Depuis sa révélation en 2004 couplée au triomphe commercial de son premier long-métrage Les Choristes, Christophe Barratier s’est instantanément forgé une image de cinéaste populaire, n’aimant rien tant que réinvestir un pan du patrimoine culturel français de la première moitié du XXème siècle. Qu’il remake un film peu connu de Jean Dréville (La Cage aux Rossignols), ressuscite le music-hall (Faubourg 36) en marchant sur les pas de La Belle Équipe de Julien Duvivier ou qu’il réadapte le roman de Louis Pergaud, La guerre des boutons, déjà transposé cinquante ans auparavant par Yves Robert, ses aspirations et son héritage sont des plus limpides. Après deux fictions contemporaines, l’efficace L’Outsider et le dispensable (mais pas foncièrement désagréable) Envole-moi, aux succès nettement plus mitigés, le voilà de retour à son territoire cinématographique de prédilection. Sur une proposition de la productrice Hélène Cases, validée ensuite par Nicolas Pagnol, il s’attelle à un monument national en portant à l’écran le troisième volet des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol, Le Temps des secrets. Comme ce fut le cas avec La Nouvelle guerre des boutons, le voilà de nouveau dans le sillage d’Yves Robert, qui avait signé en 1990, La Gloire de mon père et Le Château de ma mère. Depuis trente ans, les adaptations de Pagnol au cinéma se sont faites relativement rares. On ne dira mot sur le remake du Schpountz, ultime réalisation de Gérard Oury, mais notons que Daniel Auteuil (inoubliable Ugolin) avait effectué ses débuts de réalisateur en enchaînant sur un laps de temps très court de nouvelles versions de La Fille du Puisatier, Marius et Fanny. Après avoir revisité les années 30 et 40, Barratier effectue un bond dans le passé encore plus prononcé, puisque son histoire se déroule à Marseille en juillet 1905. Le jeune Marcel Pagnol vient d’achever ses études primaires. Dans trois mois, il entrera au « lycée ». Trois mois… une éternité quand on a cet âge. Car voici le temps des vacances, les vraies, les grandes ! Enfant de la ville, ce retour tant attendu à ses chères collines d’Aubagne et d’Allauch, celles de « La Gloire de mon père » et « Le Château de ma mère » le transporte de bonheur. Il y retrouve la nature, les grands espaces et surtout son ami Lili toujours prêt à partager de nouvelles aventures, à l’âge où le temps de l’insouciance laisse place à celui des secrets…

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Copyright Jean-Claude-Lother / Pathé 2022

Le Temps des secrets ne fera certainement pas taire les détracteurs de Christophe Barratier qui seront en mesure de ressortir peu ou prou les mêmes reproches en vigueur depuis Les Choristes, à savoir fustiger un cinéma « passéiste » et « nostalgique » auquel, selon les grilles de lectures, sont généralement ajoutées des accusations ou soupçons de conservatisme. Il serait confortable de railler le réalisateur sur son seul goût des reconstitutions d’une France aujourd’hui obsolète et désuète, inévitablement déconnectée du présent (tout juste retrouve-t-on ici un enjeu secondaire relatif aux luttes féministes du début du XXème) et sauter sur chaque opportunité en mesure d’alimenter une démonstration à charge quant à ses supposées intentions. Un échange de regard avec une femme, traité comme une tromperie, une vision républicaine traditionnelle où l’élévation se fait par l’apprentissage, un élève boursier a des devoirs vis-à-vis de la nation…Ce bref échantillon tient moins de la vision profonde du metteur en scène que d’une fidélité assumée à un matériau d’origine, solidement inscrit dans une époque que nous observons avec plus de cent ans de recul. Cessons donc les procès stériles, Barratier affirme moins le fantasme réactionnaire d’un passé qui n’est plus, qu’une obsession et une passion sincères pour un patrimoine qui l’a bercé et qu’il contribue modestement à transmettre. Artisan de talent, il parvient à redonner vie à l’univers de Pagnol, en premier lieu par sa mise en forme et la tendresse qu’il porte sur ces personnages. En ce sens, il prend le contrepied des récentes adaptations de Daniel Auteuil, qui cherchaient l’incarnation par des interprétations forcées, au détriment de problématiques cinématographiques, plaçant ainsi le spectateur à distance des péripéties. La richesse des paysages et espaces investis est à la fois le fruit d’une photographie soignée mais aussi d’un regard à hauteur d’enfant, dont il épouse les envies et tourments. Fort d’une distribution impliquée et au service de récit, d’une belle bande-originale, il nous réussit sans mal à nous immerger et nous intéresser à ces micros-enjeux moins futiles qu’il n’y paraissent.

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Chronique estivale presque inconséquente à première vue, Le Temps des secrets avance par petites touches se greffant les unes aux autres (les jeux entre Marcel et Lili, la rencontre avec Isabelle, l’entrée au lycée) jusqu’à former un ensemble prenant et attachant. Des aventures enfantines à la déception du premier amour en passant par les tensions en milieu scolaire (passages qui permettent de petits clins d’œil aux Choristes et à La Nouvelle Guerre des boutons), Christophe Barratier sait à la fois se montrer fidèle et universel, faire vivre une langue singulière et la rendre accessible à tous. Mieux, il n’évacue pas les problématiques plus douloureuses qui parcourent son histoire (la condition sociale de Marcel et sa volonté d’émancipation, le poids des non-dits, des secrets et des mensonges) et déjoue certaines facilités pour se laisser aller à de beaux élans de cinéma. Prenons l’exemple de la séquence de la punition, où les courtes scènes s’enchaînent avec souffle et lyrisme, les taches à laquelle est soumis le héros, l’épreuve par essence pénible, importe moins que ce qu’il semble en retirer : la banalité a soudainement quelque chose d’étonnant, de captivant. La conviction du cinéaste en l’image, l’affranchit de toute psychologisation malvenue (rejoignant en cela l’esprit des écrits de Pagnol) et nourrit une mise en scène tutoyant progressivement l’ampleur romanesque nécessaire et inhérente au roman d’origine. Les derniers instants à la fois apaisants et empreints de dureté, se passent de mots, se télescopent avec les premières minutes, l’innocence perdue, le protagoniste est prêt à entrer dans le monde des adultes. L’apparition en point final d’un Marcel âgé retraversant certains décors et se remémorant ses souvenirs en voix-off vient ajouter un soupçon de mélancolie, parachever une réussite fondamentalement mineure, mais tout à fait appréciable. Soigné, tendre, drôle et émouvant, Le Temps des secrets, s’apprécie comme une plaisante madeleine de Proust, une démonstration du pouvoir inaltérable des écrits de Marcel Pagnol mais aussi des talents de conteur de Christophe Barratier. De films en films, il s’impose comme une valeur sûre d’un cinéma populaire hexagonal, en quête d’un minimum d’envergure sur la forme et surtout soucieux de respecter son spectateur.

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À lire également, notre entretien avec Christophe Barratier.

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A propos de Vincent Nicolet

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