Après plusieurs courts-métrages et un documentaire co-réalisé sur un groupe de migrants qui tente de franchir la frontière américaine, (Bad Hombres, 2019), Rodrigo Ruiz Patterson signe avec Summer White son premier film de fiction. Il y raconte l’histoire d’un jeune adolescent, Rodrigo, qui voit sa relation fusionnelle avec sa mère menacée par l’arrivée du compagnon de cette dernière. Comme Truffaut avant lui, le réalisateur mexicain commence sa carrière en se concentrant sur l’enfance délaissée, incarnée ici par un comédien aux allures d’Antoine Doinel. Le prénom du héros laisse également suggérer une dimension autobiographique qui rappelle celle des Quatre Cents Coups. Mais la comparaison s’arrête là car le lyrisme d’un des chefs de file de la Nouvelle Vague est ici remplacé par une investigation des zones d’ombre de la psyché humaine, dans une tonalité nerveuse et inquiétante, qui lorgne avec le thriller psychologique.

©Destiny Films

Pour étudier comment confusion mentale et blessures internes peuvent orienter un être vers des penchants violents et malfaisants, Rodrigo Ruiz Patterson adopte le point de vue de son personnage principal, un garçon solitaire qui trompe son ennui en errant dans des terrains vagues et qui n’a qu’un seul ami : sa mère. Cette relation, toxique et exclusive, le maintient dans un état de régression, mais tout se modifie lorsque Fernando, le beau-père, emménage avec eux. Du jour au lendemain, on passe d’un extrême à l’autre : le bébé est chargé de devenir un adulte. Assailli par des injonctions contradictoires et meurtri par ce qu’il considère comme un abandon maternel, le collégien ne sait plus comment se comporter et s’illustre par une série d’actions dangereuses.

Par son utilisation intelligente de l’espace, le cinéaste mexicain épouse l’état d’esprit de son protagoniste. L’absence de plans d’ensemble et la multiplication des gros plans révèlent l’étroitesse de son monde intérieur, réduit au lien qui l’unit à sa mère. Cette réduction progressive d’un univers interne se retrouve aussi dans l’évolution de la maison familiale, utilisée comme miroir de la psyché de Rodrigo. À mesure que la présence du beau-père se fait plus importante, la demeure se transforme : elle est envahie par ses costumes et repeinte selon ses désirs. Elle devient alors presque invisible pour le jeune adolescent qui se sent dépossédé de son cosmos. À la recherche d’un autre chez-soi, il trouvera refuge dans une caravane abandonnée qu’il s’efforcera de reconstruire comme foyer alternatif.

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Summer White souffre en revanche de vraies faiblesses d’écriture. L’absence d’enjeux, autre que celui qui consiste à savoir si le fils et son beau-père vont réussir à s’entendre, le condamne à une structure sclérosée, dans lequel le récit s’essouffle assez vite, immobilisé dans la répétition : disputes en voiture, incendies provoqués par Rodrigo… De ce refus d’ouvrir la narration à des éléments extérieurs et à des personnages secondaires naît la monotonie; délivré du hors-champ, ce monde aurait pourtant permis de dessiner des lignes de fuite, des perspectives, à un film qui en manque cruellement, le rendant ainsi moins clos et moins parcellaire. Il en est de même pour le héros, dépourvu d’épaisseur et de variations, constamment rivé sur lui-même et dans l’incapacité de communiquer, et provoquant à l’arrivée une certaine indifférence.

Ruiz Patterson semble en partie s’inscrire dans la lignée d’un autre nom important du cinéma mexicain contemporain, Michel Franco, auteur notamment de Después de Lucia (2012). Il partage avec son aîné un regard distancié sur ses protagonistes, considérés comme des êtres guidés uniquement par leurs émotions, et dont il convient de faire ressortir les travers. Une telle démarche se transforme bien souvent en une mécanique programmatrice qui manque de vie et d’émotion pour susciter notre adhésion. En dépit de la cohérence de la mise en scène, on reste donc sur notre faim devant ce portrait froid et incomplet de l’adolescence.

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