Rietland est encore une de ces petites perles qu’offre généreusement la Semaine de la Critique. Premier film du néerlandais Sven Bresser, c’est une œuvre envoûtante, pour peu que l’on accepte de se laisser dérouter: elle multiplie les fausses pistes, les changements de trajectoire, les apories de sens, pour créer une magnifique cosmogonie empreinte de légende.
L’ouverture est muette. Johan (Gerrit Knobe), perdu dans une vaste plaine marécageuse filmée en plan large, coupe des roseaux, les réunit en bottes, fait brûler des broussailles. On le suit ensuite dans son âpre quotidien, illuminé par la présence de sa petite-fille (un très joli personnage traité sans mièvrerie). Comme tous les coupeurs de roseaux de son village, il subit de plein fouet la concurrence des Chinois comme celle des paysans “de l’ autre rive”, mais aussi la libéralisation des baux demandée par l’Europe. À ce stade, il semble que l’on s’oriente vers une chronique des heures et des jours matinée de critique sociale. Mais bientôt Johan trouve un corps de jeune fille sur sa parcelle. Il se lance dans une vague enquête qui tourne à l’obsession, remue des désirs, et creuse un antagonisme de plus en plus dangereux avec une autre famille. Courses poursuites, meurtres et vengeance seront de mise et procureront un vrai divertissement. Mais qui attend un récit policier en bonne et due forme sera déçu.
Qu’est-ce qui donc fait le cœur de Rietland et le rend si captivant? L’émotion d’abord, notamment dans la très belle façon de filmer les enfants et la relation grand-père/ petite-fille, ou encore dans un splendide regard caméra. Une spectaculaire performance d’acteur ensuite. Enfin et surtout, une rêverie dans laquelle le mouvement des roseaux agités par le vent, motif récurrent, confine à l’abstraction. Y répond un univers sonore teinté de fantastique : aux souffles et vibrations de la nature s’allient ceux de cuivres saturés, ou encore les chants et sifflements des enfants qui répètent La Cité engloutie pour la fête du village. Le montage fait surgir l’étrangeté dans les plans les plus triviaux (un ciel étoilé se révèle flaque d’hydrocarbures, un tas de roseau devient hippopotame) et invite le burlesque au moment le plus inattendu. Comme les roseaux se balancent au gré du vent, l’esprit divague. Bessler ne joue pas des références, mais on est sans cesse parcouru d’associations et de souvenirs littéraires, picturaux, cinématographiques. Rietland est un premier film impressionnant par la sûreté de son geste, le refus de l’ univocité, la générosité à l’ égard d’un spectateur dont il cherche avant tout à rendre l’âme vagabonde.
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