Pour les amateurs d’un cinéma « autre », de propositions fortes, de sensations extrêmes, le festival Hallucinations Collectives s’est imposé, depuis sa création en 2008, comme un rendez-vous incontournable, situé chaque année la semaine de Pâques, à Lyon, du coté du cinéma Comœdia. Après une édition anniversaire mémorable, cette 11ème édition avait une saveur particulière pour deux raisons. D’abord, Culturopoing était pour la première fois l’heureux partenaire du festival. Ensuite, l’un de nos rédacteurs, Vincent Nicolet, faisait partie du jury presse, aux côtés de deux habitués que sont les confrères Guillaume Gas (Courte-Focale) et Josh Lurienne (Weird Movies), avec la mission commune de primer un long-métrage de la compétition à l’issue de la manifestation. Avant de revenir en détails sur cette compétition, saluons sa diversité d’horizons (Royaume-Uni, France, Quebec, Mexique,…) et de genres représentés (horreur, thriller, fantastique, animation ou encore drame psychologique). Le constat est toujours le même, quel que soit le niveau du cru, elle constitue un bon moyen pour prendre le pouls d’un cinéma toujours aussi vivace et pluriel. C’est parfois aussi pour certains films, la seule occasion de les découvrir sur grand écran, tous n’ayant pas l’opportunité d’une sortie cinéma en France. Maintenant, passons aux choses sérieuses, avec cette première partie de notre compte-rendu, consacrée aux nouveautés. Jean-François Dickeli et Vincent Nicolet reviennent sur les neuf avant-premières qui ont eu lieu durant cette folle semaine d’Hallucinations Collectives.

Une prière avant l’aube de Jean-Stéphane Sauvaire (France, Royaume-Uni, 2017)
Film d’ouverture – Compétition

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Une prière avant l’aube (Copyright Wild Bunch Distribution)

Assistant réalisateur pour Cyril Collard (Les Nuits Fauves), Gaspar Noé (Seul Contre Tous) et bien d’autres durant les années 90, Jean-Stéphane Sauvaire passe à la réalisation en 2004 avec le documentaire Carlitos Medellin, une plongée sans filets dans l’un des quartiers les plus violents de la cité colombienne. Quatre ans plus tard, il s’essaie à la fiction avec Johnny Mad Dog, en narrant le quotidien d’enfants-soldats au Libéria, confirmant par la même occasion un goût prononcé pour les sujets chocs et brûlants. Si les deux films pouvaient souffrir d’une même limite, à savoir un traitement parfois trop démonstratif, ils affirmaient un cinéaste courageux (rappelons que Carlitos Medellin fut tourné au péril de sa vie), doté d’un sens de l’image difficilement contestable, au style aussi immersif que percutant. Dix ans après Johnny Mad Dog, et la seule réalisation entre-temps du téléfilm Punk en 2012, le voilà enfin de retour aux affaires. Son nouveau long-métrage, Une prière avant l’aube s’inspire de l’autobiographie de William « Billy » Moore (Joe Cole), un jeune boxeur anglais expatrié en Thaïlande. Arrêté pour possession de stupéfiants, Billy est incarcéré dans un établissement pénitentiaire particulièrement dangereux. Confronté à la violence des gangs, isolé par la barrière linguistique et rongé par le manque, il n’a qu’un échappatoire : se battre pour survivre…

Une prière avant l'aube : Photo Joe Cole, Panya Yimmumphai

Une prière avant l’aube (Copyright Wild Bunch Distribution)

