Werner Herzog – "Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans"

Réalité augmentée

Werner Herzog est vivant. Et bien vivant. Et Werner Herzog fait des blagues. Et des bonnes, qui plus est. En s’attaquant à un pari à priori intenable (une sorte de remake délocalisée de la Dernière Tentation de Saint Ferrara), Herzog, qui vagabondait depuis une décennie entre documentaires et documenteurs, réinvestit le champ fictionnel d’un violent coup de rein et offre aux spectateurs abasourdis une étonnante partition tragi-comique, bouffonnerie policière, certes, mais épatant acte de foi s’il en est. À l’heure où les derniers représentants du Nouveau Cinéma Allemand des 70’s ronronnent tels de vieux chats repus (comment ça? Wenders n’est pas mort?), Herzog continue de jouer au trublion de service, cinéaste adepte de la guérilla pelliculée, apôtre enfiévré d’un cinéma-vérité enfin débarrassé des manières de comptable d’un certain réalisme. Car c’est bien par la bande, en privilégiant des sujets casse-gueule, en organisant méthodiquement des tournages épiques et en s’attachant à des héros-acteurs-accélérateurs de particules de réalité, que l’irascible teuton tutoie les anges (pour filer la métaphore ferraresque) et s’approche de la vérité toute nue. Et son escale à la Nouvelle Orléans (en compagnie d’un Nicolas Cage enfin vengé de ses multiples contre-performances récentes) ne déroge pas à la règle.

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Prenons le Bad Lieutenant Nic Cage d’ailleurs, en lieu et place d’Harvey Keitel, le fantasque contre le bloc, deux acteurs aux antipodes ne semblant partager qu’un goût certain pour l’éruptivité caractérielle, quoique d’une manière fort différente. Sa filmographie virait depuis quelques temps au concours de cabotinage éhonté dans des productions au mieux anodines (les Benjamins Gates) au pire carrément déplaisantes (Prédictions et ses bondieuseries infâmes). Et c’est tout simplement à une résurrection que nous sommes conviés ici, Cage en Lazare truculent sortant de sa manche les fantômes de Sailor Ripley, de Castor Troy et du Little Junior Brown de Kiss Of Death, soit le genre de performance complètement borderline où excelle Cage, acteur en fil du rasoir s’il en est. Le genre de mec dangereux qui réussit au plus haut de ses accès erratiques à laisser sourdre une émotion palpable. Ici, ce sera en torturant deux charmantes vieilles dames ou en roulant dans la farine (sans mauvais jeu de mots) un client de sa petite amie poule de luxe. Son Bad Lieutenant nous fait mesurer à quel point un acteur tel que lui est un diamant brut entre les mains d’un véritable directeur d’acteur (ce que les frères Pang et Alex Proyas ne sont évidemment pas). On rira encore plus de bon coeur en sachant que la consigne d’Herzog à Cage fut de se lâcher, précisément. Le coeur du système Herzog, en quelque sorte.

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Car Herzog, en fier autodidacte, n’a que faire de la technique et des discours sur la Méthode. Refusant toutes idées de story-board, le réalisateur n’aime rien tant que se décider sur place et tourner à une caméra, sans se couvrir. Et s’il aime savoir où commence une scène, il aime aussi ne pas savoir où elle se terminera, voir comment la réalité d’un tournage, l’aventure matérielle tout autant qu’humaine qu’il constitue, influera sur le résultat. On connait ses aventures échevelés avec Kinski aux quatres coins du globe, on connait moins sa palanquée de documentaires prenant nécessairement acte du fait. Quand on le questionne, Herzog, par bravade ou par pudeur, aime à rappeler que s’il s’est consacré aux documentaires ces dernières années, c’est parce qu’il ne trouvait pas de financement pour ses fictions. On est plutôt tenté de se dire que finalement, il s’en fout et que pour lui, docu et fiction, même combat, tant Herzog derrière une caméra procède toujours de la même façon, du même amour pour cette réalité augmentée que constitue l’essence même de l’image. Après, c’est juste une question de confiance.

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Kinski avait confiance en Herzog. Et Nic Cage, ça se voit dès les premiers minutes, a cette même confiance en lui. On ne parle pas ici de confiance mystique, mais pragmatique. Herzog n’est pas magicien, il n’invente pas, il ne fait qu’enregistrer ce qu’il voit, ce qu’il ressent. Aux acteurs de lui donner la magie. Pour cela, Herzog avait confiance en Kinski. Et il a cette même confiance en Cage. D’où cette rencontre lumineuse au tempo jazzy, infiniment drôle, tendre et cruel à la fois, tellement évidente quand on y repense, l’écran rendu à son opacité, la tête encore grisée par ce que l’on vient de voir. Mais que serait une rencontre, même lumineuse, sans terrain de jeu, sans terrain de Je? Un mot alors sur cette Nouvelle Orleans choisi en lieu et place du New-York babylonien cher à Ferrara, cité lacustre fraîchement dévasté par l’irascible Katryna et ici filmé sans misérabilisme, près de l’os noir par un Herzog toujours prompt à rendre à la nature et à ses habitants séculiers ce qui leur appartient, filant ainsi le tableau qu’en tirait Nick Cohn dans son excellent Tricksta, essai d’un vieux journaliste fan de rock’n’roll se découvrant une passion sincère pour le hiphop le plus poisseux des Etats-Unis. Soit un peu la position d’Herzog, se découvrant aussi à l’aise à Big Easy qu’au beau milieu de l’Amazonie. Non, franchement, ce Bad Lieutenant a fière allure et, quoique complètement autre, n’a absolument pas à rougir de son illustre ainé.

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