Entretien avec Ye Ji-won : « Être actrice, c’est exercer la force de l’amour et de la positivité »

La formidable Ye Ji-Won , tout aussi lumineuse chez Hong Sang-Soo qu’Im Kwon-Taek, autant à l’aise de le drame que la comédie, nous a accordé un entretien à l’occasion du cycle Séoul hypnotique qui se tient actuellement au Forum des images. On y a projetait notamment Turning Gate de Hong Sang-Soo ainsi que le méconnu So Cute de Kim Soo-hyun (2004), oeuvre incomprise du public en son temps et à laquelle Ji-Won Ye tient particulièrement. Il faut dire qu’elle y tient peut-être l’un de ses plus beaux rôles de femme fantasque et libre. Elle n’est pas avare en anecdotes de tournages et de collaborations avec des cinéastes étranges, qui écrivent leurs scènes le matin avant de tourner. Son amour pour la France transparaît plus que jamais dans ses réponses et l’on sent une certaine mélancolie lorsqu’elle évoque la place laissée à la femme dans le cinéma coréen. Prise dans la conversation elle paraissait aussi désireuse que moi de poursuivre …. mais l’entretien hélas, devait prendre fin. Un condensé d’intelligence, de distinction et d’humour.

Comment choisissez-vous vos rôles ? Diriez-vous que ce sont vous qui choisissez vos personnages ou que ce sont eux qui vous choisissent ?

(rires) C’est le rôle qui vient me chercher.
Je pense que j’ai beaucoup de chance d’avoir eu autant de rôles différents dans ma carrière. En général les acteurs, surtout les actrices, attendent longtemps qu’on leur donne un rôle. Mais moi les rôles sont tous venus à moi sans que je vienne demander quoi que ce soit et j’en suis très heureuse.

En France, on vous a vu pour la première fois sur les écrans à la sortie de Turning Gate d’Hong Sang-soo, et notamment pour cette magnifique scène où votre personnage improvise une danse devant ses deux « prétendants », se livrant totalement. Cette scène était-elle prévue longtemps à l’avance, et aviez-vous un background de danseuse pris en compte par le réalisateur?

Au tout début, le personnage que je devais jouer était un écrivain. Donc le réalisateur avait décidé que cet écrivain allait devoir faire beaucoup d’interviews, essentiellement sur la vie des acteurs. Mais dans le film Anakiseuteu Anarchists, j’avais chanté la chanson Sombre Dimanche. Et à la base j’ai étudié la danse et le réalisateur le savait ; il a donc changé le personnage. Et il m’a dit « que penserais-tu si cette femme dansait et chantait devant l’homme qu’elle aime ? ». Vous savez, j’ai vu L’appartement, le film avec Monica Bellucci et Vincent Cassel. Il y a cette scène ou Monica Bellucci danse devant Vincent Cassel et j’avais pensé à ça. Je me suis que si ça pouvait donner une scène comme celle-ci, ça pouvait être bien. Et même si n’a pas donné le même effet, j’étais très heureuse de pouvoir le faire.

Le scénario a été à la base plus ou moins écrit précisément. Et les dialogues écrits le matin même du tournage.

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Est-ce toujours le cas pour le cinéma de Hong Sang-soo ?

Toujours (rires)
Il écrit tous les jours le matin. HaHaHa a été tourné près de la mer. L’appartement où nous logions tous ensemble était également près de la mer. Donc il se levait le matin et il allait écrire devant la mer et les autres attendaient. Et tous les jours ça changeait. C’est souvent en fonction de la situation. En général avant le tournage il dit à ses acteurs « oubliez tout ». (En français) La beauté du vide. Telle qu’on l’entend en peinture.

Il va y avoir une introduction musicale et dansée ce soir, est ce que ça va être de cet ordre là ?

Je vais chanter juste un petit peu. Très simplement

Dans Turning Gate, on se souvient également de ce moment où vous chantez en français, cette fois lors d’une soirée arrosée. Aviez-vous l’habitude de chanter en français avant le film, et la « légende » des acteurs buvant réellement lors des tournages des films d’Hong Sang-soo est-elle vrai ?

