En 2016, Thomas Révay interroge Walter Hill pour la première fois pour sa revue Ciné-Bazar. Il lui propose à ce moment d’aller plus loin et de réaliser un véritable livre d’entretiens. Par ailleurs, si Wayne Byrne a consacré un ouvrage au cinéaste en 2022, il n’existait alors aucun livre en français sur l’auteur du Bagarreur et des Guerriers de la nuit. La Dimension Walter Hill tombe donc à pic pour permettre de se replonger dans l’œuvre d’un metteur en scène estimé par une poignée de cinéphiles mais dont certains titres emblématiques (48 Heures, par exemple) masque la diversité d’une filmographie conséquente (une trentaine de films auxquels il faut ajouter un travail de scénariste non négligeable puisque c’est à Walter Hill qu’on doit la saga Alien, par exemple).

Outre l’entretien-fleuve qui constitue l’essentiel de l’ouvrage, Thomas Revay a recueilli les témoignages de proches ou de personnalités qui ont côtoyé ou travaillé avec Walter Hill. Le casting est prestigieux, puisque ce sont Sigourney Weaver, Edgar Wright, Oliver Stone, Christopher Walken, John Landis ou encore Michael Mann qui évoquent avec beaucoup d’admiration le cinéaste. Même si ces témoignages sont plaisants (notamment lorsque Mann évoque leur passion commune pour certains films), avouons que le bel unanimisme qui s’en dégage évoque davantage les bonus promotionnels que l’on trouve parfois sur les DVD ou Blu-Ray (où il est de coutume de dire que tout le monde est formidable), plutôt qu’une analyse plus approfondie de la personnalité de Hill.

En revanche, l’entretien au long cours mené par Thomas Révay s’avère passionnant. On sent d’emblée qu’il est parvenu à établir une proximité avec Walter Hill dont il connaît bien l’œuvre et que le cinéaste est en confiance pour se livrer. « Livrer » est un verbe sans doute un peu fort tant Hill s’inscrit dans la tradition des « Mavericks » hollywoodiens qui n’aiment pas s’épancher et encore moins se prêter au jeu de l’interprétation. Les mots qu’il a pour conclure le livre sont très révélateurs : « Thomas Révay m’a rendu visite à mon domicile à Los Angeles. Nous nous sommes entretenus durant quelques jours et je ne lui ai raconté que des mensonges. Tout a été imaginé. Rien de ce que j’ai dit n’est vrai. Mais cela n’a pas d’importance. Les bons films sont des mensonges qui disent la vérité. »

En soulignant ce paradoxe, Walter Hill dévoile sa conception du cinéma : ce sont ses films qui parlent le mieux de lui et tout ce qu’il peut ajouter ne sont finalement que des mots en l’air. Malgré cette réticence à se confier, Thomas Révay parvient à recueillir une parole précieuse, qui revient de manière chronologique sur sa vie et son œuvre de cinéaste. Walter Hill se montre assez passionnant lorsqu’il évoque les cinéastes qu’il admire (King Vidor, Howard Hawks, Raoul Walsh…) et avec qui il a pu travailler (notamment Peckinpah sur Guet-apens ou John Huston, même si ce fut plus compliqué). Entre les anecdotes plutôt drôles (la rencontre avec Charles Bronson lorsqu’il s’apprête à tourner son premier film, Le Bagarreur) et les évocations de ses manières de travailler, Walter Hill s’ouvre de bonne grâce, même s’il reste souvent laconique. Évoquant trois catégories de cinéastes : ceux qui conçoivent le film « depuis leur bureau » (Hitchcock, par exemple) et pour qui toutes les étapes de la réalisation doivent tendre au « rendu photographique du scénario » ; ceux qui estiment que le film se conçoit au tournage (Hawks) ; et les derniers qui cherchent à faire de leur mieux à partir d’un scénario donné et qui réinventent ensuite le film au montage ; Walter Hill affirme qu’il se situe un peu entre la deuxième et la troisième catégorie.

On admire chez le cinéaste ce mélange de pragmatisme et de volonté de se renouveler à chaque film. Capable de passer d’un genre à l’autre (de la comédie au film noir, du cinéma d’action au film « pour enfants »), il confesse néanmoins une véritable inclination pour le western qu’il abordera de manière directe (Le Gang des frères James) ou indirecte (Les Guerriers de la nuit peut être vu comme une sorte de western urbain) à de nombreuses reprises.

L’évocation de ses films lui permet de revenir sur ses collaborations avec divers comédiens (Bronson mais aussi Eddie Murphy, Nick Nolte, Isabelle Adjani, Michelle Rodriguez, Arnold Schwarzenegger ou Sigourney Weaver) avec qui les relations furent, à quelques exceptions près, bonnes mais aussi sur ses rapports avec les producteurs et le système hollywoodien. Alors que son image de cinéaste musclé pourrait laisser croire qu’il n’a tourné que des « blockbusters », Walter Hill laisse apparaître, au contraire, le visage d’un artisan travaillant avec des moyens relativement modestes et soucieux de livrer un résultat honnête.

Un pied dans le système (il a tourné avec un certain nombre de stars), un pied en dehors, il apparaît comme l’un des derniers rescapés d’une lignée de cinéastes en équilibre entre la simple exécution de projets qu’on leur soumet et la capacité d’ apporter une touche personnelle à chacun de leurs films. Et c’est ce regard sur un système hollywoodien dont il fit partie tout en restant toujours un peu à part qui fait le grand intérêt de cette Dimension Walter Hill.

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La Dimension Walter Hill (2025)

Auteur : Thomas Révay

Traducteur : Mathieu Germain

Éditeur : Rouge profond

Collection : Raccords

ISBN : 979-10-97309-73-2

176 pages – 25 €

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