Avec ses six années de développement, sa coproduction franco-japonaise, et son budget relativement faible pour un long-métrage d’animation, Mutafukaz fait partie de ces défis aussi risqués (comme en témoigne l’échec au box-office du récent Zombillenium) que rares dans le paysage cinématographique hexagonal. Adapté et coréalisé par Guilaume « Run » Renard, d’après sa propre bande dessinée (publiée aux Éditions Ankama), le film suit l’histoire d’Angelino, étrange jeune homme à la peau noire comme le charbon, vivant dans la ville fictive et malfamée de Dark Meat City, ce dernier réalise un jour que d’étranges phénomènes ont lieu autour de lui et qu’une menace invisible pèse sur le monde…

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Copyright Tamasa Distribution

Le film fait le choix d’une animation traditionnelle, loin des canons de la 3D désincarnée, pour cela il s’appuie sur le savoir-faire de Shôjirô Nishimi (ici coréalisateur) et du Studio 4°C, à l’origine de classiques de la japanimation comme Amer Béton ou Mind Game. Cette influence nippone se ressent à travers les nombreux emprunts judicieux à Akira ou encore Jin-Roh (le design des troupes de choc rappelant celui de la « Brigade des Loups »). De manière plus générale, Mutafukaz se nourrit de références, parfaitement digérées, à tout un pan de la Pop culture. Du Comics américain, avec comme décor, cette ville corrompue et gangrenée par le crime, qui évoque une version californienne de Gotham City, ou le meilleur ami de Lino, Vince, dont le crâne de squelette enflammé évoque Ghost Rider, à la littérature de science-fiction des années 50 avec son ambiance délétère de paranoïa propre à la Guerre Froide. Le rythme frénétique du long-métrage renvoie à l’univers du jeu vidéo et plus particulièrement aux délires débridés et illégaux de GTA, dont les premiers opus sont clairement évoqués lors d’un plan zénithal sur les rues de Dark Meat City. Fasciné par la culture hip-hop (la bande-originale aux relents de reggaeton, le choix d’Orelsan pour doubler le héros…), Run parsème son film de clins d’œil aux films de ghetto (Menace II Society et Boyz N the Hood en tête) avec ses tensions communautaires et ses gangs de chicanos, au risque de n’en conserver que l’imagerie clinquante et les codes superficiels sans en saisir la portée politique et contestataire. Ce qui intéresse le réalisateur, en premier lieu c’est d’offrir aux fans de la BD, comme aux néophytes, un trip fun et généreux qui va à cent à l’heure.

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Si sous sa forme papier, qui s’étend sur cinq tomes et un préquel (et s’autorise même un spin-off, à travers la mini-série Puta Madre), Mutafukaz prenait le temps de développer sa mythologie (notamment au travers des personnages des Luchadores, véritables demi-dieux, ici réduits à de simples personnages-fonctions), le film, lui, doit se contenter de 90 minutes pour raconter son histoire de conjuration mondiale et de prophétie millénaire. L’efficacité et le dynamisme qui se dégagent de cette chasse à l’homme ponctuée de moments de bravoure (comme cette scène de descente dans un ghetto se transformant en gigantesque émeute), réduisent malheureusement les enjeux à une simple vision paranoïaque de la société (pas si éloignée du Invasion Los Angeles de John Carpenter), pouvant être assimilée à une forme de complotisme facile. Ce léger bémol mis à part, il en résulte un vrai travail d’adaptation (réussi) de la part du réalisateur, qui assèche son intrigue pour en arriver à une forme purement cinématographique, celle d’une cavale effrénée. Le mouvement, absent des cases de la bande dessinée, est ici au centre de l’histoire, que ce soit à pied, en voiture ou en camion de marchand glace (lors d’une mémorable scène de course-poursuite), Lino et Vince passent leur temps à fuir, et la transition vers le médium cinéma prend ainsi tout son sens. Les références choisies sont aussi plus cinéphiliques, il s’écarte des clins d’œil littéraires aux romans Pulp d’aventures (avec des crânes de cristal délivrant un message sibyllin) et aux comics de propagande des années 40 (les nazis infiltrés, les bases secrètes) qui fleurissent dans les pages de la BD. Ici, le cinéma d’exploitation Grindhouse, et sa violence gratuite et jouissive, est évoqué, tout comme les délires apocalyptiques de Richard Kelly (notamment son magnifique Southland Tales) ou encore les fondements du film noir avec son héros traqué, aux prises avec des forces qui le dépassent.

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Débridé et ultra référencé, Mutafukaz tire son épingle du jeu par son énergie et sa propension à ne pas se reposer sur son matériau de base mais, au contraire, à le faire évoluer en accord avec toutes les possibilités de son nouveau médium. Une jolie réussite qui, si elle ne révolutionne pas le genre, s’avère encourageante pour l’avenir de ce type de projets.

 

 

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A propos de Jean-François DICKELI

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