Klute, À cause d’un assassinat, Les Hommes du président, en quelques années seulement, Alan J. Pakula a durablement marqué l’histoire du cinéma américain. Si son nom ne résonne plus aujourd’hui dans l’inconscient collectif de la même manière que celui de certains de ses confrères du Nouvel Hollywood, en 1978, l’annonce de son nouveau projet, tourné juste après son chef-d’œuvre journalistique, s’impose comme un événement. Produit par Robert Chartoff et Irwin Winkler, tandem derrière les réussites de Raging Bull, The Gambler ou la saga Rocky, et porté par un casting quatre étoiles (James Caan, Jane Fonda, Jason Robards), Le Souffle de la tempête, avait tout pour être un plébiscite tant public que critique. Le récit prend place en 1945 et s’articule autour du personnage de Frank Athearn, surnommé Buck (Caan), un ancien soldat fraîchement démobilisé qui rentre chez lui dans les plaines du Montana. Au cœur de cette nature sauvage, Jacob « J.W. » Ewing (Robards), un riche propriétaire terrien est en passe de faire main basse sur toute la région, y compris le ranch d’Ella Connors (Fonda) à qui le cow-boy va apporter son aide. Malgré l’aura de son auteur, le western fut une déception totale à sa sortie. Le cinéaste enchaîna ensuite sur Starting Over (Merci d’avoir été ma femme), une comédie romantique balisée avec Burt Reynolds, et dut attendre Le Choix de Sophie en 1982 pour renouer avec le succès. Alors que Rimini Editions propose un combo Blu-Ray/DVD du long-métrage en copie restaurée, le moment est venu de se demander si Comes a Horseman (de son titre original) méritait un tel désintérêt et un tel désamour.
Après la révolution Sergio Leone (et ses émules plus ou moins talentueux), dont l’influence se fit sentir jusque dans le Pays de l’Oncle Sam, le western états-unien peine à se réinventer. Seule surnage la figure de Sam Peckinpah, grand destructeur de mythes capable en un ralenti sanglant de réécrire toute la légende de l’Ouest. Les années 70 sont donc une période difficile pour le genre qui connaîtra un coup d’arrêt passager avec le désastre financier La Porte du paradis en 1980. Pakula quant à lui ne se soucie guère de la mode du moment et assume pleinement les codes inhérents aux films de cow-boys en ramenant ces icônes américaines à leur incarnation la plus littérale à savoir des garçons vachers. De simples paysans loin des vengeurs et autres pistoleros que le cinéma charrie par centaines, et dont les problématiques pragmatiques tournent autour de ventes de terrain ou de bétail à rassembler. Aidé par la splendide photo de Gordon Willis (légendaire chef-opérateur du Parrain, de Manhattan mais aussi des Hommes du président et de Klute), le réalisateur fait le choix du traditionnel Cinémascope et accompagne les personnages dans de majestueux paysages à l’aide d’une caméra très mobile. Dans son interview présente en bonus, Simon Gosselin revient sur la manière dont me metteur en scène définit les rapports entre ses protagonistes par de simple surcadrages, tout en insistant sur l’utilisation du format Scope et la manière dont ce dernier a rebattu les cartes du septième art et le rapport aux décors. Ainsi, les tensions entre Ewing, pure figure méphistophélique, et Ella, pleine de rancœur et de ressentiment, se résument in fine à deux discussions filmées comme des face-à-face, des duels où les mots tiennent lieu de coups de feu, et où la jeune femme revêt presque le rôle du flingueur taiseux comme le souligne l’enseignant Eric Thouvenel dans son entretien. S’il surjoue parfois son hommages aux grands classiques, à l’image de la bande originale trop lyrique et pompière du fidèle Michael Small (À cause d’un assassinat), Le Souffle de la tempête offre quelques moments de pur cinéma telle cette séquence de sauvetage d’un troupeau sous une pluie diluvienne, ou cette attaque nocturne qui aboutit à l’immobilisation de Frank, signes d’une ambition formelle certaine qui se double d’une réflexion sur les légendes américaines.
