Entretien avec Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau pour « Simple comme Sylvain »

À l’occasion de la 15ème édition du Festival Lumière, Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau l’actrice principale de sa troisième réalisation, étaient présentes à Lyon pour la projection en avant-première de Simple comme Sylvain. Après la découverte de ce film épatant, nous avons été heureux de pouvoir revenir dessus directement avec elles.

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Babysitter – Copyright Bac Films 2022

Simple comme Sylvain amorce un virage plus grave par rapport à vos deux films précédents.

Monia Chokri : Pour la petite histoire, je n’avais pas écrit Babysitter, qui vient d’une pièce de Catherine Léger, qu’elle avait elle-même adapté. Quand nous avions amorcé la production, j’avais déjà une version de scénario pour Simple comme Sylvain qui était pratiquement prête à être tournée. Babysitter aurait pu se faire avant, après… Sur Simple comme Sylvain, j’avais la volonté, même si c’était fragilisant, de mettre de côté l’aspect caustique de ma personnalité, d’enlever des couches de postures de comédie. C’était déstabilisant mais je pense qu’au final c’est plus intéressant, je peux davantage aller à la rencontre du spectateur par cette sincérité.

Simple comme Sylvain s’ouvre sur les images d’un cartoon avant de s’ancrer dans quelque chose de très réaliste.

M.C : Entre la télévision, les jouets, cela multipliait les stimuli des enfants, cela créait une abondance, je trouvais intéressant de commencer ainsi.

Magalie Lépine-Blondeau : Tu fais toujours des représentations de la famille très chaotiques, bruyantes et électriques !

M.C : C’est vrai mais ce n’est pas pensé en tant que tel.

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Simple comme Sylvain – Copyright Fred Gervais 2023

Justement, concernant cette séquence d’ouverture mais aussi, par exemple, d’autres scènes de repas, comment parvenez-vous à créer ce chaos à l’écran, de l’écriture aux directions de jeu ?

M.C : Pour générer cette sensation, il faut que cela soit extrêmement précis, chorégraphié et écrit.
Je suis un peu allergique à l’improvisation au cinéma, même si c’est parfois bien fait, ça reste rare. Je trouve trop souvent le procédé visible. On sent une nécessité de remplir le vide, or dans la vie ce vide existe. Nous pouvons alors sentir les acteurs en panique à l’idée de remplir cet espace vacant et les scènes se trouvent finalement trop chargées.

M.L-B : Je trouve qu’il y a une forme de mollesse dans l’improvisation au cinéma.

M.C : Possible, en tout cas de mollesse bizarrement remplie par quelque chose de trop abondant. En ce qui me concerne, j’écris au scénario des dialogues qui se chevauchent et que connaissent les acteurs.

M.L-B : Ils sont écrits côte-à-côte.

M.C : Je travaille ensuite avec eux en « majeur » et en « mineur ». Par exemple, lorsque nous travaillons en répétition, cela demande un effort de concentration gigantesque pour les comédiens. Ils doivent parler, se répondre et s’écouter en même temps. Dans le théâtre, David Mamet fait beaucoup ça dans son écriture, c’est une énergie très américaine. J’aime car je trouve que c’est conforme à ce que nous pouvons faire dans la vie. Cela me paraît toujours étrange quand au cinéma, nous passons comme si de rien était d’une réplique à l’autre.

M.L-B : Et puis cela crée aussi beaucoup de tension.

M.C : Tout à fait. En répétition, nous testons le « parler ». J’ai besoin que les acteurs aient conscience de ce qui est majeur et ce qui est mineur dans l’information que va recevoir le spectateur. D’un point de vue technique, lors du tournage, soit ils sont l’un à côté de l’autre et ils doivent vraiment se parler par-dessus soit nous avons des petites astuces. Parfois, ils font leurs répliques en silence, où ils continuent le dialogue afin de garder l’énergie ou tout simplement l’autre va parler et je juxtapose au montage ultérieurement.

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Simple comme Sylvain – Copyright Fred Gervais 2023

Vous venez de citer David Mamet, j’ai pu lire que vous citiez beaucoup Robert Altman pour la mise en scène du film. Qu’est-ce qui vous stimulait dans son cinéma ?

M.C : J’avais envie d’un cinéma beaucoup plus sensuel, circulaire, tout en rondeur. J’admire énormément le travail de Robert Altman qui est un spécialiste pour ce qui est de faire « bouger » la caméra de manière profonde et intelligente. Par exemple, ouvrir l’espace par le mouvement ou par le zoom, cela permet de faire beaucoup de choses en un même plan. J’étais dans une recherche d’économie, je me demandais toujours jusqu’où je pouvais aller avec un plan pour raconter la scène, quel était le maximum. Je voulais créer une vraie synergie entre la technique et les acteurs, parvenir à une sorte de ballet au sein duquel tout le monde devait s’écouter. Je désirais créer une intimité entre tout le monde. Cela permettait également aux techniciens d’avoir une approche très créative, ils étaient contraints de faire des choix.

Le zoom est l’un des effets de style que vous utilisez le plus souvent sur ce film, qu’est-ce qui vous plaisait dans cette technique ?

