Résumé de l’épisode précédent : l’apocalypse ! le ground zero de la composition ! le terminator de l’improvisation ! Qu’est-ce qui pourrait bien nous arriver de pire après ça, hein? Eh bin, faudrait pas crier victoire car la malignité zornienne est sans répit. Aujourd’hui, va y’avoir du Freak, de la bizarrerie à tout crin, car nous remontons dans le temps pour visiter le grenier couin-couinant de la maison Zorn. Sacré bazar que cet inconscient tourbillonnant ! On y croise des drôles d’oiseaux, des poupées malmenées et quelques guitares décordées. Mon premier (disque) est donc un livre, et même deux, des sortes d’albums photo, très freaky style, d’un Zorn encore dans l’adolescence de son art. Mon second, qui est également une œuvre de jeunesse, est tiré d’un roman de Raymond Roussel. Mon tout est un chapitre discographique très cryptique qu’il nous faudra découvrir en bons spéléologues, la frontale vissée sur le casque. Alors ? Vous donnez votre langue au…bocal ? C’est pas de bol ! Bienvenus en tout cas dans le cabinet des monstruosités curieuses.
Archéologie zornienne prima : et The Classic Guide to Strategy

Attention, la migraine guette. Point de salut mélodique ici. On expérimente des techniques non orthodoxes pour étendre le registre de l’instrument.

Dans The Book of Heads, c’est le guitariste Marc Ribot qui s’y colle en préparant sa guitare avec toutes sortes d’accessoires : des ballons, des limes à ongles, des pinces crocodile, une pincée de grains de riz, quelques bongs percussifs sur la caisse, des doigts ensalivés qui crissent le vernis, des coups d’archets sur une ou deux guitares à la fois, et cetera, et cetera.

Sur The Classic Guide to Strategy, sorte de jumeau malade du premier, conçu cette fois-ci pour les instruments à vent, c’est Zorn lui-même qui se prête aux facéties, jonglant entre saxophones, alto, soprano, une clarinette, plus un éventail d’appeaux pour oiseaux.

Dans les deux albums, passée l’aridité apparente de ces micros-pièces aux allures d’improvisations, on trouvera les germes de l’œuvre à venir : un art du montage-collage par petites séquences burlesques et frénétiques, des pointes d’hystéries, de brèves citations, et l’évocation récurrente d’une influence majeure de Zorn : le compositeur de musiques de cartoons Carl Stalling. « Vocalisations » burlesques, intégration de sons et bruits réels, mélange de composition et d’impro, ces « Books », sont des sortes de recueils instrumentaux pour l’improvisateur soliste, à la fois sincères et iconoclastes, dont les modèles sont à chercher côté guitare improvisée chez Derek Bailey ou Eugene Chadbourne (véritable inspirateur du book of heads avec sa country blue grass chaotique emmêlée d’improvisation), et côté saxophones chez Anthony Braxton ou Evan Parker.

Les autres sources d’influences, moins musicales, proviennent des arts plastiques ou de la littérature : collages dadaïstes, assemblages, surréalisme… Comme pour les premières pièces d’improvisation collective, Zorn tel un ronin décadent, s’inspire des tactiques militaires qu’il transforme en stratégies de jeu, soliste, « duelliste », ou collective. Il y aurait long à dire sur ces deux œuvres séminales qui s’écoutent davantage comme des documents, et moins comme des objets musicaux conventionnels, finis et cohérents, à parcourir d’une traite. Ce sont des sortes de sommes expérimentales qui concentrent l’acquis d’années d’improvisation, dont on retrouvera maints échos dans les œuvres à venir : le Big Gundown, Cobra

Archéologie zornienne bis : Locus Solus (1983), une gratifiante bizarrerie 

De l’aveu de Zorn lui-même, cette musique est « a hell of a shit! » (j’ai pris quelques libertés avec les notes du livret mais c’est kif-kif). Même s’il est antérieur à Naked City et au Big Gundown, Locus Solus expérimente déjà certains aspects de ces deux projets avec bon nombre de musiciens présents sur les autres albums. Locus… regroupe en réalité 3 formations (des trios principalement) sur le même (double) disque, enchaînées sans réel souci de continuité si ce n’est la présence permanente de Zorn aux saxophone, gargarismes etappeaux. La plus mémorable des 3 est certainement celle qui occupe le cœur du disque, avec Arto Lindsay, le guitariste-chanteur de DNA (sorte de pendant new-yorkais très bruitiste du post-punk, qui fût estampillé en son temps No-Wave) et le batteur Anton Fier (ex Feelies). On est là aux confins du rock bruitiste et de l’improvisation libre. La musique est à proprement dit inédite, une espèce mutante et gueularde, bâtarde, expérimentale en diable. On trouvera aussi d’autres mets et fumets des plus inquiétants : un trio avec Peter Blegvad (l’ex chanteur du groupe de prog-rock mélodique anglais « Slapp Happy ») tout en narration et d’une étrange poésie, puis une sorte de hip-hop tonitruant avec le platiniste Whiz Kid et le batteur Marcus E. Miller.

et le serial continue : les préquelles ou les séquelles ?

Matthew Barney, « The Order », 2002

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A propos de Robert Loiseux

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