Bon, on vous a un peu mystifié hier avec cette histoire de gel, de frimas, de chapons. Le frimas a laissé place à une gadoue liquide, et le chapon atteint des prix stratosphériques. Bref, il fait gris, mais la jeunesse apporte un peu de couleurs et de rêves. Retournons vite au pays des imaginaires.

 

Pierre-Emmanuel Lyet – Ce jour-là (Seuil Jeunesse)

Difficile de résumer ici le propos de ce très beau livre de Pierre-Emmanuel Lyet. Ce jour-là, mamie est enterrée. La famille est là, les adultes pleurent, sont absents.

« Tout semble gris », dit le petit garçon. Et pourtant : à chaque page, c’est plutôt la couleur qui explose, en crayon gras et pastel.

Parce que le petit garçon décide de partir se promener dans la nature blanche que recouvre d’absurdes mais magnifiques couleurs, et de se souvenir.

Le livre engendre alors un double mouvement extrêmement émouvant : à chaque double page « Je me souviens », à chaque anamnèse traitée dans le minimalisme d’un fond blanc, répond une double page silencieuse, morceau de Nature, où explosent les bleus, les rouges et les jaunes dorés dans un tourbillon ahurissant. Il se souvient ses cheveux, que la neige lui rappelle, il se souvient son chignon, sa main…

…et bizarrement, comme si petit à petit l’un et l’autre se contaminaient et surtout débordaient le lecteur, de cette grande histoire de deuil nait une forme apaisante de joie. La grand-mère disparue devient la chaleur de la couleur, la beauté des teintes, les aplats et les traits., la magnificence d’une pomme de pin, la pluie de l’arc en ciel et des feuilles d’automne.

Magie bouleversante des émotions et des couleurs, le deuil se vit comme une balade sensorielle, gorgée de la chaleur des souvenirs, et lorsque sa balade finie, le petit se rappelle la dernière fois qu’il l’a vue et que, rejoint par son papi, il dit « nous sommes rentrés tous les trois », et qu’à l’image, il n’y a physiquement que l’enfant et le grand père, sur les versants de la montagne, dans la beauté riche des sapins, nous-mêmes, lecteurs petits ou grands nous n’en doutons plus : elle, aussi, elle est là. (JNS)

 

 

Chloé Pince – Tant qu’on l’aura sous les pieds (CotCotCot éditions)

Illustré par des dessins inspirés de la réalité du lieu, cet album est un documentaire aussi renseigné et convainquant qu’un bon documentaire filmé. Le texte qui l’accompagne (en l’occurrence les images accompagnent autant le texte que celui-ci accompagne les images) raconte l’histoire de la célèbre résistance pacifique des paysans du Larzac ; c’était il y a 50 ans. Il s’agissait de combattre l’État. Une lutte qui dura de 1971 à 1981, et qui fut obstinée.

Quand Michel Debré annonça l’expropriation imminente des moutons du Larzac, les paysans, stupéfaits, réalisèrent que le gouvernement s’apprêtait à saisir leurs terres. Soit cinquante deux exploitations, soit cent sept paysans et paysannes menacés. En 1971, Lanza del Vasto initia une grève de la faim, ce qui jeta les bases d’une résistance civile non violente. La peur d’être divisés unit les paysans. Les curés et l’évêque de la région apportèrent leur soutien, ce qui conforta les paysans dans leur légitimité à résister.

Petit à petit, le reste du monde se joignit au combat. Les dessins sont beaux, purs, sans fioritures, tracés avec la matière grasse d’un crayon noir. Les textes sont concis et soignés. Un livre qui rend un hommage percutant à la magnifique nature du Larzac, et à ses vaillants habitants. Et qui fait réfléchir sur la manière de mener une résistance. Décidément, CotCotCot, un éditeur inattendu et remarquable. (PV)

 

 

 

Joelle Veyrenac et Seng Soun Ratanavanh – Hana et le Vent (La Martinière jeunesse)

Parfois (souvent), la beauté d’un livre jeunesse tient à l’intelligence du dialogue entre son propos et son illustration : c’est le cas ici, qui voit la petite Hana vivre véritablement dans un village de papier, Japon rêvé où elle s’épanouit, heureuse. Si ce n’est lors des jours de vent, où chaque habitant doit lester ses poches pour ne pas s’envoler.