Oui, pour tout. (rires).
C’est toujours un festival avec Hong Sang-soo.
(En français) Je voudrais évoquer en français, l’histoire de ma relation avec la France. Ma destinée est liée à la France. Les classiques du cinéma ont bercé mon enfance. Dans les clubs de cinéma il y avait beaucoup de films français. Ma spécialité à l’université était l’art du spectacle. Mais mon entourage me l’a déconseillé en me disant d’apprendre l’anglais. Il y a longtemps, en Corée, l’anglais était plus utilisé. Là, en ce moment même, je trouve mon entourage magnifique. Parce que je vais chanter des chansons comme dans le film. Dans Turning Gate je devais chanter Sombre Dimanche de Damia et Paroles, paroles de Dalida dans So Cute. Mais à cette époque, je ne connaissais pas du tout le français, même l’ABCD. Après, j’ai commencé à étudier le français. La première fois que je suis allé en France, c’était pour tourner une publicité. Je devais aller au restaurant avec des amis et j’ai préféré sortir me balader. J’ai adoré ça. La deuxième fois c’était pour des vacances pour trois jours. J’ai décidé qu’il fallait que j’apprenne le français. Je suis allée étudier à l’université française. Je ne connaissais pas l’alphabet. J’ai étudié pendant 8 semaines puis j’ai abandonné. J’ai appris le français avec une actrice de théâtre coréenne. Je suis restée 3 mois pour étudier le français alors que j’avais prévu de rester un mois. En Corée, j’ai repris des leçons pendant huit mois. J’adore les films , les spectacles, la langue françaises, les artistes. C’est écrit dans les lignes de ma main. C’est un miracle. qu’on m’invite à ce festival : mon rêve d’enfant s’est réalisé. La plupart des fois où j’ai visité la France, c’était pour travailler. Dans le film je devais chanter des chansons, dans un drama, j’avais un personnage qui allait vivre à Paris. Pour faire la communication de mon film j’ai dû chanter Paroles, paroles. Et j’ai souvent parlé de mon amour pour la France à la télé Coréenne, si bien que lorsqu’on tapait mon nom sur Internet, les résultats sortaient avec le mot « France » . Et tous les gens ont commencé à rechercher les vidéos où je chantais « paroles, paroles ». Dans un autre film, je l’ai chanté encore une fois. Régulièrement quand je fais un show, je dois encore chanter Paroles, paroles.

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Vous avez retrouvé Hong Sang-soo trois autres fois par la suite, mais entre Turning Gate et HaHaHa, il y a un espace de presque dix ans. Comment avez-vous ressenti l’évolution de ses méthodes de tournages?

Hong Sang-soo est devenu un peu plus léger, il a de plus en plus d’humour. Il fait beaucoup de blagues maintenant et même ses récits sont devenus plus clairs, plus lumineux. (En français) Vous en pensez-quoi ? Et son budget est beaucoup plus limité pour la production. Il tourne même encore plus vite qu’avant.

On a la sensation d’un cinéma qui saisit l’instant qui passe justement.

Comme un journal intime. D’ailleurs, il nous a demandé d’écrire un journal intime. On retrouve ce détail dans The Day he Arrives.

Votre personnage dans HaHaHa et dans  Haewon et les Hommes porte le même nom et a le même type de relation avec celui joué par Yu Jun-sang. Etait-ce clair chez le réalisateur qu’il s’agissait du même couple?

Oui, c’est vrai. Un jour il m’a appelé pour me dire « allez, on tourne Haewon ». Et comme d’habitude, oublie tout avant de venir, ne pense à rien et vient Alors je suis parti et j’ai pensé que ce serait bien si Yu Jun-sang venait. Et il était déjà là. Et je lui ai demandé pourquoi il était là. Il me répond  : « c’est pour refaire le lien ».Comme nous nous connaissions déjà, tout allait très très vite. Les dialogues. Tout. C’était un peu par hasard qu’il ait voulu garder les mêmes noms pour les personnages et pour le couple. Il y a des choses qu’il écrit en avance et beaucoup d’autres qu’il écrit en direct.

Est-ce que l’on a le sentiment de faire partie d’une troupe familière comme au théâtre avec Hong Sang-soo, après plusieurs films?

C’est ma famille. Et grâce à Hong Sang-soo, je me suis fait beaucoup d’amis.

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Vous avez également tourné avec un autre grand nom du cinéma coréen pour le film Hanji en 2011, Im Kon-taek. Que vous a apporté cette expérience et que retenez-vous de la personnalité du réalisateur?
Encore la chance ! Im Kwon-Taek lui écrit tout son scénario de A à Z, mais il écrit quand même les dialogues le matin. Tous les réalisateurs qui me choisissent sont un peu étranges. Quand on demande à Im Kwon-Taek, ce qu’est ce que ce scénario, qu’on lui dit qu’on y comprend rien, il répond : « moi non plus, je ne sais pas ». Mais souvent le scénario se termine le jour où il finit de tourner.

Pouvez-vous nous parler un peu de So Cute, l’autre film que vous présentez au Forum des Images et qui est inédit en salle en France?

