Honey, don’t! – Le lesbian pulp selon Ethan Coen : pop, kitsch et subversion
Avec Honey Don’t!, présenté à Cannes 2025 en Séance de Minuit, Ethan Coen poursuit, en tandem avec la monteuse et scénariste Tricia Cooke, son virage queer et délirant entamé avec Drive-Away Dolls (2024). Ce deuxième volet d’une trilogie lesbienne de série B est une comédie noire foutraque, pop et politiquement acide, qui assume son outrance formelle et narrative pour mieux démonter les illusions américaines – amour, religion, vérité.
© Focus Features
Honey O’Donahue (formidable Margaret Qualley) est une détective privée excentrique et queer, échappée d’un pulp des années 70 réécrit à l’encre acide. Installée à Bakersfield, Californie – mais filmée à Albuquerque, dans un décor saturé de soleil brûlant et de néons passés – elle enquête sur une série de morts suspectes autour d’une église dirigée par un révérend charismatique et louche, interprété avec brio par un Chris Evans méconnaissable, entre télévangéliste sensuel et gourou cynique. Elle croise la route de MG (Aubrey Plaza), une flic locale aussi désabusée qu’attirante. Très vite, enquête et romance s’enchevêtrent, les corps se cherchent, les preuves s’effacent, la logique explose.
Visuellement, Honey Don’t! est une fête foraine désaxée. Coen et Cooke mélangent décors vintage, signalétiques défraîchies, motels poussiéreux, chevrolets brinquebalantes et technologies anachroniques pour créer un monde mi-réel, mi-fantasmé. La photographie signée Ari Wegner (The Power of the Dog) joue sur des contrastes vifs et des textures granuleuses, accentuant l’aspect BD live. Les cadrages sont baroques, les mouvements de caméra imprévisibles, la musique (signée Carter Burwell) frôle souvent le burlesque ou la parodie de thriller. Tout ici est faussement léger : sous l’humour, une rage lucide gronde.
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Le film se distingue par sa férocité politique. Comme souvent chez les Coen, la satire découpe au scalpel : ici, elle vise l’Amérique conservatrice, la récupération religieuse, la corruption policière, le pouvoir masculin et la marchandisation du spirituel. Le révérend Drew, mi-christique, mi-mafieux, incarne une figure très contemporaine du pouvoir toxique et jouisseur. Des allusions discrètes mais claires pointent les alliances économiques avec la Russie, la complaisance vis-à-vis des élites violentes, et une hypocrisie morale institutionnalisée. Tout cela est dit sans solennité, avec le rire grinçant des meilleurs screwball thrillers.
Avec Tricia Cooke, Ethan Coen élabore depuis Drive-Away Dolls une trilogie qui joue des codes du cinéma bis, en les investissant de narrations lesbiennes assumées, jubilatoires et politiquement situées. Honey Don’t! confirme cette orientation : non seulement Honey est queer, mais son désir est moteur de l’intrigue, non relégué à une anecdote ou à une fantaisie. Ce positionnement est rare, surtout dans un genre aussi connoté que le film noir. Loin du fétichisme masculin, Coen et Cooke offrent une héroïne libre, excessive, fantasque, mais profondément politique dans sa manière d’occuper l’espace narratif et érotique.
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Honey n’est pas née d’un cliché. Elle est construite dans le dialogue entre cultures queer, pulp, néo-noir et satire sociale. Qualley en fait une créature bondissante, nerveuse, constamment sur la brèche, sans jamais sombrer dans la caricature. Le personnage est aussi un hommage décalé aux détectives hard-boiled : elle est le Philip Marlowe d’un monde post-#MeToo, désexualisé par le regard masculin, mais réinvesti par une sensualité féminine joueuse, subversive, insolente.
Honey Don’t! n’est pas un film parfait. Il est trop plein, trop coloré, parfois répétitif. Mais sa liberté de ton, son énergie dévastatrice, sa conscience politique et sa tendresse pour ses personnages en font une œuvre rare. Ethan Coen, libéré de son frère Joel, semble s’amuser, mais surtout chercher. Il cherche une forme de cinéma queer, populaire, irrévérencieuse, enragée. Avec Cooke, il explore des territoires esthétiques et politiques peu fréquentés dans le cinéma américain mainstream. Et c’est réjouissant.
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