Harold Ramis a beaucoup œuvré, en tant qu’acteur et scénariste, au sein de la comédie américaine et ce, dès les années 70 et sa collaboration au magazine humoristique National Lampoon, où il côtoie Chevy Chase, Bill Murray ou encore John Belushi. C’est d’ailleurs pour ce dernier qu’il coécrira son premier script, celui d’American College (National Lampoon’s Animal House) que John Landis réalise en 1978. Dès lors, Ramis enchaîne les projets : Stripes, Meatballs et bien évidemment les deux volets de SOS Fantômes, pour Ivan Reitman, et passe même à la réalisation en 1980 à l’occasion du Golf en folie (Caddyshack), où il fait tourner ses camarades Chase et Murray (créateurs et stars du légendaire Saturday Night Live). En 1993, son quatrième long-métrage est un immense succès public et critique qui va engendrer un culte immuable et pérenne. Tiré d’une histoire originale de Danny Rubin réécrite en grande partie par le cinéaste, Un Jour sans fin suit les mésaventures de Phil Connors (Bill Murray), présentateur météo parti faire son reportage annuel dans la bourgade de Punxsutawney où l’on fête le « Groundhog Day » (le « Jour de la marmotte »), qui se retrouve condamné à revivre indéfiniment cette même journée du 2 février… À l’occasion de la ressortie en salle du film en copie restaurée 4k le 11 août, grâce au travail du distributeur Les Acacias, revenons en détail sur son impact considérable.
Le terme de feel good movie ne peut être mieux choisi pour définir Un Jour sans fin. De par son concept tout d’abord, qui voit un individu odieux contraint de se remettre en question et de devenir une meilleure personne après s’être retrouvé dans une situation surnaturelle. Une idée originale, sorte de croisement entre Frank Capra et La Quatrième dimension, parfaitement exploitée, notamment à travers sa mécanique qui fait reposer la définition du caractère et les évolutions émotionnelles de Phil, uniquement à travers son rapport à l’autre. Lui qui s’est toujours construit dans un snobisme pédant se retrouve à chercher son seul réconfort dans des discussions alcoolisées avec des « péquenauds » locaux (parmi lesquels un tout jeune Michael Shannon dans son premier rôle au cinéma). Chaque nouvelle itération entraîne des changements subtils, génère agacement ou empathie envers une population que le héros, personnalité publique et populaire, a toujours prise de haut. Ces répétitions, ces rencontres, vont l’amener à connaître les habitants de Punxsutawney par cœur, à s’attacher à eux, et se découvrir des sentiments véritables pour sa productrice Rita, incarnée par une Andy McDowell tout juste auréolé du succès de Sexe, mensonges et vidéo. Sans jamais être mièvre, le film parvient à faire naître une romance touchante entre deux individus qui ne se sont jusque-là jamais porté la moindre attention, et dont le climax est atteint lors d’une superbe déclaration d’amour alors que la jeune femme est en train de dormir, symbole de l’impossibilité du protagoniste à communiquer. À force de jouer (voire de surjouer) les hommes vertueux, le présentateur finit par en devenir un à son corps défendant. L’imitation du Bien et la découverte de l’amour finissent de le changer durablement. Une fable morale que certains pourraient hâtivement taxer de naïve mais qui, involontairement, voit son propos faire sens dans la réalité de chaque spectateur.