Sauf que le vent, cette fois, semble durer. Mais il semblerait que de l’autre côté du vide, il y ait un village de bois, d’où pourrait provenir le vent. Il suffira alors d’un pont de farandole en papier, d’un peu d’audace, pour s’ouvrir aux autres et apaiser le souffle.

De ce conte, Seng Soun Ratanavanh (en complicité avec Joelle Veyrenac, autrice du texte) a pris le parti d’une illustration littérale, reconstruisant avec une minutie impressionnante un véritable ouvrage de papier, découpant, à l’ancienne presque, chaque personne et attitude, construisant des architextures ou fleurs, jouant même avec malice de la technique séculaire des origami (l’un des personnages animal veut une statue à sa gloire, ca sera donc un origami), puis renouvelant son propos lors de la découverte de l’autre versant, plus européen, fait d’arbres en cartons, feuilles aux couleurs éclatantes, et palissades en bois minuscule.

Ce travail d’orfèvre, qui prête à la rêverie, ouvre le récit d’une manière métaphorique : amusante d’abord, quand les personnages, ayant conscience de leur vécu de papier doivent éviter de s’envoler, puis politiquement quand venant de chacun des deux peuples, on solidifiera le pont pour multiplier les échanges, le papier rejoindra son cousin carton. On pourrait plaindre la métaphore facile, elle est limpide et poétique. En résulte un magnifique ouvrage, aussi bien pour l’œil que pour l’oreille, où on voudrait se perdre et voyager, encore et encore, dans son fragile univers de Beauté. (JNS)

 

Louise Vercors / Anne-Hélène Dubray – La grande Histoire de la vie (La martinière Jeunesse)

La naissance de la vie et de l’humanité sur Terre, voilà un sujet qui passionne tout le monde.

Dans cet album à la fois ludique et éducatif, l’histoire de notre apparition nous est racontée de manière anti-chronologique, d’aujourd’hui à la nuit des temps. Dès la première page, est soulignée la richesse des différences entre les humains, qui donnent la diversité des couleurs de peau, de langue, de taille. Nous sommes nombreux et singuliers, mais nous serions en train de vivre la sixième extinction de masse de notre espèce – extinction causée par l’homme. Ici le conditionnel, pour ne pas tuer tout espoir, ne pas désespérer. Et puis, rappel que chaque extinction donne naissance à de nouvelles espèces. La planète est plus résistante que l’humain, voilà qui est presque dit.

Depuis l’Afrique où il est apparu il y a 300 000 ans, l’Homo sapiens se répand dans le monde. L’homme ne descend pas du singe, il est un singe. Il existe des millions d’espèces sur Terre, elles sont le résultat de 3,8 milliards d’années d’évolution.

Illustré par des images aux contours noirs et coloriées en aplats légèrement texturés, les explications et développements des grandes phases de notre histoire sont mis en cases. Ils forment ainsi une BD claire et simple à lire, en même temps que riche et dense. Les éléments clé de notre histoire nous sont restitués de manière d’autant plus frappante.

Effet étrange et affolant, plus nous tournons les pages de l’album et plus nous semblons nous enfoncer physiquement dans le Temps – dans le mystère de l’Univers et de sa création. Les poussières d’étoiles que nous sommes n’en finissent pas de frissonner devant l’évocation de l’impensable énigme : l’immensément grand.

