Cannes 2025 – Fatih Akin, Julia Kowalski & Lav Diaz

Entre Cannes Première avec Fatih Akin et Lav Diaz et La Quinzaine des cinéastes avec Julia Kowalski, petit détour du côté des sélections parallèles avec trois réussites à profils très variés découverts ces derniers jours sur la Croisette

Amrum de Fatih Akin (Cannes Première)

Il n’y a souvent pas à attendre grand-chose du cinéaste allemand Fatih Akin, mais laissons-lui la chance de nous prouver le contraire. Et nous avons bien fait. Avec Amrum (sélection Cannes Première), et malgré une esthétique auto-glorifiante et pompeuse, il aborde concrètement un pan souvent oublié de l’Histoire au cinéma, la reconstruction identitaire en Allemagne après la capitulation nazie. Comment un jeune enfant de 12 ans va-t-il donc trouver sa place entre une mère dévouée au nazisme, son propre présent dans la jeunesse hitlérienne, et le futur, la défaite, et le regard accusateur des Alliés. Comment réinventer sa propre identité dans une Nation déchirée et accablée ? La terre de cet interrogatoire est donc cette île isolée de Amrum, terre propice à l’introspection d’un cadre pacifié, trop d’ailleurs, qui dessine maladroitement un film plus théorique que réaliste. Il n’en reste pas moins qu’à travers le regard de Nanning, ce jeune blondinet aux yeux forcément bleus rois, Akin offre avec une pointe de facilité une réponse implacable : sa reconstruction se fera par la fraternité, l’unité, l’acceptation d’un passé et d’un futur commun. Amrum tombe certes dans une forme de facilité intellectuelle mais arrive néanmoins à se démarquer par l’âpreté d’un sujet universel à une Nation, l’Allemagne qui ne cesse et ne cessera jamais d’être hanté par cette question identitaire.

Que ma volonté soit faite de Julia Kowalski (Quinzaine des cinéastes)

Dans ce film de genre balisé par des codes tenus et criants, Julia Kowalski en tire toute sa singularité par son rattachement au terroir et à la ruralité, à la terre, celle qui fusionnera avec le corps frêle de la jeune Naw, maudite par une malédiction maternelle qui fera souffrir son entourage si elle éprouve du désir et de l’attirance sexuelle pour un tiers. Reclus dans une vie monastique, encerclé par un patriarcat paternel et fraternel, l’arrivée de cette beauté fatale qu’est Sandra bouleversera à raison sa destinée. Car le désir pour Sandra deviendra incontrôlable et incontrôlé, de ces courbes imparfaites, de cette cicatrice béante sur un genou dénudé. Alors au lieu de contenir ce désir, il explosera dans une vague vengeresse déchainée, persécutrice des déviances des hommes (violeurs et agresseurs) et ouvrira ainsi le champ de l’émancipation à Naw, la libération de cette prison masculiniste dans laquelle trop longtemps elle a été encarté. Grande et belle surprise que ce film de Julia Kowalski, formidable déploiement à la fois d’un cinéma d’autrice exemplaire, mais aussi d’un cinéma libre, radical, cette recherche non pas de l’événement, du fameux « coup de poing » mais bien l’inverse, un cinéma qui aime et chérit le cinéma, juste et souvent brillant, détournant la violence et le parfois insoutenable (avec quelques séquences de souffrance animale) pour le mettre à dessein de son sujet, sans aucune forme de gratuité. L’une des plus belles surprises de la Quinzaine pour le moment.

Magellan de Lav Diaz

Malgré une projection très tardive à 22h30 et une durée qui en a fait fuir plus d’un (2h30), on ne pouvait passer à côté du nouveau projet de Lav Diaz sur l’explorateur Magellan. Et quelle beauté saisissante, le film se voit transporter par le souffle d’une mort omniprésente, les corps jonchent les pas des colons et des autochtones, le silence est ténébreux, scabreux, la beauté irréelle de la nature se démarque de la destruction des hommes, du poison de la conquête venu détruire et asservir la population d’origine. Et c’est là que Lav Diaz emporte tout, par cette capacité magistrale à opposer le beau et l’immonde, une lumière incarnée illuminant les actes les plus sombres (on pense à la mise à mort d’un matelots pour cause d’acte homosexuel à la lueur d’un coucher de soleil radieux), la recherche légitime « d’ailleurs » face à la conquête territoriale absurde, la beauté du culte face à son éradication par l’arrivée du christianisme forcée. Et dans cette opposition perpétuelle se dessine les pas d’un film foudroyant, qui là encore, dans un sens de la contradiction époustouflante glisse sur nous avec fluidité, malgré l’âpreté et la violence de nombreuses séquences. A se poser légitimement la question de son absence de la sélection officielle.

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