Depuis la fin des années 70, et la sortie de deux œuvres pouvant être considérées aujourd’hui comme des mètres-étalons du genre, Midnight Express et Scum, le film carcéral est devenu un exercice délicat pour celui qui s’y frotte tant il s’appuie sur des codes difficilement renouvelables. Les figures obligées sont nombreuses : loi du plus fort, brimades et humiliations…jusqu’aux situations extrêmes de type viols, meurtres, suicides… Certains cinéastes réussissent toutefois à passer outre ces considérations pour faire date à leur tour, soit comme John Hillcoat en poussant tous les curseurs à leurs paroxysmes dans son tétanisant (et meilleur film) Ghosts…of the Civil Dead, soit en hybridant le genre vers la fresque mafieuse comme Jacques Audiard avec Un Prophète, vers le trip pop comme Nicolas Winding Refn avec Bronson ou encore vers le militantisme radical comme Steve McQueen avec Hunger. Le long-métrage de Jean-Stéphane Sauvaire se situe pleinement dans l’héritage des deux classiques initialement évoqués : le caractère autobiographique ajouté à l’idée d’un expatrié emprisonné dans une geôle des plus hostiles, rappelle inévitablement le film d’Alan Parker – le caractère xénophobe en moins – quand son approche crue le rapproche visuellement de celui d’Alan Clarke. Davantage que l’originalité d’un script qui aurait probablement gagné à éviter certains écueils (on se serait par exemple passé de quelques péripéties secondaires superflues ou répétitives comme les nombreux rites de passage), Une prière avant l’aube se distingue du tout venant par l’expérience formelle qu’il propose.

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Une prière avant l’aube (Copyright Wild Bunch Distribution)

Le cinéaste opte pour une mise en scène viscérale, pulsionnelle, s’accrochant férocement à un point de vue « subjectif » à l’aide d’une caméra épaule et de valeurs de cadres très serrées, ne semblant laisser aucun répit à son protagoniste. Sauvaire reconduit un parti-pris en vigueur sur Johnny Mad Dog pour lequel il avait casté d’anciens enfants-soldats, en peuplant sa prison d’ex-détenus ou d’ex-boxeurs passés par la case prison, renforçant l’immersion, décuplant le sentiment d’hyperréalisme qui transpire à chaque plan. Il ne s’agit pas tant de montrer le calvaire enduré par Billy Moore, que de retranscrire un état de confusion mentale dans un contexte des plus chaotiques. Il peut compter dans cette entreprise sur un acteur principal totalement habité, faisant littéralement corps avec la caméra, Joe Cole – vu dans Green Room – aussi crédible en junkie en manque qu’en boxeur luttant pour sa survie. La notion de subjectivité est poussée dans ses retranchements par des choix radicaux comme le refus de sous-titrer les dialogues en Thaï, confrontant ainsi le spectateur à la même absence quasi totale de repères que le héros, générant en prime l’éprouvante sensation d’isolation absolue, d’oppression permanente, de suffocation régulière. À la force des images s’accompagne un travail de sound design impressionnant – insistance sur les bruits de respirations, perception des sons proches et lointains,… – le rapprochant du trip halluciné (certaines séquences inaugurales évoquent le Enter The Void de Gaspar Noé, par ailleurs remercié au générique final). Prenons l’exemple des scènes de combats, si l’action est surdécoupée dans un premier temps (lors d’une joute clandestine), cela vise à nous faire ressentir la confusion des sens due aux effets de l’héroïne, l’action devenant alors presque secondaire. Plus tard, au contraire, lorsque la caméra accompagne le héros pour une compétition carcérale, le réalisateur le suit des coulisses jusqu’à la fin du premier round au moyen de longs plans frôlant les corps, se mêlant aux boxeurs, nous plongeant au cœur du ring, faisant sentir coups, effort et fatigue. Récit de descente aux enfers puis de rédemption allant de pair avec une lente remontée à la surface, Une Prière avant l’aube navigue entre shoots d’adrénaline, brutalité et onirisme. Il en résulte des morceaux de bravoures ahurissants comme ce passage à tabac d’une violence et d’une gratuité inouïes, faisant suite à une séquence où Billy, sevré depuis son incarcération implore un gardien de lui fournir une maigre quantité de drogue. Jean-Stéphane Sauvaire saisit d’un même geste le caractère cathartique de cette explosion de violence, traduisant autant la déchéance morale de Billy que le manque mortifère contre lequel il tente de lutter.