M.C : J’avais très envie d’explorer le zoom, Il y en a pratiquement dans toutes les scènes ! En quelque sorte, j’ai imaginé Simple comme Sylvain comme un documentaire animalier. Je voulais observer les personnages de loin tout en permettant aux acteurs d’avoir une certaine liberté. J’essayais toujours de placer la caméra le plus loin possible d’eux afin de créer une espèce de détente, impulser des temps différents par rapport à un objectif à proximité. En contrepartie, ils ne savaient jamais comment ils étaient cadrés.

M.L-B : Je m’intéresse beaucoup à la technique et j’y suis très vigilante dans mon travail. Sur ce film, l’expérience était à la fois différente et difficile, dans la mesure où nous avions la sensation étrange de ne pas comprendre la façon dont c’était tourné. J’ai beaucoup aimé, physiquement notamment, nous avion plus d’espace de jeu. Aussi, Monia partageait ses prises avec nous sur le combo, afin que nous comprenions mieux ce que nous venions de faire, ce dans quoi nous nous inscrivions, la dynamique de la séquence.

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Babysitter – Copyright Bac Films 2022

Il y a également un motif qui est omniprésent dans le film, celui du miroir, du reflet. Outre le plaisir esthétique, quelle signification cela avait-il pour vous ?

M.C : Il y a plusieurs choses, la première est très technique, cela me permet d’ouvrir l’espace différemment et d’offrir une nouvelle perspective aux scènes. C’est quelque chose que j’avais commencé à explorer sur Babysitter. Ensuite, le miroir est une tradition qui fait partie du langage, du vocabulaire du cinéma. J’aime beaucoup l’émission Blow Up sur Arte, Luc Lagier y fait des travaux d’archives exceptionnels et s’intéresse parfois à des objets. J’avais ainsi vu Le Miroir au cinéma qui explorait cette tradition mais aussi les réflexions qu’elle peut engendrer, notamment chez Truffaut. Je trouve que le miroir est un moyen de dialoguer avec soi-même. Par exemple, cette scène assez triste où Sophia refait l’amour avec son ex-compagnon et se retrouve face à elle-même : pas besoin de mots. Nous comprenons qu’il s’agit d’un dialogue avec elle-même, nous comprenons ce qu’elle peut se dire, je pense que c’est plus intéressant. Il se dégage une forme de tristesse, quelque chose qui s’endeuille, qui me semble plus profond que si je l’avais filmée simplement. Le miroir peut aussi donner l’impression d’être étranger à soi-même lorsque l’on se regarde, il permet de se questionner, de se sonder… C’est un objet que j’affectionne particulièrement au cinéma !

En tant qu’actrice, comment trouvez-vous un espace de liberté au sein d’une forme assez sophistiquée ?

M.L-B : Personnellement, je trouve davantage de liberté dans un cadre très restreint. L’acte de créer est une forme de désobéissance mais pour désobéir, encore faut-il qu’il y ait des règles ! En l’absence de cadre, je me sens un petit peu perdue, je sais pas où intervient mon anarchisme, ma sensibilité… Monia délimitait un cadre parfois très petit au sein duquel nous pouvions évoluer. C’était extrêmement précis, tant au niveau de son écriture qu’au niveau de sa mise en scène, cela demandait énormément de rigueur. Mais quand nous sommes préparés, que nous travaillons dans le plaisir, que nous avons énormément réfléchi, au final il y une satisfaction qui vient. Cela génère une forme d’adrénaline voire même de dopamine. La liberté est là mais elle n’est aucunement aléatoire.

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Simple comme Sylvain – Copyright Fred Gervais 2023

Vous êtes la première lectrice des scénarios de Monia, le rôle de Sophia a-t-il été écrit directement pour vous ?

M.L-B : Non, même si j’en ai eu l’impression en lisant le scénario. Je me sentais intimement proche du personnage, de son écriture, de ce qu’elle racontait, de sa psyché, des réflexions que Monia abordait… Mais le film n’a été écrit pour personne.

M.C : Elle a dû me convaincre (rires) ! Je n’écris jamais en pensant à des acteurs. D’une part, l’écriture est un processus long, les envies changent, les acteurs peuvent aussi changer dans notre pensée. D’autre part, j’aime que mes personnages aient une personnalité sur le papier, qu’ils existent sans avoir été parasités par le corps ou la voix de quelqu’un. Enfin, cela évite la possibilité d’être déçu. On écrit pour quelqu’un et la personne ne peut pas le faire, une musicalité s’est installée et il est difficile de voir quelqu’un d’autre dans le rôle… Je préfère que les personnages vivent par eux-mêmes.

Une réplique du film m’a interpellé, « l’amour est la seule valeur universelle », dans quelle mesure l’une et l’autre vous retrouvez vous à travers ces mots ?

M.C : Le film contient sur ce sujet une autre question je dirais : est-ce que l’amour est une valeur ? À mon sens oui, elle est même fondamentale. On ne fait ni ne règle rien sans amour. C’est une notion protéiforme, qu’il s’agisse de sentiments amoureux, d’amitié ou juste de politesse. Aimer, c’est humaniser.

M.L-B : On crée rien sans amour.

M.C : En tout cas on crée beaucoup de violence sans amour.

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Simple comme Sylvain – Copyright Fred Gervais 2023

Propos recueillis à Lyon le 20 octobre, un grand merci à Monica Donati et aux équipes de Memento Distribution qui ont rendu possible cet entretien ainsi qu’à Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau.

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A propos de Vincent Nicolet

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