Inutile de se mentir. Le scénario très linéaire d’Au service du Diable, ce qui n’est pas un défaut en soit, s’avère sous-exploité, par le cinéaste Jean Brismée, dont c’est l’unique long métrage. Loin d’être un débutant, Jean Brismée, alors âgé de 45 ans, n’avait aucune accointance avec le genre fantastique, acceptant l’opportunité de s’engouffrer dans des terres inconnues comme un exercice de style récréatif. Ce professeur de mathématiques et de physique, auteur de quelques courts métrages et documentaires assez pointus, dont un portrait de Jean Rouch, s’est retrouvé parachuté un peu par hasard sur le tournage de cette coproduction italo-belge, à la distribution hétéroclite et étonnante dans tous les secteurs. Certaines sources -erronées- créditent même André Hunnebelle (mention indiquée sur le DVD import néerlandais de Sodementedcinema) en tant que superviseur et, encore plus curieux, Dick Randall (célèbre hommes d’affaires et producteur de séries Z, réalisateur d’un nanar mystique, Le château de Frankenstein), dissimulé sous le pseudo de Claudio Rainis, en tant qu’assistant réalisateur. Ces informations sont à prendre avec des pincettes, et même à réfuter, dans le cas de l’implication de Hunnebelle, mentionné mystérieusement. Cet aparté permet de mettre en exergue un projet curieux et bancal, fascinant à bien égards, davantage par sa fabrication que par le résultat, qui sans être déshonorant, ne révolutionne par le cinéma bis qu’il caresse doucement sans vraiment plonger dedans, ou alors de manière ponctuelle grâce à l’intervention du producteur italien Zlejko Kunkera.

Au service du diable, exploité en salles sous le nom de La nuit des pétrifiés et parfois La plus longue nuit du diable, provient de l’imagination de Patrice Rondard, romancier spécialisé dans l’épouvante, plus connu des amateurs de bizarrerie sous le nom de Patrice Rhomm, réalisateur déviant de L’archi sexe et du nazisploitation Eurociné, Elsa Fräulein SS. Le récit débute en 1944 à Berlin, en noir et blanc, à l’instar de La vierge de Nuremberg de Antonio Margheriti, auquel il est impossible de ne pas songer. Le Baron Von Rhonenberg tue à la naissance, son enfant, en espérant mettre un terme à une malédiction qui ronge sa famille, à savoir que chaque fille devienne un succube au service du Malin. Cette introduction, très réussie, nous immerge dans un climat oppressant.

25 ans plus tard, sept individus voyagent dans un van touristique près de la Forêt Noire. Perdus, ils frappent à la porte du majestueux château du baron pour demander l’asile. On ne saisit pas très bien le rapport entre le prologue et la suite, si ce n’est une mis en garde du danger potentiel qu’induit cette intrusion dans ce lieu maudit. Mais l’arrivée de Hilse Müller, sculptureuse plante vêtue comme Vampirella, telle un oiseau de mauvaise augure, embarque le récit du côté de l’épouvante pure. Rapidement elle dévoile sa vraie nature de succube, entité démoniaque revêtant la forme d’une femme, présente pour punir les hôtes du baron. La raison est pragmatique; chaque personnage incarne un des 7 péchés capitaux les amenant à périr en enfer dans d’atroces souffrances, chacun subissant une mort en rapport avec leur perversion respective. Seul le prêtre, muré dans son orgueil, résiste à la tentation du sulfureux succube, envoyé sur comme Madame loyale au service du Diable, pour reprendre le titre français très bien choisi.

 

Ce Diable porte les traits de Daniel Emilfork, comédien fascinant qui n’a qu’à s’immiscer dans le cadre pour être crédible,vampirisant l’atmosphère par sa ténébreuse aura. Son visage émacié à la Nosferatu suffit pour nous égarer dans une dimension inquiétante. Sa voix traînante et précieuse transporte au sein d’un univers occulte, finissant par nous convaincre de l’existence de Satan le temps d’une expérience cinématographique.

Effet spécial à lui tout seul, il demeure l’attraction principale de cet honnête film d’épouvante trop classique mais déployant néanmoins quelques meurtres délectables, tels la tête coupée ou l’empalement dans un sarcophage. Le sang d’un rouge vif coule timidement à l’écran, laissant le sentiment que le réalisateur se retient, non par censure mais par volonté. Jean Brismée un humour très distancié, flirtant avec le pastiche, comme pour se dédouaner de cette entreprise futile. Au service du Diable bénéficie d’une très belle photographie mettant en valeur l’intérieur gothique du château, d’une envoûtante partition signée par le compositeur Alessandro Alessandroni, de maquillages convaincants (magnifique transformation d’Hilse image par image) et surtout d’un casting alléchant et sexy. Le film réunit une belle brochette de comédiens, parmi lesquels on peut citer en premier lieu la très attirante Erika Blanc, parfaite en succube, et l’excellent Jean Servais, dont le jeu détaché, presque las, convient à merveille à son personnage de baron solitaire menant des expériences obscures.

Co-production avec l’Italie oblige, Au service du Diable s’offre néanmoins quelques incursions érotiques tournées dans le dos du réalisateur, et notamment une très belle séquence saphique entre deux délicieuses créatures (Ivana Novak et Shirley Korrigan pour les nommer), petite plus-value pour une œuvre à la sagesse graphique parfois frustrante mais qui va jusqu’au bout de son sujet, clôturant le film par un épilogue pessimiste, non dénué d’ironie. Quand le malin gagne la bataille contre les forces du bien, un plaisir masochiste vous saisit. Surtout, quand le malicieux et hypnotique Daniel Emilfork prend les traits de Lucifer.

Le combo Blu ray/dvd, édité par Artus est agrémenté de l’intervention toujours riche en anecdotes de Alain Petit, historien indispensable du cinéma bis, d’une interview de Erika Blanc et surtout de celle de Jean Brismée, très courte mais délicieuse.Cependant, la raison majeure de posséder ce digipack toujours aussi soigné visuellement, demeure le livret écrit par le très érudit Christophe Bier, spécialiste incollable du cinéma déviant et érotique. Son petit ouvrage est une mine d’informations que tout amateur se doit de déguster absolument!

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