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Une prière avant l’aube (Copyright Wild Bunch Distribution)

Les contours rugueux du film, sa dimension « sensationnelle », n’empêchent pas l’émergence d’une humanité resurgissant peu à peu. Les choix de cadres rapprochés, au plus près du héros, s’ils répondent à une volonté d’immersion, sont également l’illustration d’une solitude extrême dans laquelle ce dernier paraît emprisonné dès les premières secondes, avant même son arrestation. Incapacité maladive à construite un rapport à autrui, à l’exception de cet enfant boxeur, au rôle « trouble », semblant être autant son assistant que son protégé, une sorte de fils adoptif et de figure bienveillante, plus que tout, son seul véritable ami. Dans ce contexte, si la romance carcérale peut rentrer dans le cadre des figures obligées du registre, celle qui se noue entre Billy et un jeune « ladyboy », transsexuel assigné au ravitaillement de la prison et au « divertissement », s’écarte des conventions par sa tendresse inattendue. Le réalisateur filme l’union de deux corps marqués par la vie, deux êtres brisés se rapprochant instinctivement, comme pour remédier à un profond vide affectif, attirés l’un et l’autre de manière irrépressible, on assiste à la naissance de sentiments dans un milieu où la virilité exacerbée fait office de norme. L’impression de lâcher prise qui accompagne ces instants résonne comme une première forme de libération, avant tout mentale mais assurément salvatrice. Ces instants d’apnées, aèrent un récit aussi éprouvant qu’étouffant, devenant dès lors plus supportable, le cinéaste se révélant aussi convaincant dans l’uppercut filmique que dans l’émotion pudique. Violent, cru, sans concessions, Une prière avant l’aube remue les tripes et les sens, frappe fort sur l’instant tout en gagnant en envergure à la nécessaire digestion qui suit son visionnage. Espérons maintenant ne pas avoir à attendre dix années supplémentaires pour voir un nouveau long-métrage de Jean-Stéphane Sauvaire. (V.N. et J-F.D.)

Sortie le 20 Juin

Radius de Caroline Labrèche et Steeve Léonard (Canada, 2017)
Compétition

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Radius (Copyright D.R.)

Parfait représentant d’un cinéma de genre misant tout sur le simple concept de son idée de départ au détriment de toute volonté de mise en scène ou d’écriture, Radius suit l’histoire de Liam (Diego Klattenhoff), un homme se réveillant d’un grave accident de voiture atteint d’amnésie. Il se met en quête de son identité et réalise rapidement que toutes les personnes autour de lui meurent de manière aussi étrange que brutale. Produit par les québécois de RKSS, petite firme ayant acquit une renommée grâce à des projets déjantés et ultra-référencés aux 80’s (comme le long-métrage Turbo Kid, hommage gore et rigolard aux productions Amblin et aux films post-apocalyptiques façon Mad Max, ayant fait sensation lors de sa projection au festival de Sundance en 2015), le film s’écarte de leur style habituel en choisissant une veine plus dramatique, plus orientée thriller. Lorgnant du côté de la Quatrième Dimension, Radius évoque par moments le Phénomènes de M. Night Shyamalan, qui, bien que sujet à controverses (y compris chez les fans du réalisateur), bénéficie d’un certain savoir-faire dans ses séquences de pur suspens, ici totalement absent. Passé un premier quart-d’heure intrigant, le long-métrage s’enferme dans une léthargie, évoluant au rythme des errances de ses protagonistes, entre dialogues abscons et situations mal exploitées (à l’image de cette séquence en ascenseur, pourtant prometteuse, mais dont le montage hasardeux empêche toute montée de tension). Avec leurs personnages creux passant leur temps à commenter ce qui se joue à l’écran lors de longs tunnels de bavardage, les réalisateurs (également scénaristes) tuent dans l’œuf tout le mystère de leur film et réduisent à néant le potentiel de leur introduction. Le twist final aussi mal écrit que mal exécuté, finit d’achever toute la crédibilité de cette série B aussi insipide que franchement ennuyeuse. (J-F.D.)

