Camille von Rosenschild et Marion Sonet – La nuit au manoir (La martinière jeunesse)

Ce soir là, trois enfants, Romeo, Gabriel et la narratrice, décident de se faire la belle, et d’aller découvrir le secret du vieux manoir lugubre. Il contiendrait, il parait, une famille d’ogres et de sorcières dont on ne sait trop s’ils dévorent les enfants et à quelle fréquence. Alors on allume la lampe torche du téléphone, on explore et on frissonne…

Le pitch vous semble convenu ? C’est normal, rien de bien neuf de ce côté-là. Mais l’intérêt de cette proposition, et qui lui vaut sa place dans cette sélection, c’est son sur-titre « Les histoires à 3 vitesses ».

Car la collection de la Martinière jeunesse, dont le présent opus est le troisième ouvrage, s’attaque avec malice à cet âge superbe et trouble de l’apprentissage de la lecture, avec un principe assez rigolo : l’histoire principale, celle en ligne droite, c’est le texte le plus gros, le plus facile à lire. Un peu plus de temps ? Alors on peut lire le grand et les paragraphes en moyen. Full service ? grand moyen petit.

L’histoire retombera toujours sur ses pattes. Et c’est d’ailleurs à la fois l’interet et la limite d’un tel système, qui montre assez vite ses imperfections : les textes en moyen et petit, à une seule exception près (un long paragraphe sur une grand mere magicienne), ne sont que des addendums, des aféteries, des ajouts ou des remarques des enfants. Ils donnent un peu de sel à l’histoire et la nourrisse vaguement, mais on aurait rêvé, pour totalement convaincre, qu’ils cachent des éléments qui apportent des péripéties nouvelles, une action d’un personnage, voire même simplement un objet perdu qu’un des personnage retrouve ou autre. Quelque chose qui renouvelle en profondeur plutôt qu’en surface la lecture, et donne envie d’explorer les possibilités ludiques facon Oulipo.

Il n’empêche : ce genre d’initiatives, comme toutes celles qui amènent à la lecture, doivent être célébrées. D’autant que l’histoire, bien que classique, plaira aux enfants, et qu’elle est soutenue par un beau travail graphique au crayon de couleur le long de grandes pages d’illustrations où le regard peut s’amuser à vaquer. (JNS)

 

Marie Diaz et Seng Soun Ratanavanh – « L’oiseau-merveille et le maitre sorcier » (La martinière jeunesse)

L’histoire est connue : un homme fort et violent à la barbe bleue emprisonne une à une ses compagnes en leur soumettant un test. Celui de ne jamais regarder la petite pièce qu’ouvre la petite clef.

Conte du refoulé, conte extravagant et noir sur la fidélité (côté femme) et la noirceur des hommes (côté barbe bleue), analysé par les plus grandes figures du monde de la psychanalyse comme des arts, on se demande bien l’interet de republier, une fois de plus, une des variations de celui-ci.

Sauf que : Maria Diaz a avec élégance choisi non pas la version la plus célèbre, celle de Perrault, mais sa plus inconnue variante, signée des frères Grimm et assez inconnue sous nos latitudes, « Fitcher’s vogel » (qu’on trouve parfois sous le nom de « L’oiseau d’Ourdi »).

Sous sa plume, sous ses plumes se déploit alors une version bien plus baroque et fantastique du conte, flirtant avec la noirceur des romans gothiques. A la clef, on adjoint un œuf, pur, blanc, qui ne cessera de se tâcher au fil des kidnappings des trois sœurs. Car oui, elles sont trois, ici, avec toujours ce mécanisme de la répétition et de la tache qui coutera la vie aux deux premières. Mais, recollant les morceaux des cadavres, la dernière, plus maligne, redonnera vie à ses sœurs, avant d’elle-même s’enfuir en devenant une femme-oiseau, couverte de miel et de plumes. Et à la place de la mariée de la tour ? un cadavre au crâne couvert d’un voile. Et du roi mort, ici un sorcier maléfique ? on fera carrément un grand brasier, enfermant dans le château tout ce que le monde possède de création maléfique.