« Pourquoi tu ne renifles pas le vent tant que tu y es ? ». En une question adressée à Buck par son ami Billy Joe (Mark Harmon), tout le rapport aux traditions du vieil Ouest, qui tiennent tant à cœur au héros, est résumé. Quelles que soient les tensions qui existent entre les hommes et les femmes qui peuplent cette région, ils ont ceci en commun qu’ils vivent selon des codes et des valeurs ancestrales. Ewing est ainsi, malgré les apparences, en tout point opposé à Atkinson (George Grizzard), homme d’affaires sans scrupules ayant fait fortune dans les puits de pétrole. Le tableau d’un groupe de bisons qui trône dans le salon de celui-ci agit comme une projection fantasmée de sa nostalgie d’un territoire vierge idéalisé. La peinture écrase parfois symboliquement ses interlocuteurs, métaphore de leur petitesse au regard de l’Histoire de cette terre. Athearn, interprété par un James Caan alors au top de sa carrière après les cartons du Parrain ou de Rollerball, et qui vient juste de se frotter au genre sous la caméra de Claude Lelouch (Un autre homme, une autre chance) se pose en archétype de rectitude morale, un vestige des pionniers qui n’a plus sa place dans la société ultra capitaliste du XXème siècle. Entre ce dernier et la farouche Ella se tissent des liens emplis de tendresse et de respect, qui rend leur rapprochement amoureux presque dispensable et superflu. Une concession à certaines figures imposées que le film se plaît pourtant à tordre la plupart du temps. Que ce soit lors d’une séquence de confessions murmurées à voix basse, dans une amusante scène de repas où chacun feint maladroitement de s’ignorer, ou bien encore cette danse accompagnée par la caméra pivotant à 360 degrés sur son axe, entraînant une sensation de vertige, leur relation est au cœur des instants les plus touchants du Souffle de la tempête. Plus encore, ce microcosme archaïque coupé du monde et férocement attaché à un passé moribond trouve son incarnation littérale dans le personnage de Dodger, adjoint de la jeune femme. Le vieux cow-boy, campé par le cascadeur Richard Farnsworth qui écopera d’une nomination à l’Oscar du meilleur second rôle à cette occasion avant de bouleverser le monde dans Un Histoire vraie de David Lynch vingt ans plus tard, est un fantôme du folklore de l’âge d’or hollywoodien dont la dernière chevauchée sonne le glas métaphorique et bouleversante de tout un pan du cinéma.
Bien que situé à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale (l’entrée des Russes dans Berlin est annoncée dans un journal, un enterrement militaire a lieu dans le village, certains personnages sont d’anciens G.I’s…), l’ancrage historique du long-métrage ne se dévoile pas immédiatement. Thouvenel évoque les Etats-Unis du début de XXème siècle comme un lieu intemporel, ou plutôt atemporel, où le voyage de la côte Atlantique jusqu’au Pacifique s’apparente à un véritable retour dans le passé. Contrairement aux grandes cités de l’Est, le Montana résiste encore aux évolutions politiques, sociales et matérielles. C’est par une image éloquente qu’Alan J. Pakula fait entrer Frank et Billy Joe dans la modernité lorsque ces derniers quittent les décors naturels de la vallée pour pénétrer dans une petite ville. Une route goudronnée, des poteaux électriques et une poignée de voitures occupent soudain le cadre, excluant par là même les deux cavaliers, vestiges « Fordiens » anachroniques. Tout au long du film, le facteur « contemporain » se fait pourtant discret, jusqu’à ce qu’il resurgisse de manière brutale. Ainsi, par un avion se posant sur une piste de fortune (probable écho à l’hélicoptère de Seuls sont les indomptés) et surtout par des explosions ravageant le paysage, la technologie vient littéralement bombarder les personnages, ne leur laissant d’autre alternative que de s’adapter ou disparaître. Dans un contre-emploi loin du glamour de ses débuts, Jane Fonda incarne une femme de poigne, dirigeant d’une main de fer son exploitation, confrontée à une misogynie encore bien ancrée dans cette culture en plein développement économique, se heurtant aux nouvelles méthodes des pétroliers qui voient dans cette nouvelle manne une aubaine. Face à eux, Jacob Ewing, pourtant magnat sans scrupule ayant connu le krach de 1929, est lui aussi dépassé par les jeunes loups de l’or noir qui ne se déplacent qu’en voiture et se vantent de « travailler à l’avenir ». Porté par un récit classique de western, le film n’en oublie pas pour autant les bouleversements cinématographiques récents, principalement le Nouvel Hollywood et ses antihéros. Loin de son statut de charmeur viril, le cinéaste déconstruit l’image de James Caan en le clouant au lit lors de la première demi-heure (préfiguration de son rôle culte dans Misery), le laissant impuissant face aux menaces du propriétaire terrien. Frank aura néanmoins droit à une scène d’action qui, bien que quelque peu précipitée, renvoie directement à la violence graphique chère à Sam Peckinpah (pour qui le comédien a tourné trois ans plus tôt dans Tueur d’élite). La résolution n’est pourtant pas des plus optimistes, le « grand méchant » vaincu, les entrepreneurs et industriels peuvent définitivement prendre le pouvoir et imposer un modèle de réussite que la publicité ne va pas tarder à faire entrer dans tous les foyers. Chant du cygne d’une certaine Amerikana, en même temps qu’adieu aux westerns qui l’ont inspiré, Le Souffle de la tempête, malgré ses défauts, permet à Pakula d’ausculter en profondeur son pays comme il le fit avec ses thrillers, en évitant toute nostalgie stérile. À l’instar des personnages lors de l’ultime plan, la force des Etats-Unis réside dans cette faculté à se réinventer et à reparti de zéro inlassablement. Une leçon que le cinéaste fera sienne afin de rebondir après ce premier échec cinglant.
Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez Rimini Editions.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).