Jersey Affair (Beast) de Michael Pearce (Royaume-Uni, 2017)
Prix du Jury Presse pour la compétition longs-métrages

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Jersey Affair (Copyright Bac Films)

Après trois courts-métrages remarqués et des nominations aux BAFTA pour deux d’entre eux (Rite en 2010 et Keeping up With the Joneses en 2013), Michael Pearce passe au long-métrage avec le superbe et dérangeant Jersey Affair. S’inspirant librement de l’affaire de la « Bête de Jersey », un violeur en série ayant sévi sur l’île britannique entre 1960 et 1971, Beast (de son titre original) suit l’histoire de Moll, une jeune femme mal dans sa peau, qui tombe amoureuse de Pascal, un mystérieux marginal. Fuyant sa famille tyrannique, qui s’oppose à cette relation, elle sera rapidement confrontée à un terrible dilemme lorsque son amant se verra soupçonné de plusieurs meurtres…

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Jersey Affair (Copyright Bac Films)

Sous ses airs de thriller, le film dresse un portrait peu reluisant de la famille traditionnelle, présentée comme un vecteur d’oppression à l’égard des personnes « à part ». L’une des premières séquences du film présente Moll, visiblement issue d’un milieu bourgeois, à une garden-party donnée à l’occasion de son anniversaire. Elle passe d’invités en invités, respectant une sorte de protocole, elle semble pourtant déjà ailleurs, mal à l’aise, distante. Alors que la jeune femme est au centre de toutes les attentions, sa sœur annonce à l’assistance qu’elle est enceinte. Comme soulagés de ne plus avoir à s’intéresser à l’héroïne, les invités se ruent alors sur la future maman pour la féliciter. En l’espace de quelques plans, le personnage est présenté dans toute sa solitude, elle est mise au ban par ses proches qui la considèrent comme différente (célibataire, peu intéressée par les choses futiles qui l’entourent) et ne cherchent pas à la comprendre. Parfaite représentation d’une famille conservatrice, intolérante et sectaire sous des atours très fréquentables, symbole d’une société sclérosée, ancrée dans ses valeurs archaïques, rejetant tous ceux (et celles) qui se refusent à entrer dans son moule (le mariage, les conventions). La scission est définitive lorsque Moll fait le choix de suivre celui qu’elle aime se détournant ainsi de sa famille et de l’homme que celle-ci lui avait choisi, en l’occurrence Harrison (Oliver Maltman), un policier d’apparence bienveillante qui demeure pourtant dans un rapport de possession et de restriction à son égard. À l’inverse, quand elle croise la route de Pascal (Johnny Flynn, vu chez Olivier Assayas dans Sils Maria), sauvage, instinctif, éloigné des normes restrictives, il fait office de libérateur ouvrant la voie à son émancipation.

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Jersey Affair (Copyright Bac Films)

Au centre de cette histoire, il y a donc une femme, interprétée par la fantastique Jessie Buckeley, jeune comédienne issue du théâtre dont c’est ici le premier grand rôle au cinéma, qui porte le film sur ses épaules. Fragile et puissante, touchante et inquiétante, elle incarne à la fois liberté et la marginalité. Une tendance à l’auto-destruction se ressent immédiatement chez elle et trouve écho dans cette scène où elle se mutile la main avec un verre brisé. Gagnée par l’apathie due à son quotidien morne, ce n’est pas tant dans un but masochiste qu’elle s’inflige cette souffrance, que par la nécessité de ressentir enfin quelque chose. Cette blessure, ce sang qu’elle observe longuement couler entre ses doigts, lui rappellent qu’elle est bien vivante. L’amour et la passion qu’elle éprouve pour Pascal, sont des forces, vitales autant que mortifères, agissant comme une source d’énergie pulsionnelle. Il se dégage de cette femme une force animale qui trouve sa source dans le chaos, la liberté, la folie des sentiments et leur violence. Du cadre bourgeois, stricte et citadin de départ, Michael Pearce fait souffler sur son film un vent de liberté à travers de longues séquences où le couple se forme, s’aime, s’étreint au milieu des paysages naturels de Jersey. Il naît de ces scènes aux magnifiques couleurs automnales, orange et jaune, un aspect purement pictural. Cette affirmation de soi à travers la découverte de son « animalité », est parfaitement illustrée, dans cette séquence où, après avoir passé la journée avec son amant, Moll rentre chez elle couverte de boue et de terre, tâche l’immaculé canapé familial et s’en amuse. Elle qu’on accuse d’avoir sali l’image de la famille en ramenant un « sauvageon », se décide à littéralement noircir les convenances, souiller le petit confort bourgeois.