C’est une version flamboyante (sic), profonde, encore plus psychanalytique et surréaliste (l’œuf, les métamorphoses, etc) et plus équilibrée (les femmes sont ici des fillettes, simplement à la merci d’un désir sexuel de l’homme, et non des pécheresses ambivalentes comme chez Perrault, et leur métamorphose est celle de la liberté pas du retour sous tutelle parentale) que propose avec brio la réecriture par Maria Diaz. A tel point que l’on se retrouve surpris, page en page, par cette nouvelle approch qu’illustre magnifiquement le travail au crayon et en couleurs rouge sang de Seng Soun Rastanavanh. Un trait tout à la fois léger quand il représente la beauté des filles, inquiétant quand il illustre le monde, et qui prolonge l’inquiétante noirceur de ce récit qui décidément ne cessera jamais d’être contemporain. (JNS)

 

David Sala – Hansel et Gretel (Casterman)

Le conte est si connu que le résumer serait lui faire affront. Pourquoi, alors, le réediter aujourd’hui ?

Pour le beau et inquiétant travail de David Sala, qui parvient à se saisir de celui-ci pour en offrir une vision époustouflante et personnelle, tour à tour effrayant et fascinant, écrasant ses personnages, les perdant pour mieux les recracher au-delà d’une traversée hypnotique.

Un travail difficile à résumer ici, lui, mais qui semble fonctionner à travers deux axes. Autour de la couleur et de la matière d’abord : parfois traitée de manière classique, la peinture se fait quasiment abstraite lorsqu’arrive la foret, tout en traits épais, redecoupés pour créer des chemins d’un noir profond.

Des lieux où la peinture se fait aussi coulures, où chaque arbre ressemble à d’etonnantes taches ou méduses dans des tons profondément irréels de bleus, verts, violets. Des couleurs froides pour un univers bizarrement marins et aqueux, que le livre fait ressurgir sur la page du texte en lui offrant comme fond une des couleurs de la toile, explosant de vert d’eau, rouge brique, jaune mimosa, bleu fané.

A ces variations de matière répond une mutation des formes : d’un démarrage proche des toiles naïves ou de Grant Wood (quand les plus vieux d’entre nous retrouveront de manière plus pop des échos à cette effrayante série d’animation « Angela Anaconda ») on passe donc à une traversée abstraites et écrasante de la forêt pour ressortir chez une sorcière…dont les traits rappellent l’époque psychédélique, les points de Kusama ou les portraits de Klimt ou Muscha !

Ces modifications successives, cette impermanence (qui n’est pas manque de cohérence, tant tout est fait par touches discrètes et ductiles) donne à l’ensemble le sentiment d’une traversée des apparences ou d’une inquiétante étrangeté.

Et la proposition graphique de rejoindre celle du conte : l’incarnation, par le geste, d’un paysage mental fait d’incertitudes, d’angoisses, et enfin, d’apaisement, dans un joli hommage à Monet. Brillant. (JNS)

Et aussi.

Capucine Lewalle et Maud Legrand – Cette vie que j’aime infiniment (Casterman)

Sur notre planète, il y a plein de saisons, de mers, d’arbres, d’animaux et de ciels. Mais pour un parent, il y a ceux les plus précieux : la saison d’hiver, où on se blottit contre son enfant, la première mer où il s’est baigné ou le papillon qui la fait sauter de joie. Il y a l’eau des peines, qu’on aimerait arrêter sur sa joue. Il y a le ciel, enfin, où l’amour nous réunit.

C’est cette histoire toute simple et si douce, dont le ton tendre rappelle un peu celui des beaux livres d’astrid Desbordes, que nous conte « Cette vie que j’aime », comme autant de variations autour du « Sur notre planète…Et parmi tous… ».

Comme autant de scènes, pourrait-on dire, si on voulait suivre l’appellation marketing ratée. Difficile de comprendre, le terme de « livre-théatre », puisque les personnages y sont immobiles, comme en autant de diorama, et que la simple utilisation de pop-up, pourtant usitée au dos de l’ouvrage, aurait suffi.

Petite déception vite évacuée, toutefois, tant il y a une drôle d’émotion qui se dégage de ces petites scènes toutes simples, travaillées en plusieurs strates de jolis traits de crayon, et qui placent au centre de la scène (du monde ?) le quotidien et les souvenirs d’un parent et son enfant, comme autant de minuscules boites à musiques qui résonnent des mots du texte. Ces tendres ritournelles à la fois directes et solaires réchauffent le cœur en touchant au plus juste, celle d’une jolie chanson d’amour pour son enfant. (JNS)

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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