La grande Histoire de la vie est un album essentiel, plus troublant que le plus troublant des récits de science fiction. (PV)

 

Sophie Blitman, Juliette Ravaux, Claire Martha – Le grand livre des animaux de l’extrême  (La Martinière Jeunesse)

Avec sa grande et belle couverture aux lettres fluo, on croit d’emblée avoir entre les mains l’album d’une histoire illustrée par un artiste talentueux. Et on a raison… Parce qu’il s’agit bien d’une histoire, sauf qu’il est question d’histoire naturelle. Y est dévoilée la vie de créatures un peu spéciales, qui se sont adaptées à un milieu de vie ou très chaud et aride, ou glacé, ou installées dans les abysses de l’océan. Parmi ces animaux, il y a les insectes, toujours majoritaires. Le scarabée, par exemple, qui pour survive dans le désert du Namib, se tient debout dans le vent de la nuit pour faire glisser le brouillard sur sa carapace bosselée, ce qui lui permet de récupérer ainsi un brouillard transformé en gouttelettes d’eau, et de les boire. Et puis il y a le rat-kangourou dans le désert de Sanora, et le mystérieux bébé dragon, le vampire des abysses, etc. Pour se repérer parmi cette faune quasi inconnue de nous, une carte d’identité encadrée en milieu de page, nous permet d’un coup d’œil de savoir où vit l’animal, sa taille, son espérance de vie.

Le grand livre des animaux de l’extrême est un ouvrage documentaire magnifique et inattendu. Les illustrations somptueuses de Claire Martha représentent à la fois l’animal dans son milieu réel, en couleur, ainsi que sa version naturaliste, au crayon de papier.

Rédigé par une autrice jeunesse et par une biologiste chercheuse en écophysiologie, il est évidemment très bien documenté et expliqué, et nous dit d’autant mieux l’urgence de mettre en route des procédés pour ralentir les effets du réchauffement climatique. Mais nous nous sentons bien impuissants devant toute cette vie menacée, qu’il s’agisse d’animaux de l’extrême ou d’espèces plus familière ou de nous-mêmes. Que pouvons-nous bien faire que nous ne faisons pas déjà, à notre petite échelle individuelle ? Cette question devient lancinante, sa répétition, grâce à des albums comme celui-ci, nous préparent en tout cas à l’acceptation du changement radical de mode de vie à venir, proche pour ne pas dire imminent. (PV)

 

Mathilda Masters et Louize Perdieus – 321 choses incroyables à connaître sur l’Histoire  (La Martinière)

Dans la même série et écrits par les mêmes autrice et illustratrice, il y avait eu en 2020 et 2021, les formidables  » 321 choses incroyables à connaître avant d’avoir 13 ans » et « 123 choses urgentes à connaître sur le climat« . Le principe est simple et efficace, il s’agit de lister et d’expliquer des informations spécifiques, pour ne pas dire singulières. Ici, il est question d’us et coutumes et d’anecdotes particulières de notre Histoire. C’est ainsi par exemple qu’on apprend que la personne chargée de la chaise percée du roi ne pouvait être que noble. Car seul un noble était digne de s’approcher du derrière du roi. C’était une fonction très recherchée par les nobles. Une question malicieuse clôt la question 179 des personnes chargées des toilettes royales : « Est-ce un métier qui te plairait ? »…

Sur 297 pages, 321 choses incroyables sont recensées, expliquées en quelques lignes, faisant de l’ouvrage généreusement illustré de dessins – une encyclopédie singulière et incontournable. Une manière ludique d’apprendre la grande Histoire par la tranche. Très malin et drôle. Dès 9 ans. (PV)

 

 

Et aussi…

Fleur Daugey, Bernard Duisit, Tom Vaillant – POP-UP FORET (La Martinière Jeunesse)

Comme tous les ans, La Martinière Jeunesse nous offre des livres documentaires aux pop-up toujours plus beaux et surprenants. Ici, nous nous retrouvons plongés au cœur de la forêt. Un bosquet d’arbres aux couleurs d’automne émerge du centre de la double page. Les arbres y sont expliqués des racines à la cime, leur fonctionnement, leur utilité, leurs secrets.

Suivent la découverte des peuples des arbres, leurs coutumes, leurs usages, leurs folklores, expliqués en quelques paragraphes clairs et concis. On passe de la Scandinavie aux Papous, de l’Amazonie au Japon. On fait connaissance avec les métiers de la forêt.

