Il y a quelques temps, Culturopoing avait interviewé Vincent Dumestre à l’occasion de son remarquable et remarqué travail sur Cadmus et Hermione de Lully avec le Poème harmonique. Notre rencontre aujourd’hui avec la mezzo-soprano belge Angélique Noldus s’inscrit d’une certaine façon dans le prolongement de ce premier échange puisque celle-ci a collaboré au spectacle mis en scène par Benjamin Lazar et dirigé par Vincent Dumestre. Par ailleurs, Angélique Noldus a, à plusieurs reprises, interprété des oeuvres baroques, de Cavalli à Haendel avec, tout récemment, le rôle de Bradamante dans une belle version d’Alcina dirigée par Christophe Rousset et mise en scène par Pierre Audi, rôle qu’elle va reprendre très prochainement au Teatro Real de Madrid dans une nouvelle production. Mais la carrière d’Angélique Noldus ne se limite pas à l’opéra baroque, interprète régulière de Mozart, elle vient d’enregistrer une superbe version du Requiem dirigée par Leonardo Garcia Alarcón. Au cours de notre entretien, elle évoque ce rôle important qu’a tenu la musique de Mozart dans son trajet personnel. Elle revient aussi sur quelques rencontres importantes, avec Jérôme Deschamps et Mascha Makaieff, André Engel, Laurent Pelly, Pierre Audi notamment, ainsi que sur ses projets passés et à venir où se côtoient les oeuvres de Strauss, Massenet, Wagner… A travers le riche parcours d’Angélique Noldus, c’est le portrait d’une chanteuse lyrique d’aujourd’hui qui se dessine, avec les parts de travail rigoureux et d’heureux hasards qui y interviennent…

A quel moment as-tu commencé à chanter ?

J’ai toujours aimé écouter la radio mais vraiment pas du tout de ‘classique’. J’écoutais les chanteuses comme Mariah Carey, Whitney Houston et je chantais leurs chansons… Et puis, j’ai découvert le chant choral en partant comme étudiante d’échange aux Etats-Unis quand j’avais 17 ans. L’école où j’étais proposait des cours de piano et la prof donnait non seulement les cours de piano mais elle dirigeait aussi la chorale. Elle m’a dit : « Tu aimes chanter, voudrais-tu venir à la chorale ? » Tous les jours, j’avais donc chorale et c’était mon rayon de soleil de la journée mais je ne pensais absolument pas en faire mon métier. En rentrant de Caroline du Sud, j’ai commencé des études de traductrice. Suite à un appel à la radio qu’un copain avait entendu, j’ai alors fait partie d’un spectacle amateur à Verviers (Belgique) d’où je suis originaire : c’était La Mélodie du bonheur (un présage? rires) J’y étais une des religieuses et cela a vraiment été le déclic : lorsque j’ai été en costume sur scène en train de chanter, je me suis dit : « C’est ça que je souhaite faire !».

Tu as donc débuté assez tardivement.

Oui, tout à fait ! J’ai quand même terminé mes études de traductrice. Puis, j’ai commencé des études au conservatoire de Liège en prenant des cours accélérés de solfège avec Robert Bléser (le chef d’orchestre de La Mélodie du Bonheur) et des cours de chant pour préparer l’examen d’entrée, en m’ouvrant à tout ce monde qui m’était totalement inconnu.

Angélique Noldus 1

Photo : Yves Gilson

Quand as-tu compris que cela pouvait devenir une carrière professionnelle ?

A aucun moment ! (rires) Au départ, je pensais faire de la comédie musicale ou même de la variété ! (aujourd’hui encore, cela pourrait me plaire de faire partie d’une comédie musicale ou d’enregistrer une chanson). J’en ai donc parlé avec Robert Bléser qui m’a dit : « Tu sais, il n’y a pas de cours de comédie musicale ici en Belgique, il faut faire le conservatoire ». Pour mes parents, c’était un choc évidemment : me voilà avec un diplôme de traductrice en poche et je change d’orientation vers quelque chose que je ne connais pas. J’ai dû énormément travailler et c’est toujours le cas ! C’est ça qui est superbe dans ce métier : c’est qu’on ne cesse jamais d’apprendre !

Comment se fait le passage du conservatoire vers ton premier opéra en 2005 ?

