est joli, dans l’histoire de l’avion et du bateau – les deux répliques d’Astrid se suivent dans le même plan –, c’est qu’après que Pascal lui réponde : « mais vous n’allez pas me demander tout le temps si c’est mon avion ou mon bateau, non ? », le bateau passe, flou, avec ses petites lumières, dix secondes après. C’est magnifique!

C’est comme une réponse directe de l’environnement !

Au tournage, on a des bonheurs comme ça, parce que le hasard sert.

Ça me rappelle d’ailleurs les entretiens de Bresson qui ont été rassemblés récemment, dans lesquels il affirmait devant Godard qui était sidéré, que le tournage était pour lui une improvisation.

Alors moi, j’ai une autre formule. Je dirais que le scénario, c’est le « pré-texte », et que le vrai texte, c’est le film. C’est vrai qu’il y a le pré-texte, mais c’est au moment du « moteur », que le film se passe. Et tout peut arriver. Il faut l’intégrer. On a de grands aînés qui ont su faire ça comme Jean Cocteau avec « Les Parents Terribles » (…). Le film se termine sur un plan, qui part d’Yvonne de Bray en train de mourir, qui recule, traveling arrière, et on voit toute la « famille » autour, tous les gens du film. Marcel Andrais, Gabrielle Dorziat, Marais, Josette Day, etc. Quand ils vont aux rushes, le cadre du travelling bougeait, il se balançait. Le producteur affolé, dit à Cocteau: « mais vous savez qu’on a cassé le décor ! qu’est-ce qu’on fait ! ». Il lui répond : « pas de problèmes ! » Comme l’appartement, ils appelaient ça la roulotte… Cocteau a mis un bruit de roulotte sur le travelling. Et voilà. Chapeau l’artiste !

Ça, c’est une chose qui m’a marqué. Quand j’ai fait « Wonderboy », on a eu des tas de problèmes mais surtout, à moment donné, on devait avoir 1800 figurants dans les scènes de boxe, et on les avait eus, mais comme le film s’est arrêté, ils se sont barrés. Et le jour où on a tourné, il n’y en avait plus que 120. Que faire ? Pour la première fois de ma vie, j’ai pris un combo, pour vérifier ce qu’on voyait dans l’écran. Il s’est trouvé, et je ne le savais pas, que le combo était flou en haut, et flou en bas. Quand on va aux rushes, tous les gradins étaient vides, en bas et en haut, et entre, on voit 120 personnes. La cata. Le producteur vient et me demande ce que l’on fait, le décor est détruit, etc. Je lui dis : « ne t’inquiète pas ». Et dans le même plan, j’ai fait le champ et le contrechamp. On voit la scène, telle qu’elle est faite avec des mouvements d’appareil très lourds, et on a en surimpression les spectateurs, qui crient. On passe de l’un à l’autre sans être gênés, avec en plus Bach et Vivaldi en fond ; c’est un plan sublime ! Mais il n’aurait pas été sublime s’il n’y avait pas eu cet incident. C’est pour cela que je garde la leçon de Cocteau devant un problème. Je dis tout de suite : « Attendez ! Il faut trouver une solution ». Il ne faut pas dire que c’est foutu, que l’on va le refaire. Non non ! C’est très bien d’avoir des aînés comme ça, qui pensent pour nous.

à suivre

En tête d’article :

Paul Vecchiali devant la Villa-Cota ; photographie prise durant les repérages de « En Haut des Marches », juin 1982

propos recueillis par William Lurson
de grands mercis à Paul Vecchiali ; Malik Saad et Emmanuel Vernières.

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A propos de William LURSON

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