Cannes 2025 (Compétition) – Richard Linklater – « Nouvelle Vague »

Nouvelle Vague de Richard Linklater : un hommage cinéphile à la genèse d' »À bout de souffle »

 

Présenté en compétition au 78e Festival de Cannes en 2025, Nouvelle Vague est le premier long-métrage en langue française de Richard Linklater. Ce projet audacieux et métacinéphile revient sur la création d’un des films les plus mythiques de l’histoire du cinéma : À bout de souffle de Jean-Luc Godard. Mais plus qu’un biopic ou un making-of, Nouvelle Vague est une immersion sensuelle et joueuse dans l’énergie libertaire de la fin des années 1950, à Paris, au cœur de l’émergence d’un mouvement qui allait tout bouleverser. En rejouant l’histoire d’une naissance, Linklater livre un film sur l’énergie de recommencer.

Le film retrace les débuts de Godard et la fabrication chaotique de À bout de souffle, à travers le regard d’un cinéma américain qui tente de retrouver le souffle originel de la modernité européenne. Tourné en noir et blanc, en format 4:3, et adoptant les tics stylistiques de la Nouvelle Vague (jump cuts, adresse à la caméra, voix off ironique), le film se déroule dans un Paris reconstitué avec une grande minutie, tout en assumant une esthétique de citation.

© Jean-Louis Fernandez

Linklater recrée un espace où la fiction et la mémoire se confondent, où le jeu des acteurs fait écho à celui de Belmondo et Seberg, où la liberté formelle devient le sujet même du film. Le cinéaste américain y livre une déclaration d’amour cinéphile, mais non sans distance critique : Godard est montré comme un génie fragile, instable, tourmenté par son propre personnage. Ce personnage complexe, insaisissable, égoïste est troublé par le succès de Truffaut.

Le casting est l’un des grands atouts du film. Guillaume Marbeck campe un Jean-Luc Godard ambigu, intellectuel et désaxé, à la fois drôle et glaçant, mais convaincant. Sa présence physique et sa diction font naître une tension constante entre admiration et malaise qui restituent bien la personnalité du cinéaste. Face à lui, Zoey Deutch incarne une Jean Seberg troublante, lumineuse, dans un rôle tout en nuances, entre désillusion et fébrilité. Leur duo fonctionne comme un contrepoint à l’énergie du film originel. Aubry Dullin dans le rôle de Belmondo, Adrien Rouyard (Truffaut) et Roxane Rivière (Agnès Varda) complètent une distribution à la fois respectueuse et distancée des figures mythiques de la Nouvelle Vague.

La photographie de David Chambille, en noir et blanc texturé, restitue la matière des pellicules d’époque. Le montage signé Catherine Schwartz ose l’imperfection : faux raccords, superpositions, décalages rythmiques, regard caméra. Cette stylisation ne vise pas à l’illusion, mais à une forme de mémoire affective. Le film reconstitue À bout de souffle sans le recopier : il s’agit d’une relecture, d’une fiction documentaire affranchie des codes de la biographie classique.

Après Boyhood, Before Sunrise ou Waking Life, Linklater poursuit ici son travail sur la mémoire du temps, les passages, les traces. Nouvelle Vague est moins un film sur Godard qu’un film sur l’événement d’une invention formelle. Il s’adresse autant aux passionnés de cinéma qu’à ceux qui s’interrogent sur ce que peut être un film libre, aujourd’hui. En ce sens, il se rapproche davantage de Truffaut que de Godard : sensible, humaniste, un peu nostalgique, mais aussi très américain dans son goût pour la relecture et la fiction.

Nouvelle Vague n’est ni un manifeste ni un pastiche. C’est un film sincère de passeur, qui capte l’esprit d’une révolution artistique tout en la rejouant pour un public contemporain. Linklater, sans didactisme, en restitue les tensions : amitié et compétition, désir de rupture et enracinement culturel. Il réactive une mémoire vivante, à la manière d’un historien sensible.

Mais si Nouvelle Vague regorge de citations bien senties, de moments de connivence cinéphile et de recettes implicites pour jeunes créateurs, il n’en demeure pas moins un film par trop lisse, parfois trop poli ou fétichiste pour réellement capter l’esprit anarchique et provocateur de Godard ou réveiller le chaos fécond dont il s’inspire. Cet hommage affectueux à la Nouvelle Vague française penche en effet davantage vers une représentation accessible plus proche de la sensibilité de François Truffaut que de l’esprit perturbateur de Godard. Là où À bout de souffle tranchait dans le vif, Linklater sculpte avec élégance et intelligence, mais sans aspérités.

Difficile, en découvrant Nouvelle Vague de Linklater, de ne pas penser aux travaux de l’historien du cinéma Antoine de Baecque, dont l’œuvre monumentale sur la Nouvelle Vague a durablement façonné notre compréhension du phénomène. Ce film invite à relire De Baecque, à revisiter ses analyses sur la dimension générationnelle, politique et formelle du mouvement.

 

Pour aller plus loin : bibliographie critique

  • Antoine de Baecque, La Nouvelle Vague : portrait d’une jeunesse, Gallimard, 1998
  • Antoine de Baecque et Serge Toubiana, Truffaut, Gallimard, 1996
  • Antoine de Baecque, La Cinéphilie : invention d’un regard, histoire d’une culture (1944-1968), Fayard, 2003
  • Michel Marie, La Nouvelle Vague : une école artistique, Nathan, 1997
  • Raymond Bellour (dir.), Jean-Luc Godard : son + image, Centre Pompidou, 1992
  • Jacques Aumont, Jean-Luc Godard, Cahiers du cinéma, 2006
  • Dudley Andrew & Steven Ungar, Popular Front Paris and the Poetics of Culture, Harvard University Press, 2005

Ces lectures permettent de resituer Nouvelle Vague dans un héritage critique fécond, et d’en mesurer à la fois la fidélité historique et les partis pris esthétiques.

 

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A propos de Frédérique LAMBERT

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