« Le Porteur d’Histoire », m.e.s. Alexis Michalik – Studio des Champs Elysées (jusqu’au 13 juillet)

Le Porteur d’Histoire, Da Vinci Code théâtral.
Les comédiens sont sur scène en habits neutres (pantalon noir, débardeur blanc). Ils sont pieds nus. Puis ils s’habillent et l’histoire commence. C’est un peu cliché, lourdingue comme introduction, mais cela rejoint cette idée (discutable) selon laquelle le théâtre est essentiellement fait pour raconter avant tout une histoire et les comédiens pour  donner à voir des personnages. Le théâtre comme passeur d’univers. Puis nous sommes  en Algérie et faisons connaissance avec Martin Martin (nom le plus neutre qui soit après Dupont Dupont), pierre angulaire de ce spectacle. Il cristallise la connaissance du monde et la connaissance tout court : il est le porteur d’histoire et il va la raconter à qui veut la croire, le spectateur en premier lieu.
Cette histoire, ce n’est pas n’importe laquelle : c’est celle d’une société secrète, les Lysistrates, celle de son ambassadrice iconique Adélaïde et de son intégration à la Grande Histoire. C’est celle des hommes et des femmes aussi, de Marie-Antoinette en passant par le peintre Eugène Delacroix ou bien encore le jeune Alexandre Dumas. Sur scène, se succèdent les époques et les lieux, chacun des comédiens prenant en charge plusieurs rôles par le truchement du costume. La narration se fait virtuose, jonglant avec les périodes et les héros. Il s’agit d’une boîte dans une boîte dans une boîte qui emporte le spectateur dans une intrigue à tiroirs et une aventure menée tambour battant.
Encensé par la critique,le spectacle d’Alexis Michalik épate de manière incontestable par la maitrise de sa trame narrative mais laisse malheureusement dubitatif quant à celle de la technique scénique qu’il utilise. Empruntant ses procédés au cinéma (effets de flash-back, twists à répétition..), le metteur en scène perd de manière volontaire (ou pas…) le noyau théâtral de sa proposition au profit de l’Entertainment. Entendons-nous bien : ce procédé fonctionne, il fonctionne même très bien. Pourtant, les maladresses s’accumulant tout du long, il est parfois difficile de prendre de la hauteur, la salle restant au seul niveau des sièges de velours rouge. Si elle l’accepte, le voyage est fascinant. Pour tout dire, nous sommes restés dans le hall d’enregistrement des bagages.
(c) Julien Lenore
Tout d’abord, les personnages sont outrageusement caricaturés au possible (le marseillais est très marseillais _ « Peuchère, je suis marseillais, fan de chichourle !»_ l’idiot du village, très idiot du village _ « les zans y disent que ze suis un peu lent, mais c’est trop pas vrai, nan »_ le personnage mystérieux, très mystérieux _ « regardez à quel point j’incarne un personnage mystérieux très mystérieux qui possède de manière mystérieuse un mystère mystérieux très mystérieux ! »,  le policier, très policier _ « bonjour, Police Nationale, vos papiers s’il-vous-plait !!! »…), les costumes, ancrés de manière poussive dans les images d’Épinal qu’ils suscitent, évoquent tout de suite ce qui est à comprendre tant et si bien que le spectateur finit par se recevoir en pleine figure une sorte de tarte à la crème franchement trop riche qui aurait en sus déjà été prémâchée. Se faisant, Michalik donne l’impression de ne pas faire confiance au public : en surlignant constamment chacune des propositions qu’il fait, il prend en charge la réflexion tout autant que l’interprétation.  Accumulant les étages de sa pièce montée avec la finesse et la précision d’un lutteur grec d’1m95 en surpoids notable, on finit par friser l’indigestion tant tout est constamment dessiné grossièrement avec un marteau piqueur défectueux.
Au niveau de la mise en scène théâtrale, l’ensemble est également très bancal et manque de cohésion. L’utilisation par exemple du tableau noir sur lequel les comédiens écrivent les évènements reste artificielle : très présent en début de pièce, il disparait ensuite sans rien raconter hormis l’espèce d’épiphanie finale (un peu ridicule, il faut bien l’avouer, comme s’il fallait justifier ce tableau par une pirouette _ cacahuète_ complètement téléphonée).
Si nous avons apprécié l’aspect rudimentaire de la scénographie où tout se construit sous les yeux du spectateur avec trois fois rien, que dire du mime incessant qui, à mesure qu’il est convoqué, en devient franchement ridicule (les comédiens miment un avion _ « Bonjour, je mime un avion »_ font semblant de boire _ « Et là, je fais semblant de boire parce que le mime, c’est tellement magique et puis pour tout dire, j’ai eu une bonne formation »_ conduisent une voiture_ « regardez, je conduis une voiture grâce au pouvoir sans limites du mime et celui, tout aussi fascinant, de l’imagination !!! »_ ouvrent des portes ou bien lisent des livres qui n’existent pas _ « et maintenant j’ouvre la porte de la voiture que je conduisais précédemment tout en lisant un livre qui n’existe pas pour enfin sauter dans un avion qui lui non plus n’existe pas car je suis doué en mime hi hi hi»…). L’impression est renforcée par la beauté des costumes qui tranche avec l’archaïsme de la scénographie, tuant ainsi dans l’œuf cette idée d’un théâtre modeste, mais inventif : il aurait été préférable de tout baser sur l’imagination seule pour que la proposition de mise en scène fonctionne et reste cohérente. Ici, elle tape une nouvelle fois totalement à côté par manque de concision.
(c) Alejandro Guererro
Certaines des thématiques sont également grossièrement abordées et sont évoquées à la vas-y-comme-je-te-pousse. Citons par exemple la dimension féministe du texte qui reproduit quasi littéralement les premiers chapitres du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir sans qu’aucune interprétation ni parti pris ne ressortent  jusqu’à créer à partir du Lysistrata d’Aristophane, une sorte de secte improbable. C’est gauche et maladroit. Un peu facile aussi. « Dans quelques secondes nous allons enfiler des perles à propos du féminisme en reprenant de manière très maladroite les idées émises par la référence en matière de réflexion féministe. Vous êtes prêts ? 3-2-1… ».
Malgré ses grosses maladresses, le spectacle reste néanmoins plaisant dans cette candeur qu’il a de placer l’histoire au centre de tout. Si nous ne pouvons lui pardonner d’oublier le théâtre et ses mécanismes chemin faisant au profit de procédés putassiers cinématographiques, il faut toutefois reconnaitre la force du divertissement proposé. Lorgnant plus du côté d’un Dan Brown que d’un Umberto Ecco, Alexis Michalik nous expose une sorte de Da Vinci Code théâtral qui fera mouche auprès du jeune public auquel nous la conseillons sincèrement.

« Et si tu passes par Marseille, té, la vie de moi, je te paye le pastagua ! ». 

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A propos de Alban Orsini

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