Le petit lecteur découvrira le monde en s’émerveillant de ce qui est montré, et de ce qui est écrit. Et reconnaîtra le grand talent inventif de Bernard Duisit, dont on ne peut plus se passer. Un album qu’on gardera dans sa bibliothèque comme un objet précieux. (PV)

 

 

Gilles Baum et Amandine Piu – Tout noir (Amaterra)

Ce n’est plus un secret : nous aimons les livres objets. Du moins ces livres pour enfants qui mélangent le ludique et le narratif, et dont formes et fonds se conjuguent ou discutent, pour amener une relation à la fois affective et plastique tout autant au récit qu’à l’objet.

C’est dire que nous sommes un peu biaisés face au joli travail de Gilles Baum (dont nous avions déjà apprécié « Furio » en ces lignes) sur Tout Noir : présenté comme une boite d’allumettes géante, le livre sort de son fourreau et semble présenter une architecture bouchée typique New York, où des lignes d’immeubles suivent d’autres immeubles.

Mais en un geste, le grand leporello se déploie en un magnifique théâtre d’ombres, découpant fenêtres, toits, escaliers d’incendie et balcons, devantures de magasins et de salles de concerts.

Et si, en suivant de droite à gauche l’aventure de la petite fille qui cherche sa maman dans le noir (l’histoire est celle d’un black out typiquement new yorkais), on se questionne un peu sur la poésie quelque peu fade des mots, on ne peut qu’être fasciné par les micro-fictions qui se déploient à chaque trou dans la page : une maman berce son bébé, une vieille dame se rafraîchit, une lampe éclaire une devanture triste, le pont de Brooklyn continue à éclairer l’Hudson.

Puis petit à petit, grâce aux allumettes que craquent la petite, ces fictions semblent basculer : un girafon fait son apparition, un joueur de jazz l’accompagne dans sa quête, etc. Sa quête devient décalée, absurde, rêveuse, rendue admirablement par des petites perforations où lumières dessinées et flammes imaginaires se mélangent, et où on constate avec ravissement que page à page, les découpes grandissent, laissant passer la lumière de plus en plus progressivement.

C’est ce mélange entre imaginaire et densité noire de la page qui rend la traversée si belle, et l’on voudrait, comme l’héroïne, que lorsque s’atteint le dernier volet, « que cette allumette ne s’éteigne jamais ». (JNS)

 

 

Kate Davis (traduction) et Lucille Clerc (illustration) – L’Atlas des contes de fées (La Martinière Jeunesse)

Rassemblés en un seul grand livre (30 x 34 cm), douze contes de fées de notre enfance :

La Petite Sirène, Hansel et Gretel, La Belle et la Bête, Cendrillon, Le Livre de la jungle, Casse-Noisette, L’Île au trésor, Le Magicien d’Oz, La Reine des neiges, Robin des Bois, Blanche-Neige, Alice aux pays des merveilles

Ce qui fait la beauté et la rareté de l’ouvrage, ce n’est pas la superbe couverture cartonnée aux lettres dorées. Non, c’est avant tout l’extraordinaire illustration des textes. Sans doute réalisées dans des formats assez grands, probablement à la mine de crayon de papier très fine, puis mis en couleur au feutre à alcool, et sans doute parfois au crayon de couleur (voire à l’aquarelle ?), les images plongent le lecteur dans une luxuriance de détails. Les dessins les plus attirants sont ceux qui représentent la végétation, la nature. Et comme elle est constamment présentent dans chaque conte, le lecteur est gâté. Car il n’y a aucun doute, commencer à tourner les pages de cet album, c’est être transporté ailleurs. Le rêve peut commencer. La particularité de la construction de l’atlas est qu’il offre, après le récit de chaque conte, une double page illustrée du lieu où il l’histoire se déroule. Une merveille, un cadeau à offrir n’importe quand. (PV)

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

A propos de Pierre Vax

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