C’est une chance inouïe ! A Liège, j’avais comme professeur Nicolas Christou, un chanteur qui a beaucoup chanté à La Monnaie et qui gardait contact avec le Théâtre. La Monnaie a invité certains élèves à participer à quelques masterclass, à faire des stages avec des metteurs en scène ou assistants. C’est comme ça que j’ai eu mon premier contact avec La Monnaie. Puis, j’ai travaillé de temps en temps avec Peter Tomek, un pianiste/coach à La Monnaie et c’est lui qui m’a dit qu’il y avait une audition. Ils recherchaient une troisième dame pour La Flûte enchantée, la première et la deuxième étaient déjà distribuées. Je pensais que j’étais peut-être plus une deuxième dame. Je me suis dit : « Est-ce que je peux faire la troisième ? » Je me suis lancée et, sur la scène, il y avait juste le directeur et René Jacobs. Il m’a dit : « Qu’est-ce que vous voulez chanter ? » Je me souviens avoir auditionné avec Sesto dans La Clémence de Titus et un extrait du rôle de la troisième dame. C’est ainsi qu’a commencé mon aventure à La Monnaie et ailleurs également car cette production de René Jacobs/William Kentridge a eu beaucoup de succès. On a eu la chance de la reprendre partout, dont à New York au B.A.M. (Brooklyn Academy of Music) et en France à Caen et à Lille. Ensuite, il y a eu des reprises à La Monnaie. En tout, j’en ai fait cinquante des Flûtes enchantées ! C’est donc un des rôles que j’ai le plus fait, pour le moment en tout cas. C’était une très belle expérience et cela m’a permis de rencontrer beaucoup de gens et de faire mes premiers pas à l’opéra.

Les choses s’enchaînent alors très très vite…

Oui. Au conservatoire à Liège, un des assistants de Nicolas Christou était Albrecht Klora qui, à l’époque, était professeur et avait aussi une agence artistique, l’agence Ariën. Suite à mon engagement à la Monnaie, ils m’ont proposé de faire partie de l’agence, ce qui m’a donc permis de décrocher d’autres rôles dans d’autres théâtres, ainsi qu’à La Monnaie à nouveau, théâtre qui m’est si cher et avec qui j’ai une belle fidélisation ! Je viens d’y fêter mes dix ans de carrière avec Bradamante dans Alcina de Haendel. Selon moi, une carrière : c’est beaucoup de travail, de rigueur, de discipline, de rencontres, mais il y a aussi le facteur chance. Et puis, il faut dire que je suis une passionnée : j’adore ce que je fais !

Tu as ensuite travaillé sur plusieurs opéras de Mozart et tu as participé au Mozart Short Cuts de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps en 2006. Plus récemment, tu as enregistré le Requiem avec Leonardo Garcia Alarcón. Quels souvenirs gardes-tu de ces expériences ?

Magnifiques : Ramira, personnage créé par Jérôme Deschamps et Mascha Makaieff était issu du Ramiro de La finta giardiniera, mon premier Cherubino dans Les Noces de Figaro au Vlaamse Opera en 2007. Par la suite, j’ai décroché aussi Annio dans La Clémence de Titus à Lisbonne puis le Requiem, que j’adore : on vient de l’enregistrer avec Leonardo Alarcón avec qui j’ai beaucoup aimé travailler.

Angélique Noldus 2

Tu as aussi eu une expérience aux Etats-Unis.

J’ai chanté dans La Flûte enchantée à New York au BAM et comme j’étais là bas, je me suis dit : « Bon, si je suis à New York, il faut que j’aille frapper à la porte du MET qui est à côté ». C’est un peu au culot. J’avais rencontré Richard Harrell à l’opéra studio d’Amsterdam qui m’avait dit : « J’ai un contact là-bas si tu souhaites une audition » et j’ai été auditionner. Quand j’ai expliqué aux autres membres de la production que j’étais allée auditionner au MET, je me suis dit que c’était quand même dingue pour une petite Belge à New York ! J’ai un beau souvenir de cela : l’audition était un 13 avril, et, exactement un an après, j’avais la date de début de contrat. J’ai été engagée comme cover d’Annio dans La Clémence de Titus. J’ai failli monter sur scène. C’était en 2008. Je me suis toujours demandée, si j’étais montée, ce qui se serait passé… Mais je fais souvent confiance à la vie et je me dis que ce n’était pas le bon moment ! La chanteuse était malade et j’étais dans la fameuse green room, salle où on est en ‘stand-by’. C’était un tel mélange de sentiments ! Quand, finalement, on m’a dit : « Tu n’iras pas ! », je ne savais plus si je devais être contente, soulagée, triste… J’attendais pour rentrer au deuxième acte et celui-ci commence avec l’air d’Annio. Je me disais : « ça va être terrible si je fais mes débuts au MET en commençant par chanter l’air ! » (rires) Mais bon, voilà, je n’ai pas eu la chance de monter mais j’ai fait de belles rencontres : Nathalie Dessay, Placido Domingo… C’était grandiose d’être là, à New York et de pouvoir assister à tous ces spectacles !