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Jersey Affair (Copyright Bac Films)

Jersey Affair ne dévie jamais de point du vue initial, celui de son héroïne, dont la psyché et l’instabilité mentale nourrissent une porosité entre les différents genres abordés. La méfiance et la suspicion, héritées de son éducation, engendrent une paranoïa que le réalisateur symbolise à l’écran par ces scènes de cauchemars qui viennent ponctuer le récit. Aussi brutales que surprenantes, ces séquences évoquent tout un pan du cinéma de genre du Frankenstein de James Whale au home invasion, Les Chiens de Paille de Sam Peckinpah en tête. A contrario, les premières scènes montrant la naissance de ce couple atypique, plongées dans une lumière irréelle, composées de plans sur la campagne insulaire, relèvent, quant à elles, de la romance pure, comme des instants suspendus de bonheur et de liberté. Plus tard, lors d’une scène dans un country-club, le cinéaste pousse le ridicule des conventions, de la bienséance à l’extrême, jusqu’à la satire, un simple jean devenant une forme de contestation, de dissidence. Ce refus de se cantonner à un registre, et cette capacité à naviguer tour à tour entre la romance, le thriller et le drame psychologique vont de pair avec une volonté de cultiver, jusqu’au bout, une certaine ambiguïté dans le propos. En fin de compte qui sont ces « bêtes » qu’évoque le titre original ? Ceux qui assument leur part de « monstruosité », acceptent de prendre leur envol, quitte à flirter avec les limites de la légalité, voir à les franchir allègrement ? Ou ceux qui agissent en toute impunité, se réfugiant derrière leurs bonnes valeurs, leurs traditions, protégés par leurs semblables et n’ayant jamais à répondre de leurs actes ? Sciemment, Michael Pearce ne donne pas de réponse franche et c’est peut-être précisément là le plus grand tour de force de ce premier long-métrage : interroger, déstabiliser, brutaliser et effrayer avec la maîtrise d’un cinéaste aguerri, sans que celle-ci n’empiète sur l’implication et la liberté d’un spectateur, à qui revient le point final. Troublant et inconfortable, à la croisée des genres et des sentiments, Jersey Affair impose un cinéaste et une actrice incontestablement à suivre. (J-F.D. et V.N.)

Sortie le 18 Avril

Mutafukaz de Shôjirô Nishimi & Guillaume Renard (France, Japon, 2017)
Grand Prix de la compétition longs-métrages

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Mutafukaz (Copyright Tamasa Distribution)

Avec ses six années de développement, sa coproduction franco-japonaise, et son budget relativement faible pour un long-métrage d’animation, Mutafukaz fait partie de ces défis aussi risqués (comme en témoigne l’échec au box-office du récent Zombillenium) que rares dans le paysage cinématographique hexagonal. Adapté et coréalisé par Guilaume « Run » Renard, d’après sa propre bande dessinée (publiée aux Éditions Ankama), le film suit l’histoire d’Angelino, étrange jeune homme à la peau noire comme le charbon, vivant dans la ville fictive et malfamée de Dark Meat City, ce dernier réalise un jour que d’étranges phénomènes ont lieu autour de lui et qu’une menace invisible pèse sur le monde…

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Mutafukaz (Copyright Tamasa Distribution)

