Erwin Wagenhofer – « Alphabet »

Le réalisateur autrichien Erwin Wagenhofer clôture avec Alphabet ce qu’il nomme sa « trilogie de l’épuisement », débuté en 2005 avec We Feed the World sur la crise alimentaire et poursuivi en 2008 avec Let’s Make Money sur la crise financière. Et le moins que l’on puisse, c’est qu’il est assez remonté.

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L’atelier de peinture d’André Stern, un des derniers espaces de liberté

Il était assez logique finalement que, après avoir disséqué la crise alimentaire puis la crise financière, Erwin Wagenhofer en vienne à s’interroger sur le système éducatif, véritable berceau de ceux qui seront parti prenante de ces différentes crises. Et le constat est pour le moins inquiétant. Le réalisateur parcourt donc le monde, de la Chine à l’Allemagne, en passant par le États-Unis et la France, afin de questionner notre système éducatif, de s’interroger sur ses réussites et ses échecs et de constater, assez vite, qu’il est définitivement en bout de course, bien destructeur et sclérosant qu’épanouissant et libérateur. Si ce constat n’est pas nouveau (nombres de spécialistes de pédagogie le martèlent depuis de nombreuses années), la qualité d’Alphabet réside plus dans sa manière de présenter ce constat et sa façon d’aller à la rencontre de ceux qui ont autre chose à proposer, comme cette étonnante famille Stern.
Avant de rencontrer la famille Stern, adepte d’un apprentissage sans école, Alphabet détruit en quelques minutes le classement PISA. Et il faut bien reconnaître que cela est assez jouissif. Ce fameux classement (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves), dans lequel la France est si mal classée et qui sert régulièrement à se flageller sur la faillite de notre système sans pour autant remettre en question les fondements du dit-système, est disséqué à l’aune du système éducatif chinois, grand vainqueur depuis quelques années. Souffrance, suicides, épuisement physique et moral, destruction de toute forme d’individualité, annihilation d’opinion personnelle ou de pensée divergente, élitisme poussé à son paroxysme. Être premier au classement PISA a un prix que la Chine accepte de payer aujourd’hui, un prix proprement hallucinant. Et les propos de l’homme chargé du programme à l’OCDE, s’extasiant devant la puissance chinoise, font tout simplement froid dans le dos.

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La Chine, championne du monde en PISA et en suicide d’adolescents

Alors, bien sûr, une fois le constat posé, c’est-à-dire la faillite de notre système éducatif, sa violence et sa manière toute particulière de faire émerger des clones, son aptitude étonnante à détruire notre capacité à produire des pensées divergentes (des pensées multiples, autres, différentes, hors cadre, pour lesquelles nous sommes des génies à 98% à l’âge de trois ans puis à seulement 2% après 20 ans), Erwin Wagenhofer part à la recherche de solutions, ce qui s’avère être un chemin tortueux et compliqué. On croise donc la famille Stern (dont le père, ayant fui l’Allemagne d’Hitler, propose aujourd’hui des ateliers de peinture d’une liberté incroyable, dont le fils a connu l’apprentissage sans école), des chercheurs qui expliquent les raisons de la faillite du système mais qui accouchent difficilement de solutions, un jeune vite déscolarisé qui rame à structurer sa vie et un handicapé mental devenu le premier diplômé de l’Université.
Le kaléidoscope présenté par Erwin Wagenhofer, s’il est impitoyable sur le gâchis engendré par notre système éducatif, présente finalement l’immense complexité de cette question. Il n’existe pas de solutions miracles, chaque pas est important et le chemin risque d’être encore bien long. Il n’en reste pas moins qu’Alphabet est un documentaire nécessaire, un vrai brûlot politique contre le système actuellement en action, un manifeste contre la notion de programmes, d’évaluation, de compétition et d’élitisme et pour un retour à la confiance, le don, l’échange, la relation à l’autre. Sincèrement, par les temps qui courent, Alphabet fait un bien fou.

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A propos de Marc BOUSQUET

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