Diego Cespedes – “Le Mystérieux regard du Flamant rose »/ La Misteriosa Mirada del Flame Mysterious Gaze of the Flamingo. 

 

Dans un vaste désert ocre, des masures éparses. C’est un village de mineurs perdu au Nord du Chili. Un monde d’ hommes et d’ âpreté. Mais une de ces masures cache un petit paradis flamboyant: Mama Boa y tient un cabaret de travestis. Y rentre-t-on, c’est un festival de couleurs, de chants, de danse. Un îlot de sororité et de luxuriance. Toutes les femmes ont un nom d’animal et parmi elles se distingue Flamant rose, beauté blonde aux jambes “nordiques” et mère de Lidia, 11 ans. La petite métisse a été déposée  un matin sur le pas de la porte et a grandi avec bonheur dans ce tourbillon de robes et de parfums. C’est par son regard aimant que nous sommes amenés à considérer cet univers: il apparaît comme un tourbillon, une réserve inépuisable de tendresse. 

Mais tout n’ est pas rose dans cette histoire de flamant. En ce début des années 80, le sida sévit au Chili comme partout ailleurs. Ce mot de Sida n’ est jamais prononcé. La légende du village raconte que cette  » peste » se transmet par le regard, lorsque l’on tombe amoureux. Les filles tombent comme des mouches et sont considérées comme responsables du fléau. Le film s’ouvre sur une scène d’agression. Traitée de “pestiférée” par les garçons du village, Lena est sérieusement bousculée. Mais voilà que Mama Boa et les autres, qui en minijupe, qui du haut de ses talons, retroussent leurs manches et vont mettre une monumentale raclée aux gamins. Le ton est donné: certes, les filles iront en Enfer, la tragédie est enclenchée, mais elles lutteront pour ceux qu’elles aiment avec une énergie farouche. “ Je ne veux pas mourir; je ne supporterai pas de vivre en enfer sans toi” dit Flamenco à sa fille dans une des plus belles répliques du film.

Si les motifs sont crépusculaires, l’énergie queer du film (qui évoque l’Almodovar des débuts) et ses géniales trouvailles de mise en scène en font une oeuvre solaire. L’ hybridité du genre, partout présente, mène de métamorphose en métamorphose. Ce qui aurait pu n’être qu’un commentaire sur l’exclusion et l’ignorance devient le récit fantastique d’une magnifique malédiction ( l’amour!) transmise par les yeux, le sang et le sperme. Le mystérieux regard du Flamant rose est aussi un western, un récit d’initiation, une comédie. Le thème de la contagion par les yeux donne lieu à des scènes savoureuses. Lorsque les femmes passent dans les rues du village, tous les hommes mettent leur main devant leurs yeux, dans une pantomime digne d’un slapstick movie. Plus tard, ils déferlent dans le cabaret pour bander les yeux des femmes: ainsi, elles ne pourront plus contaminer personne. Mais au cours de la manœuvre se met en place, tout doucement, un jeu de colin maillard sensuel. Cut: ce sont maintenant les hommes qui ont les yeux bandés et se laissent tendrement guider par les femmes. Eux qui venaient en ennemis et justiciers sont comme magiquement convertis à la tendresse. C’ est le travail d’ alchimiste  du film: faire voir, derrière le pustule la beauté. 

Le réalisateur de 3o ans, inspiré par  les récits fabuleux d’une enfance passée  dans les milieux populaires du Chili, porté par l’incandescence de ses actrices, recrutées à la suite d’ un long casting dans les communautés LGBT, nous rappelle que les plus belles histoires commencent par un regard. La tendresse du sien est contagieuse. 

Le film est sélectionné dans la catégorie Un certain regard et concourt pour la Caméra d’ or.

Chili, 1h45

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