Survival

En deux films, Arctic (2018) et Le Passager n°4 (Stowaway) récemment lancé aux yeux du monde par Netflix, le cinéaste brésilien Joe Penna a pris une certaine place sur la carte du cinéma de genre. Non pas que les films soient parfaits. Nous préférerons les caractériser comme habiles, dans le sens où ils creusent intelligemment un sillon dans ce genre finalement pas si visité qu’est le cinéma de survie, dont Penna est en train de devenir le théoricien-surprise.

Le récit et le dispositif du Passager n°4 sont très simples : un navette décolle de la Terre, s’arrime à une station spatiale afin de partir pour une mission scientifique de deux ans en direction de Mars. Le carburant est en quantité limitée, ce qui ne permet pas de faire demi-tour. Douze heures après l’arrimage, les trois membres de la mission trouvent, coincé dans les combles de la station, un technicien qui aurait dû se trouver au sol. Le retour en arrière étant impossible, ce quatrième passager devra rester le temps de l’expédition martienne, générant d’autres problématiques : comment se nourrir, vivre, respirer lorsqu’on est loin de toute forme de ravitaillement, que la nourriture est rationnée et que le sauvetage de l’intrus a détruit le système de recyclage d’air ? Et le film de ne pas rechercher plus spectaculaire que cette intrigue rebondissant de dilemme moral en dilemme moral, d’espoir en déception, de déception en tragédie. Pas de monstres de l’espace cherchant à tuer tous les passagers ; pas de failles spatio-temporelles, de celles qui gangrènent la grande majorité des space operas contemporains ; pas de traîtrise intérieure à la navette réactualisant la Guerre Froide à l’infini dans le petit théâtre du véhicule confiné. Non, ici, l’alien, le « danger » prend la forme d’un pauvre homme malchanceux, qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Un passager de trop (S. Anderson, A. Kendrick, D. D. Kim, T. Collette) (©Netflix)

Le vrai danger n’est d’ailleurs pas l’intrus dans Le Passager n°4, mais bel et bien l’ensemble des possibles et des impossibles que génèrent les contraintes du lieu. C’était déjà le cas dans le radical Arctic, dans lequel Overgard (interprété de façon brute, minérale par Mads Mikkelsen), crashé au milieu de rien et du froid glacial, devait sa survie à sa façon de s’adapter à son environnement hostile voire à s’en extirper et/ou à en sauver une autre personne que lui-même. La radicalité d’Arctic provenait de son absence de psychologie, de la mise en scène de la simple confrontation entre l’humain et le lieu qui lui est hostile, sans ambitionner réellement autre chose que cela (le fait de couper le film sur l’arrivée d’un hélicoptère qui sauvera le personnage, supprimant ledit sauvetage et le retour au bercail, montre bien que la période suivant l’étape de la seule survie semble superflue). Le Passager n°4, dans un même élan, rompt avec Arctic tout en en approfondissant les enjeux théoriques et formels.

Le point de rupture entre les deux films se trouve dans l’ambition tragique du second film de Joe Penna, dont le récit est un fil narratif entièrement tendu pour relier son élément perturbateur (la découverte de son passager involontairement clandestin, donc) à une solution qui bouleversera le spectateur tout en posant de véritables questions, tant sur la place du sacrifice de l’un pour la survie de l’autre que sur le prix et le but de la vie humaine. Le film tient ses promesses de ce point de vue mais oblige Penna à verser dans une dramatisation et une écriture psychologique des personnages parfois attendues, jalonnant son récit de séquences-confidences (l’histoire de Michael, le passager clandestin [Shamier Anderson], racontant sa relation fusionnelle avec sa sœur, qui accentue la culpabilité du personnage de Zoe [Anna Kendrick] vivant mal l’élimination programmée de ce pauvre homme) ou de passages obligés légitimant des coups du sort menant évidemment à la destinée tragique des protagonistes (que serait en effet un film de voyage dans l’espace sans sa fameuse sortie extra-véhiculaire qui part en vrille ?).

Personnage dans le vide (Anna Kendrick) (©Netflix)

De fait, Le Passager n°4 perd dans son écriture la rugosité de celle d’Arctic, lapidaire jusqu’à l’abstraction. Mais il confirme et renforce encore par sa mise en scène, discrètement virtuose, la place prise par le lieu dans le genre du film de survie. Allons plus loin : le cinéma de Joe Penna est théorique dans le sens où son art de la représentation de la notion de survie ne passe que par la mise en scène de l’affrontement de l’humain et de son environnement, sans aucune visée romanesque de retour à la vie normale ou de happy end sauveur ; c’est sur l’arrivée de l’hélicoptère que s’achevait Arctic, et le premier postulat narratif du Passager n°4 est que le retour en arrière vers la Terre est impossible. Dans tous les cas, l’humain est seul, isolé du reste des siens, et l’art de Penna permet de représenter cela de la manière la plus tangible et oppressante possible. Si Arctic générait l’angoisse par le vide de ses décors glaciaires et par la solitude de son personnage, Le Passager n°4 perturbe, lui, par l’exact inverse : le décor resserré de la navette spatiale où le « pas-assez » devient le « trop » (d’un personnage seul qui aimerait additionner ses forces à celles d’un autre à un groupe de personnages qui ne peut compter que sur la soustraction de l’un de ses membres). Personne ne peut vous protéger face au danger ; rarement un film aura su si finement mettre en scène l’isolement que Le Passager n°4, de sa scène de décollage embedded, ultra-réaliste avec ses violentes vibrations presque perceptibles par le spectateur aux diverses scènes de communication vers la base de lancement où l’on n’entend des interlocuteurs terrestres qu’un murmure assourdi dans l’oreillette de la Commandante Marina Bennett (Toni Collette). La scène de l’interview suivant l’arrimage de la navette à la station spatiale est de ce point de vue marquante : que voir ici sinon trois personnes parlant tout seuls face à du vide ?

Peut-être est-ce là l ‘idée majeure du cinéma de survie que montre de belle manière et avec évidence ce Passager n°4, que l’on retrouvait aussi dans Arctic mais encore dans certains films marquants du genre (Seul sur Mars de Ridley Scott [2015] ; exemplairement Seul au monde de Robert Zemeckis [2000]…) : plus encore que bataillant contre les éléments les environnant, les personnages des films de ce genre sont surtout des êtres humains abandonnées et qui parlent tout seuls. C’est cette intense mélancolie que retranscrit formidablement le cinéma de Joe Penna.

*Depuis le 22 avril 2021 sur Netflix

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A propos de Michaël Delavaud

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