La sélection du mois de juin de la collection « Nos années 70 » est enthousiasmante, les trois œuvres proposées étant exceptionnellement réussies et finalement assez méconnues malgré leur distribution prestigieuse.

Dans l’excellent La Cage de Pierre Granier-Deferre, Lino Ventura y trouve l’un de ses meilleurs rôles à contre-emploi, moins dans l’héroïsme et l’action que dans la survie de l’homme ordinaire. En le confrontant à Ingrid Thulin, actrice fétiche de Bergman, Granier-Deferre va proposer un spectacle noir du couple presque aussi glaçant que celui qu’il avait composé avec Gabin et Signoret pour Le Chat. Même si La Cage ne parle pas de vieillesse, l’enfer du couple y est aussi envisagé. Les deux films sont comparables, y compris dans leur unité de lieu, la sensation de claustrophobie mentale matérialisée par l’enfermement physique avec ce paradoxe d’un amour qui perdure dans une forme qui ne laisse plus de place qu’à la cruauté et à la violence. Tout n’est que haine et ressentiment, dans ce huis clos oppressant où un homme se retrouve piégé par la femme qu’il a quittée, avide de vengeance, au sous-sol de l’ex maison conjugale. Ici la tension découle autant de la mise en scène que des formidables dialogues de Pascal Jardin. La partition de Philippe Sarde est magnifique et contribue à pousser le film vers un curieux sentiment d’absurdité.

Comme s’il s’agissait du fil rouge de ce mois, cette atmosphère absurde domine également le joyau noir qu’est Le Secret de Robert Enrico, l’un de ses plus beaux films à coup sûr et pourtant pas des plus connus. David (Trintignant) s’enfuit d’un lieu ressemblant à une prison ou un asile psychiatrique vers l’Ardèche où il fait la connaissance de Julia et Thomas qui accueillent cet inconnu dans leur maison. En mal d’aventure, Thomas est fasciné par cet homme qui se dit poursuivi car ayant connaissance d’un secret d’État qui met en danger tout autant ceux qui le côtoient que lui-même. Si Thomas est candidement enthousiasmé, buvant les paroles de David et laissant s’installer une atmosphère paranoïaque, Julia, elle, commence à se méfier. Le trio Marlène Jobert / Philippe Noiret / Jean-Louis Trintignant atteint des sommets d’ambiguïté, de tension et d’émotion, poussée par la musique sublimement mélancolique de Morricone.  Philippe de Broca a enfin été reconnu depuis peu à sa juste valeur et non plus comme le cinéaste anonyme de ses derniers films. Il serait tant de procéder de même pour Robert Enrico, grand cinéaste populaire à l’univers plus intime qu’il n’y paraît, dont on reconnaît facilement les motifs, et le désenchantement. Il y a du De Broca dans Le Secret, en particulier dans la manière dont il compose son trio, sa fantaisie, son excentricité, la manière de s’échapper du réel, qui pourrait rappeler par exemple La Poudre d’escampette. Mais de la mélancolie de De Broca on passe ici vers un tragique où la déconnexion du réalisme renvoie au théâtre de Beckett. Quant aux dialogues ciselés de Pascal Jardin (oui, encore lui), entre le prosaïque et le littéraire, ils sont merveilleux. Le film ne sera pas un succès à sa sortie, pourtant cette adaptation du roman de Francis Ryck, parfois aux confins du fantastique, n’est pas loin d’être son plus beau, son plus intense, son plus troublant.

Et pour terminer, voici Ursule et Grelu, oeuvre méconnue voire totalement oubliée de Serge Korber, cinéaste inégal donc méprisé, dont on se souvient plus d’Un Idiot à Paris et de sa carrière porno que de ses bons films. Celui-ci est pourtant un petite perle de fantaisie, où le quotidien dévie vers une excentricité onirique qui lorgne même du côté de Prévert dans son réalisme poétique, tout à fait fascinant. Ursule, femme lieutenant de l’Armée du Salut, rencontre sur un bateau faisant naufrage Grelu, un accordéoniste. Sur la terre ferme ils tombent amoureux malgré leurs différences. Si l’on commence par regretter que de telles comédies n’existent plus aujourd’hui, on se dit qu’elles ont finalement de beaux héritiers, notamment avec celles d’Antonin Peretjatko qui lui aussi affectionne ce décalage, ce réel étiré jusqu’au songe, et entrevoit également la comédie comme une entreprise politique. Car derrière le rire, Ursule et Grelu parle énormément de la corruption de l’argent, avec ce duo qui s’éteint dès qu’il devient aisé et renaît quand il est dans le besoin. Bernard Fresson et Annie Girardot y sont juste phénoménaux, et les seconds rôles ne sont pas en reste, notamment le toujours génial Roland Dubillard, Henri Garcin désopilant et Marcel Dalio terriblement malicieux. La musique d’Alain Goraguer donne le ton, entre guinguette et douce évasion. Le film est exactement ça, partagé entre la beauté de l’amour qui vogue et le rire en cascade. Laissez-vous porter, c’est grisant. La vie en rose, la vie en rêve.

Technique et bonus

Comme d’habitude les restaurations proposent de revisiter ces films dans des conditions optimales. Les suppléments et bonus proposés par Jérome Wybon vont toujours droit à l’essentiel, entre ses préfaces éclairantes, ses interviews d’époque (Serge Korber, Annie Girardot, Bernard Fresson pour Ursule et Grelu), ses reportages sur les tournages pour Le Secret et La Cage, ses scènes coupées pour Le Secret.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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