Le film fait le choix d’une animation traditionnelle, loin des canons de la 3D désincarnée, pour cela il s’appuie sur le savoir-faire de Shôjirô Nishimi (ici coréalisateur) et du Studio 4°C, à l’origine de classiques de la japanimation comme Amer Béton ou Mind Game. Cette influence nippone se ressent à travers les nombreux emprunts judicieux à Akira ou encore Jin-Roh (le design des troupes de choc rappelant celui de la « Brigade des Loups »). De manière plus générale, Mutafukaz se nourrit de références, parfaitement digérées, à tout un pan de la Pop culture. Du Comics américain, avec comme décor, cette ville corrompue et gangrenée par le crime, qui évoque une version californienne de Gotham City, ou le meilleur ami de Lino, Vince, dont le crâne de squelette enflammé évoque Ghost Rider, à la littérature de science-fiction des années 50 avec son ambiance délétère de paranoïa propre à la Guerre Froide. Le rythme frénétique du long-métrage renvoie à l’univers du jeu vidéo et plus particulièrement aux délires débridés et illégaux de GTA, dont les premiers opus sont clairement évoqués lors d’un plan zénithal sur les rues de Dark Meat City. Fasciné par la culture hip-hop (la bande-originale aux relents de reggaeton, le choix d’Orelsan pour doubler le héros…), Run parsème son film de clins d’œil aux films de ghetto (Menace II Society et Boyz N the Hood en tête) avec ses tensions communautaires et ses gangs de chicanos, au risque de n’en conserver que l’imagerie clinquante et les codes superficiels sans en saisir la portée politique et contestataire. Ce qui intéresse le réalisateur, en premier lieu c’est d’offrir aux fans de la BD, comme aux néophytes, un trip fun et généreux qui va à cent à l’heure.

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Mutafukaz (Copyright Tamasa Distribution)

Si sous sa forme papier, qui s’étend sur cinq tomes et un préquel (et s’autorise même un spin-off, à travers la mini-série Puta Madre), Mutafukaz prenait le temps de développer sa mythologie (notamment au travers des personnages des Luchadores, véritables demi-dieux, ici réduits à de simples personnages-fonctions), le film, lui, doit se contenter de 90 minutes pour raconter son histoire de conjuration mondiale et de prophétie millénaire. L’efficacité et le dynamisme qui se dégagent de cette chasse à l’homme ponctuée de moments de bravoure (comme cette scène de descente dans un ghetto se transformant en gigantesque émeute), réduisent malheureusement les enjeux à une simple vision paranoïaque de la société (pas si éloignée du Invasion Los Angeles de John Carpenter), pouvant être assimilée à une forme de complotisme facile. Ce léger bémol mis à part, il en résulte un vrai travail d’adaptation (réussi) de la part du réalisateur, qui assèche son intrigue pour en arriver à une forme purement cinématographique, celle d’une cavale effrénée. Le mouvement, absent des cases de la bande dessinée, est ici au centre de l’histoire, que ce soit à pied, en voiture ou en camion de marchand glace (lors d’une mémorable scène de course-poursuite), Lino et Vince passent leur temps à fuir, et la transition vers le médium cinéma prend ainsi tout son sens. Les références choisies sont aussi plus cinéphiliques, il s’écarte des clins d’œil littéraires aux romans Pulp d’aventures (avec des crânes de cristal délivrant un message sibyllin) et aux comics de propagande des années 40 (les nazis infiltrés, les bases secrètes) qui fleurissent dans les pages de la BD. Ici, le cinéma d’exploitation Grindhouse, et sa violence gratuite et jouissive, est évoqué, tout comme les délires apocalyptiques de Richard Kelly (notamment son magnifique Southland Tales) ou encore les fondements du film noir avec son héros traqué, aux prises avec des forces qui le dépassent.