Ça fait 12 ans qu’il a été tourné et je suis très heureuse de le montrer au public français. C’est un film que j’aime beaucoup, mais j’avais l’impression qu’on l’avait un peu oublié. Je n’aurais jamais imaginé pouvoir le présenter au forum des images. Bien sûr les cinéastes comme Im Kwon-Taek ou Hong Sang-soo, on vient les chercher en France, mais So cute, c’est un film qui fut très apprécié par les journalistes et critiques de cinéma mais il y a eu un moment de vide après. J’ai cru qu’il allait avoir un très gros succès. Mais les spectateurs n’ont pas du tout accroché. Ils ne voyaient pas le sens, la conclusion, ils n’arrivaient pas à suivre. Le genre était un peu nouveau, les personnages étranges. S’il était sorti aujourd’hui, il aurait eu beaucoup plus de succès. Le film est allé au festival de Moscou et au festival de Busan. Le film que le cinéaste a fait après So Cute, Changpihae, n’est pas sorti en France et a été présenté au Festival de Berlin. En ce moment il est en train d’écrire un autre personnage pour moi. Il voudrait la montrer un peu plus la danse traditionnelle coréenne qu’il adore. Donc il m’a demandé d’aller danser devant les spectateurs français du Forum des images, pour montrer la danse traditionnelle coréenne. Il a failli venir rien que pour pouvoir me filmer. Bien sûr le personnage de notre prochain film ensemble n’est pas encore très précis. Mais il s’est dit, pourquoi ne pas aller filmer cette scène au Forum des images et essayer un peu de montrer la solitude que le personnage pourrait ressentir devant ce public qui ne comprend rien. Quand je vous disais que tous les réalisateurs qui tournent avec moi sont à la fois intéressants et un peu étranges !

Je trouve que c’est un film très libre, très féministe aussi et je me demandais si dans la vraie vie… vous étiez aussi volubile et fantasque que votre personnage de So Cute

J’espère. Vous savez, je suis artiste, j’habite à Séoul. Mais je dois tout garder à l’intérieur de moi. C’est pour cela que j’aime autant le personnage de Sun-i dans So Cute. Elle est tellement naturelle et libre. Comme c’est un film qui a été tourné il y a un moment, c’était encore plus impressionnant de voir cette liberté à cette période là. Vous vous souvenez de cette scène de So Cute où Sun-i se bat avec cette petite fille et avec la vieille dans la rue ? J’ai vraiment vendu ces gâteaux de riz que Sun-I doit vendre dans la rue et sur les autoroutes. Et le jour du tournage où l’on devait vendre ces gâteaux dans la rue, il y avait énormément de voitures, la route était un peu bouchée. Je devais vendre ces gâteaux entre les voitures. Les gens qui ne savaient pas que je tournais un film n’arrêtaient pas de m’insulter. Et quand je me suis battu avec la dame dans la rue, je me suis vraiment battu avec elle. Ils disaient « vas-y bas toi vraiment avec elle » et ils étaient cachés pour essayer de la filmer en même temps. Le personnage de celui qui faisait les livraisons, était un acteur très connu, mais c’est pareil, le réalisateur lui a vraiment demandé de faire des livraisons pour vivre son personnage. Donc il a fait ça pendant un mois. Pour celui qui fait le gangster, ce jeune homme a vécu pendant un mois avec des gangsters pour pouvoir vraiment vivre la chose. Et il y avait beaucoup de gangsters qui nous surveillaient pendant le tournage. Jang Sun-woo , qui joue le rôle du père, du chamane s’est fait expliquer en détail par un chamane son rôle pour qu’il puisse apprendre un peu plus ce qu’était le chamanisme. Je ne sais pas si vous savez, mais Sun-woo Jang est aussi un réalisateur très connu en Corée. Il avait avant sous sa coupe Kim Soo-hyun le réalisateur de So Cute. Kim Soo-hyun a donc appelé Jang Sun-woo et lui a dit : « bon et bien maintenant tu vas jouer pour moi !». « Et pourquoi devrais-je dois faire ce rôle pour toi ? ». « Comme tu m’as traumatisé quand j’étais jeune et que j’ai travaillé pour toi, maintenant : payback ! ». Normalement le film aurait du être fait en 3 mois, mais ça a pris un an.

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Que pensez-vous de la place du personnage féminin dans le cinéma coréen ?

Il y a de moins en moins de femmes actrices en fait. Mais comme il y a de plus en plus de genres, de film a petits budgets, et si ce sont des bons films ils peuvent aller en festival. De plus en plus de femmes arrivent malgré tout à avoir de petits rôles dans ces petits films. Et d’ailleurs le réalisateur de So Cute a décidé de me reprendre aussi dans cette optique. Il y a de plus en plus de grands personnages principaux dans le cinéma coréen. Je suis très content car on me demande de plus en plus de revenir dans le cinéma coréen. Pendant quasiment deux ans je n’avais plus rien. Beaucoup de dramas. J’étais plus avec la télé. Ça commence à revenir. Les femmes retrouvent leur place.

Vous avez une capacité à changer de visage d’un film à l’autre que je trouve fascinant

Ce sont comme des devoirs à faire à la maison …

Pour moi, être actrice, c’est exercer la force de l’amour et de la positivité.

(Entretien réalisé en collaboration avec Guillaume Bryon)

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

2 comments

  1. Carrion

    Super article !! Par contre il faudrait corriger un détail, ce n’est pas Vincent Perrez mais Vincent Cassel qui joue dans L’appartement avec Monica Bellucci. C’est même sur ce tournage qu’ils se sont rencontrées pour la première fois 😉

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