Hubert Viel –  » Louloute « 

Quel drôle de film ! Le début de Louloute inquiète, rémanence d’un certain cinéma naturaliste, habile patchwork des conventions narratives et esthétiques en vogue, de la lumière grisâtre aux dialogues faussement réalistes. La séquence dans la classe du lycée, sans consistance, démontre une nouvelle fois la difficulté des cinéastes à filmer des enseignants au travail. Et pourtant, un léger décalage suscite de la curiosité, notamment le regard paniqué de l’héroïne, la discussion gênante entre cette dernière et un prof fraîchement débarqué. Ainsi que la musique, sorte de folk planant accompagné de voix féminines cristallines, invoquant l’univers du conte de fée.

Rapidement, le film rassure, trouve son ton, se permet des digressions amusantes avant de rentrer dans le vif du sujet. La patine visuelle un peu plate n’était qu’un leurre afin de mettre en perspective l’atmosphère colorée et chaleureuse, un peu chimérique de la fin des années 80, lors des incessants retours entre présent et passé. Louise est donc cette professeur d’histoire-géographie, mal dans sa peau, dépressive et lunaire. Une sorte de clown triste, personnage récurrent de la comédie classique qui ne ferait plus rire personne dans le monde actuel. La rencontre avec un de ses anciens amoureux du primaire la plonge dans ses souvenirs d’enfance où elle vivait en Normandie dans la ferme familiale.

Louloute: Alice Henri

Copyright Tandem

Hubert Viel nous invite à un étonnant voyage à travers le temps, époque charnière, judicieusement choisie avant l’arrivée d’internet et l’accélération exponentielle des nouvelles technologies. Il décrit avec beaucoup de justesse une famille à la tête d’un élevage laitier. Louise, surnommée donc Louloute, vit donc avec son père, Jean-Jacques, de plus en plus oppressé par les difficultés financières auxquelles il doit faire face pour tenir la ferme, sa mère Isabelle, son grand frère Kevin et sa petite sœur Nathalie. La singularité du film tient à la parfaite combinaison entre onirisme et réalisme. D’un côté Hubert Viel filme le quotidien à la campagne, entre la traite des vaches, les tracteurs, les champs à perte de vue. De l’autre, à travers la vision décalée de Louloute, Louise donc, enfant rêveuse, et mélancolique, il introduit de la fantaisie, à la lisière du fantastique, évoquant à plusieurs reprises l’univers de Lewis Carroll. Lorsque Louloute suit le mouton fantaisiste dans une atmosphère surnaturelle comment ne pas penser à Alice au pays des merveilles.

L’observation d’un milieu rural pris dans un engrenage socio-économique de plus en plus ardu est perçu à travers le regard d’une petite fille qui ressent violemment l’effritement d’un mode de vie en voie de disparition. La dimension nostalgique, au lieu d’agacer, émeut car le cinéaste évite de sombrer dans un discours bêta genre « c’était mieux avant » ou une forme publicitaire à base de vignettes « vintage ». Il trouve un équilibre entre douceur et âpreté. D’autant que ce retour vers le passé est fragmenté, souvenirs parfois déformés de Louise qui tient constamment à enjoliver les événements sans y parvenir réellement.

Les scènes au présent prennent alors tout leur sens. La mise en scène télévisuelle, où tout semble affadit, terne, sans éclat, traduit l’état d’esprit dans lequel évolue Louise, son manque d’élan, son mal-être dans une société contemporaine où elle n’a pas sa place, préférant se réfugier dans les senteurs bucoliques et la lumière cotonneuse de son enfance. Elle a du mal à affronter sa situation, et notamment la vente imminente de la ferme.

Louloute: Laure Calamy, Bruno Clairefond, Alice Henri

Copyright Tandem

Derrière son apparente légèreté entre sa poésie du terroir et son sens de la comédie douce-amère, Louloute se dessine progressivement comme un beau film sur le deuil, une œuvre sur la difficulté d’accepter le réel. Ce portrait touchant d’une femme en perte de repères se clôt par une séquence magnifique, très émouvante qui montre Louloute entourée par ses parents dans le lit ; la caméra se rapproche au plus près du visage lumineux de la gamine. S’il est nécessaire de tourner la page, de ne pas vivre avec des regrets ou des remords, il est en revanche vital de garder en mémoire les plus beaux souvenirs vécus même si ceux-ci ne reflètent pas tout à fait la vérité. Chacun s’arrange comme il peut, et s’est sans doute la meilleure manière de s’en sortir.

Hubert Viel nous le rappelle avec tact et sensibilité, confirmant son talent de conteur grâce à un scénario finement écrit et une direction d’acteurs sans faille. Il signe l’un des films français les plus singuliers vu ces derniers temps.

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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