Tu as également collaboré avec Le Poème harmonique et, dans ton parcours, la musique baroque est assez présente. Comment as-tu intégré le travail très particulier sur le chant attendu par Vincent Dumestre et Benjamin Lazar pour Cadmus et Hermione de Lully ?

J’ai eu très peu de temps car il s’agissait d’un remplacement. Je me suis donc jetée à l’eau : j’ai appris la gestuelle baroque avec Benjamin Lazar qui s’occupait de la mise en scène et me suis mise au français de l’époque avec son accent si particulier ! C’est là que ma première formation de linguiste m’est bien utile : j’ai étudié le français, l’anglais, le néerlandais et, en autodidacte, l’allemand, l’italien. Ensuite, j’ai travaillé le style musical avec Vincent Dumestre. Ce Cadmus a été une belle expérience. Finalement, je pense que le répertoire vient en fonction aussi des rôles proposés. Et je dois dire que je suis très contente de pouvoir aborder un large répertoire : de Monteverdi au contemporain en passant par Händel, Mozart, Gounod, Strauss, Janacek, Wagner…!

Tu as aussi eu une expérience à l’Opéra de Paris. Tu y interprétais Siebel dans Faust de Gounod.

C’est Jean-Louis Martinoty, le metteur en scène, qui m’a vue dans le rôle du Compositeur d’Ariadne auf Naxos de Strauss à Strasbourg et il s’est dit qu’il me verrait bien en Siebel ! Ce n’est pas un rôle très important au niveau du chant mais Jean-Louis en a fait un rôle intéressant scéniquement : j’étais souvent sur scène, ce qui me plaisait beaucoup. Faust a aussi été une expérience difficile car il y a eu un changement de chef en dernière minute, puis une grève scène/costumes le jour de la première. Nous avons donc improvisé un version concertante : il faut donc avoir les nerfs bien accrochés et pouvoir s’adapter au mieux !

Je crois qu’André Engel a été une rencontre importante pour toi lorsque vous avez travaillé ensemble, en 2010, sur Ariadne auf Naxos de Strauss ?

André Engel est vraiment un gros coup de coeur. Tu évoques 2010. J’ai fait avec lui le rôle du Compositeur dans Ariadne auf Naxos. C’est vraiment un rôle important  que j’adore ! En travaillant avec André Engel, j’ai vraiment senti un travail de théâtre et moi qui suis passionnée par le jeu, je me suis régalée. Je suis une chanteuse qui joue mais, souvent, je me sens plutôt comme une comédienne qui chante. J’ai autant de plaisir, si pas plus, à jouer qu’à chanter. André Engel a vraiment beaucoup travaillé sur le personnage, sur ses différentes facettes, ça m’a beaucoup plu. Après, je l’ai retrouvé à Lyon dans La Petite renarde rusée de Janáček où, là aussi, j’ai beaucoup aimé sa façon de travailler sur mon premier ‘Renard’.

As-tu eu l’occasion de retrouver cette attention au jeu dans d’autres productions ?

Je l’ai rencontré aussi avec Laurent Pelly et son assistante, Laurie Feldman, que j’avais déjà rencontrée à New York. J’ai incarné une des deux méchantes soeurs dans Le Cendrillon de Massenet à La Monnaie et c’était un travail scénique extrêmement précis, toujours à deux, ‘en miroir’. J’ai retrouvé récemment cette précision avec Pierre Audi pour la mise en scène d’Alcina. Il travaille la lumière, les perspectives : une chaise, si elle est inclinée d’une certaine façon, il faut qu’on soit de trois-quart par rapport à elle… Mais ensuite, quand on peut se libérer de la structure, on peut vraiment entrer dans les émotions et la psychologie des personnages et ça devient magique ! C’était un travail vraiment intéressant. En plus, c’était une reprise : le temps de répétitions était court et ça a été un beau défi à relever !

