Marseille. Une bande d’adolescents. Leurs corps hâlés émergeant de l’écume, leurs amours éphémères, leur ivresse nocturne , et un été qui semble durer toujours… autant d’ingrédients qui pourraient inscrire le premier long-métrage d’Émilie Aussel dans la lignée des films d’Abdellatif Kechiche. Et pourtant… si certaines séquences naturalistes rappellent incontestablement l’univers du réalisateur de Mektoub my love, L’été l’éternité échappe par sa sobriété, ses singularités formelles, et ses silences à cette filiation.

Le film s’ouvre sur le portrait d’une jeunesse insouciante. Inséparables, Lise et Lola, dix-huit ans, retrouvent Malo, Marlon, Rita et Cosmo à la plage où la baignade, l’alcool, l’amour et les joints rythment leur quotidien. La nuit venue, la fête et la danse succèdent aux après-midis ensoleillés et prolongent cette atmosphère faite de légèreté. Mais dès le début du film, des témoignages en voix-off semblent préfigurer la catastrophe. La mort, brutale, incompréhensible, s’immisce alors dans la vie des personnages et vient rompre l’euphorie pour plonger Lise dans le chagrin. Anéanti par la perte, le groupe se délite, abandonnant la protagoniste à une difficile mais nécessaire solitude. Le film emprunte alors la voie du récit d’apprentissage pour esquisser la manière dont Lise tente de passer du chagrin et de la perte à une possible reconstruction.

Copyright Shellac Distribution

C’est alors que le titre du film, qui évoquait à première vue le sentiment d’immortalité et de toute-puissance de la jeunesse, prend une résonance à la fois plus tragique et plus mystique : L’été l’éternité, ne serait-ce pas cet espace-temps étrange, comparable aux limbes, dans lequel évolue une jeune fille frappée par le deuil ? ne serait-ce pas aussi une manière de suggérer chez elle la quête de ce qui la dépasse et l’élève ?

Nouvel écart avec la filmographie d’Abdelatif Kechiche : si la réalisatrice s’attache à dépeindre les rites adolescents et la vitalité propre à cette jeunesse, elle rend également compte de leurs interrogations existentielles et les montre en recherche d’eux-mêmes et de sens. C’est ainsi qu’Émilie Aussel souligne la « volonté de mêler le trivial et le sacré » au sein de son film. La gouaille des personnages, les vannes qui fusent, les conversations entre jeunes filles sur le sexe laissent peu à peu la place à des récits de vie plus intimes où affleure le drame, sans lourdeur, jamais. Les lecteurs d’Emmanuelle Bayamack-Tam, qui a participé à l’écriture du scénario de l’Été l’éternité, reconnaîtront dans cette alliance de gravité et de prosaïsme la pâte de la romancière. Le film n’est d’ailleurs pas sans évoquer, par endroits, le beau Si tout n’a pas péri avec mon innocence. L’intrigue de ce récit initiatique débutait justement par une tragédie intime, sur une plage, alors que les vacances battaient leur plein.

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C’est probablement dans cette dimension composite du film que se trouve la signature d’Émilie Aussel. Le choix d’acteurs non-professionnels, les inserts de séquences face-caméra, la part d’improvisation, rappellent le genre du documentaire, mais le film se donne à voir comme une fiction, portée par la superbe musique du duo Postcoïtum, avec lequel la réalisatrice travaille depuis ses débuts. De même, le virage que prend le film à mi-parcours, abandonnant le portrait de groupe pour se concentrer sur le cheminement d’un des personnages, peut donner l’impression au spectateur de voir deux films en un. A ce titre, l’aspect volontairement elliptique ou lâche du scénario de L’été l’éternité pourrait laisser certains spectateurs un peu sur leur faim.  Mais la recherche d’absolu, la soif de transcendance chez l’héroïne et ses compagnons s’avère particulièrement touchante.

Durée : 1h15

Avec Agathe Talrich, Marcia Feugeas, Matthieu Lucci, Idir Azougli, Nina VIllanova, Antonin Totot, Rose Timbert, Louis Pluton, Emmanuel Rol, Safinah Mixty Mihidjay.

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