Laura Luchetti – « La Bella estate »

Après Fiore gemello sorti en 2018, la cinéaste italienne Laura Luchetti adapte La Bella estate de Cesar Pavese (1949), souhaitant y épouser son « regard féminin sur le monde, sur les désirs, l’amour et les hommes » : une chronique sensible et subtile autour de la fragile ébauche d’un amour utopique, portée par une image lumineuse, léchée et romantique. Nous sommes en 1938 à Turin, dans le climat hostile des Lois raciales de Mussolini : Ginia y vit avec son frère, et est employée dans un atelier de couture, sa discrétion et sa délicatesse faisant d’elle quelqu’un de ni trop avenante, ni trop effacée. Un après-midi d’été au bord du fleuve, Ginia rencontre Amelia, modèle auprès d’artistes : immédiatement, une fascination naît du côté de Ginia, mélange entre admiration interrogative sur l’enjeu d’un tel métier, et émoi d’un sentiment amoureux inconnu jusqu’alors.

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Avec La Bella estate, Laura Luchetti peint une rencontre empreinte de tiraillement, de paradoxe, d’extase et d’éphémère, entre deux femmes diamétralement opposées : l’une, sensible et secrète (Ginia) ; l’autre, audacieuse et charismatique (Amelia). Leur relation se dessine par surgissements, lorsqu’elles se croisent au détour d’une ruelle, dans une boutique ou chez les amis artistes d’Amelia, comme pour manifester la singularité et l’interdit de leur lien au sein de cette société patriarcale et mussolinienne turinoise. La légèreté du conte estival de jeunesse s’assombrit, dans une teneur à la fois tragique et politique, autour de la toute-puissance masculine sur le corps des femmes dans le milieu artistique, là où s’élève de prime abord l’idée de chemins de traverse emplis de liberté, du franchissement des tabous et des conventions sociales contemporaines, et d’un enivrement par la création artistique, le regard et la magie qu’il possède. La Bella estate produit en quelque sorte un portrait sans concession du point de vue masculin comme vecteur de domination, sans jamais que l’accent ne soit trop artificiel car Amelia, en tant que modèle, connaît ce regard et sait s’en saisir pour le posséder à son tour. Il se joue alors toute une réflexion sur le désir, le désir qui passe par le regard, le regard qui passe par la représentation ; portée par le personnage de Ginia, dont sa fascination pour Amelia a quelque chose de l’ordre du besoin d’être vue et reconnue, comme elle l’est au service de l’art.

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Tout en délicatesse, Laura Luchetti cristallise l’émotion d’une rencontre amoureuse lesbienne où la nouveauté et l’inconnu paraît ramener les deux femmes à un niveau d’égal à égal. La scène de leur première fois se révèle à ce titre particulièrement belle et authentique, comme rarement se filme un amour charnel entre deux femmes : à la fois crue, sensible et sensuelle, la fluidité entremêlée avec les instants de césure. La Bella estate, à défaut d’être mémorable —il manque certainement un grain à l’image, polie et sans relief significatif— signe une chronique tendre et rayonnante autour d’une relation amoureuse lesbienne à demi-mot, où s’entrelacent des enjeux de genre, de regard artistique et de désir en tant que représentation. 

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A propos de Eléonore VIGIER

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