Dans le rôle d’Annio, La clemenza di Tito de Mozart, Teatro Nacional de Sao Carlos (Lisbonne), fév/mars 2008, Stert/Benite

Dans Alcina, tu interprètes Bradamante, une femme déguisée en homme qui réapparait ensuite en femme. Dans ton parcours, cette variation sur les genres est très présente.

C’est quelque chose qui me passionne de pouvoir jouer des rôles masculins et féminins. Par rapport au jeu spécifiquement, si je joue le rôle du Compositeur par exemple, je ne vais pas commencer à marcher comme un garçon, entrer dans une caricature, j’essaie de rester la plus naturelle possible dans ce qui me semble juste être le personnage, sans entrer dans un cliché. Ce qui me plaît dans le rôle de Bradamante, c’est que j’ai vraiment les deux facettes dans le rôle : je suis une femme qui vient déguisée en homme pour finalement réapparaître après en femme. C’est vraiment un des aspects de l’opéra qui me plait. A force d’avoir fait tellement de rôles masculins (le Compositeur, Cherubino, Annio, Siebel,…), je me suis demandée si je n’avais pas plus de facilités d’interpréter ces rôles que les rôles féminins. Quand on m’a proposé Meg Page dans Falstaff, en voyant la mise en scène, le costume avec le petit béret, je me suis dit : « Ouh là, c’est vraiment « chic madame » ! Est-ce que je vais arriver à jouer ça ? » Avec Olivier Py, pour sa Mercédès dans Carmen, c’était la même chose. Finalement, j’ai adoré aussi ces rôles et ça m’amuse beaucoup de pouvoir interpréter des personnages tellement différents les uns des autres!

Le costume doit jouer un rôle important aussi ?

Oui, évidemment, ainsi que les différents types d’époques envisagés. Dans l’Alcina de Pierre Audi, on avait des costumes magnifiques. Quand on répète, j’aime avoir des costumes et chaussures de répétitions proches des originaux, afin de s’habituer à la démarche, aux mouvements, etc. Et puis, ce qui est génial aussi, ce sont les perruques, les maquillages et observer la transformation, qui peut être plus que surprenante ! D’ailleurs, pour l’anecdote, quand je me suis vue en Cherubino la première fois, j’avais du mal moi-même à croire que ce jeune homme était moi…! (rires)

Tu vas bientôt jouer Bradamante à Madrid.

Ce sont mes débuts au Teatro Real et en double distribution en plus. C’est intéressant de voir l’autre jouer car on a chacun notre personnalité propre : tant vocale, physique que scénique ! Et Bradamante me porte chance puisque je l’ai jouée à Bruxelles/Amsterdam, maintenant à Madrid, ensuite ce sera au tour de Shanghai en concert et puis mes débuts au Semperoper de Dresden ! Et ce sont à chaque fois des approches différentes du personnage !

Avec Giovanni Furlanetto (Melisso), dans le rôle de Bradamante, Alcina de Haendel, La Monnaie (Bruxelles), jan/fév. 2015, Rousset/Audi

Avec Giovanni Furlanetto (Melisso), dans le rôle de Bradamante, Alcina de Haendel, La Monnaie (Bruxelles), jan/fév. 2015, Rousset/Audi

Enfin, tu as participé à de nombreux concerts en dehors de l’opéra. Peux-tu les évoquer ?

Oui,le concert est aussi important pour moi, en parallèle à l’opéra. Mon répertoire est également très varié : les Sept chansons espagnoles de Falla, le Stabat Mater de Rossini, le Messiah de Händel, des messes de Mozart, les Wesendonck lieder de Wagner, …

Quels seraient des concerts, rôles que tu aimerais interpréter ?

En concert, j’adorerais notamment faire les Passions de Bach et les Nuits d’été de Berlioz. A l’Opéra, j’aimerais chanter à nouveau le Komponist, Fox et interpréter des rôles aussi variés que Ruggiero (Alcina), Sesto (Clemenza), Orphée (Gluck), Octavian (Strauss), Orlofsky (Fledermaus)… Et aussi, j’aimerais explorer davantage le récital : je vais me pencher sur différents programmes. Bref, j’aime la découverte et les beaux défis ! Et si je pouvais tourner un jour dans un film, je me lancerais dans l’aventure !

Le site d’Angélique Noldus 

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A propos de Alain Hertay

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