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Mutafukaz (Copyright Tamasa Distribution)

Débridé et ultra référencé, Mutafukaz tire son épingle du jeu par son énergie et sa propension à ne pas se reposer sur son matériau de base mais, au contraire, à le faire évoluer en accord avec toutes les possibilités de son nouveau médium. Une jolie réussite qui, si elle ne révolutionne pas le genre, s’avère encourageante pour l’avenir de ce type de projets. (J-F.D.)

Sortie le 23 Mai

Tigers are not Afraid (Vuelven) de Issa López (Mexique, 2017)
Compétition

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Tigers are not Afraid (Copyright Filmadora Nacional)

Adoubée par de grands noms de l’horreur, comme Stephen King ou Guillermo Del Toro (qui produira son prochain film), Issa López s’essaie au fantastique avec Tigers are not Afraid et nous conte l’histoire d’Estrella, une jeune fille qui, hantée par des visions cauchemardesques suite à la mort de sa mère, trouve refuge auprès d’une bande d’orphelins livrés à eux-mêmes dans les rues de Mexico…

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Tigers are not Afraid (Copyright Filmadora Nacional)

Habituée aux comédies populaires, la réalisatrice semble, pour son troisième long-métrage, vouloir suivre grossièrement les traces du réalisateur du Labyrinthe de Pan en proposant un conte de fée sombre où l’imaginaire et le surnaturel font office de porte de sortie à un quotidien morne et sinistre. C’est justement dans ce curieux mélange de chronique sociale et de merveilleux que le film trouve rapidement ses limites. En premier lieu, cette volonté de coller à la réalité du Mexique contemporain, en proie aux gangs et aux politiciens véreux, semble dénuée de toute crédibilité, de tout ancrage dans un quotidien tangible. Les rues mal famées des faubourgs de la capitale mexicaine semblent bien vides, se révélant n’être qu’un terrain de jeu inoffensif pour les héros, et le grand méchant (un candidat à la mairie, corrompu et violent, tout droit sorti d’une bisserie de Robert Rodriguez) paraît peu crédible et trop caricatural pour faire naître le moindre sentiment de peur. La violence, bien que présente, est toujours esthétisée ou reléguée hors champ (le simple bruit de coups de feu venant signifier une fusillade violente). Par conséquent, le fantastique, qui devrait faire office d’échappatoire au réel, ne se détache jamais vraiment et semble au contraire parfaitement commun ou gratuit (les nombreuses apparitions fantomatiques, se produisant de manière aussi régulière que fortuite) quand il n’est pas carrément hors-sujet (comme ce dragon s’échappant d’un smart-phone). Le surnaturel est pensé comme un simple artifice, une béquille servant à compenser les carences scénaristiques.

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Tigers are not Afraid (Copyright Filmadora Nacional)

Bien que confus et laborieux dans sa première moitié, le film réussit pourtant quelques jolis moments, à l’image de cette peluche prenant vie pour guider l’héroïne, ou ces graffitis s’animant afin de raconter une légende urbaine. S’éloignant du macabre et de l’épouvante, López donne au surnaturel une fonction symbolique et évocatrice (tour à tour touchante ou grossière) en lui faisant pénétrer le monde de l’enfance, du rêve. De même, lorsque les orphelins trouvent le havre de paix dont ils ont toujours rêvé, la réalisatrice bâtit un décorum à la fois délabré et fantasmatique et semble enfin se décider à leur donner une vraie personnalité. L’espace de quelques scènes, il n’est alors plus question de gangs, de mafieux et de revenants, mais simplement d’enfants esseulés s’inventant une communauté, une famille, loin de la société et de ses turpitudes. L’absence d’alchimie entre les jeunes acteurs (il est vrai peu aidés par des dialogues lourdingues et explicatifs) s’avérant un autre défaut évident, d’autant plus préjudiciable lorsque le scénario prend une tournure tragique, il est pourtant plaisant de les voir se révéler, à l’écart du monde des adultes et du sérieux emphatique qui alourdit le long-métrage, laissant alors entrevoir son potentiel poétique et ludique.