Le long-métrage a tellement habité nos souvenirs de cinéphiles, du magnétoscope au lecteur Blu-Ray, qu’il semble réconfortant, littéralement feel good, telle une madeleine de Proust. Des excellents dialogues signés par Ramis himself, à la bande originale cartoonesque de George Fenton (compositeur attitré de Ken loach et à l’œuvre sur The Fisher King, entre autres) piochant son thème chez Nino Rota (le générique évoque celui de 8 ½), l’intégralité du film se pose en un tel monument de comédie qu’il est difficile de l’appréhender objectivement. Reproduit un nombre incalculable de fois (Edge of Tomorrow, Palm Springs, Boss Level, voire le très bon Amour et amnésie), son dispositif trouve un écho surprenant dans notre rapport à ces images maintes fois visionnées. Le réveil de Phil au son de I Got You Babe de Sonny and Cher, nous le vivons avec lui depuis tant d’années, impuissants, assistant encore et encore à son malheur. Cette volonté de revoir les mêmes séquences, de les décortiquer, d’en saisir la moindre subtilité, rejoue ainsi le quotidien du héros forcé de comprendre la personnalité de chacun des habitants. La dimension méta que Groundhog Day façonne malgré lui trouve son acmé lors du montage qui voit le présentateur retravailler encore et encore ses méthodes de drague, inlassablement. La répétition de la même scène, à laquelle ce dernier change quelques détails afin de paraître parfait aux yeux de Rita, renvoie au travail du comédien enchaînant les prises, modifiant de menus détails ou l’inclinaison de sa voix, jusqu’à l’épuisement. Une autre lecture s’offre alors, celle d’un réalisateur filmant son acteur avec autant de passion que d’animosité, faisant ainsi surgir la vérité de leur relation sous le vernis de l’humour.
Ce n’est un secret pour personne, Harold Ramis et Bill Murray, pourtant amis proches, ne se sont pas entendus sur le tournage. Des années après la mort du metteur en scène, la star de Lost in Translation a d’ailleurs regretté cette brouille et a tenu à corriger symboliquement ses erreurs en orchestrant une réconciliation symbolique dans Ghostbusters : Afterlife. Il est amusant de noter que Ramis (qui fait ici un caméo en neurologie dépassé), après avoir envisagé Steve Martin, Chevy Chase, Tom Hanks ou John Travolta pour le rôle de Phil, choisit Murray justement pour la capacité de ce dernier à interpréter les individus odieux mais pourtant attachants. Le protagoniste, beaucoup plus cynique que dans le script original, se révèle condescendant, hypocrite, mais finalement peu respecté de ses collègues et de son entourage. Le réalisateur prend ironiquement sa revanche en le plongeant dans une expérience cauchemardesque, où sa malédiction provient d’un événement qu’il ne peut pas contrôler (le blizzard). Bien que léger et drôle, Un Jour sans fin n’hésite pas à prendre le chemin de la pure tragédie. Rien ne semble plus exister en dehors de la petite bourgade. Phil est condamné à traverser toutes les étapes classiques du deuil au cœur d’un purgatoire dont la rédemption sera sa seule échappatoire. Ainsi, confronté à l’inefficience de sa propre mort, de ses diverses tentatives de suicide (Rubin avoue s’être inspiré de l’idée d’immortalité chez Anne Rice), il se verra diamétralement changé par sa confrontation avec la disparition tragique d’un vieil homme, un SDF pour qui il ne peut rien faire. Cette approche bien éloignée de la comédie familiale traditionnelle, explique en partie la fascination qu’exerce le film depuis bientôt trente ans, et les nombreuses interprétations qu’il a engendrées, qu’elles soient philosophiques (le concept nietzschéen de l’Éternel Retour est bien sûr présent) ou spirituelles (nombreuses références au bouddhisme et au christianisme). Un Jour sans fin demeure profondément sombre, probablement nourri par les mésententes entre le cinéaste et son acteur principal à qui il fait répondre à Rita qui lui reproche de n’aimer personne d’autre que lui-même : « C’est faux, même moi je ne m’aime pas ». Son envie première de profiter de la situation quitte à dépasser les limites de la loi (bien que les deux scénaristes aient vite évacué l’idée de lui faire commettre des crimes horribles), ou à entraîner les autres dans ses méfaits, se double d’un mal-être certain. Quelle que soit la personne pour laquelle il ressent de l’amour, de la colère ou de la rancœur, celle-ci l’oubliera dès le lendemain, le laissant seul avec ses souvenirs et ses remords. Un spleen qui heureusement se verra conjuré par un ultime et salutaire happy end, conclusion lumineuse à une œuvre bien plus profonde qu’il n’y paraît, véritable pierre angulaire de la pop culture à redécouvrir sur grand écran.
En salles à partir du 11 août.
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