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Tigers are not Afraid (Copyright Filmadora Nacional)

Porté par une volonté (ratée) d’agglomérer deux genres opposés et de dresser un portrait, qui se voudrait sans concessions, du Mexique, Tigers are not Afraid s’avère au final beaucoup plus réussi dans un registre purement enfantin, dévoilant ses héros sous leur vrai jour : un succédané des Goonies ou du Club des Cinq maladroitement emballé dans un drame social. Est-ce suffisant pour placer des espoirs en Issa López ? L’avenir nous le dira. (J-F.D.)

3 feet Balls and Souls de Yoshio Kato (Japon, 2017)
Compétition

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3 feet Balls ans Souls (Copyright D.R.)

Disons-le clairement, on était déjà sceptiques sur 3 feet Balls ans Souls à la simple lecture de son synopsis : quatre inconnus s’étant rencontrés sur internet et ayant décidé de mettre fin à leurs jours à l’aide d’explosifs contenus dans une gigantesque boule, se retrouvent bloqués dans une boucle temporelle les obligeant à revivre indéfiniment la situation de leur rencontre… Cependant on se souvient qu’il y a maintenant 17 ans, en prenant également pour point de départ l’idée d’un suicide collectif, le compatriote de Yoshio Kato, Sono Sion, avait marqué les esprits avec son Suicide Club, à l’aide d’un humour très noir et d’une charge violente à l’encontre de la société japonaise. Tout est question de point de vue, de traitement donc, sauf qu’à la folie débridée d’un Sono Sion, Yoshio Kato préfère en toutes circonstances l’illustration plate couplée à un sérieux papal, qui a pour seul effet d’amplifier les nombreuses défaillances de son script et mettre en exergue un propos très loin de la subversion. D’abord, à peine la situation initiale posée – de manière purement fonctionnelle – soit les arrivées successives des quatre protagonistes dans la cabane où doit avoir lieu le suicide, le long-métrage prend la tournure d’un film concept à la Un Jour sans Fin et se contente alors de décliner inlassablement une même séquence en l’agrémentant à peine de maigres variantes, donnant l’impression d’un récit incapable d’avancer. Ce procédé, en l’état carrément pénible, s’avère littéralement insupportable lorsqu’il devient le leitmotiv à un discours moralisateur sur le suicide où il n’est jamais question de chercher à comprendre les personnages mais de les juger pour leur acte à venir. Les flashs-back censés expliquer les motivations des uns et des autres à prendre cette décision, ne visent pas tant à interroger un pays marqué par un taux de suicide extrêmement élevé, qu’à culpabiliser ses héros dans une forme de lâcheté. Le regard condescendant que pose le réalisateur – seul point de vue palpable – achève de rendre le film – déjà particulièrement exaspérant – tout simplement détestable. On taira un dénouement interminable et obscène, venant encore rajouter une couche dans la liste déjà bien remplie des poncifs, pour aller à l’essentiel : 3 feet Balls and Souls est nul et nauséabond. (V.N.)

The Cured de David Freyne (Royaume-Uni, 2017)
Compétition

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The Cured (Copyright Splendid Film)

À l’origine de The Cured, il y a un scénario de long-métrage, primé en 2012 et écrit par un jeune cinéaste Irlandais, David Freyne. En 2014, il réalise un court-métrage intitulé The First Wave, pensé comme son prologue, il raconte le réveil d’une jeune femme dans un lit d’hôpital, après l’apparition d’un virus agressif. Guérie par un remède miraculeux après une période de contamination que l’on découvre par flashs-backs, il devient clair que sa guérison n’est qu’une première étape… The First Wave se fait remarquer en attirant l’attention de potentiels financiers, mais aussi de la comédienne Ellen Page (premier rôle féminin et productrice du long-métrage), permettant au réalisateur de concrétiser son projet de longue haleine. Sur le terrain, déjà bien investi, du film de contamination, The Cured (et The First Wave avant lui) a le mérite de proposer un argument de départ original : Des années après que l’Europe ait été ravagée par le virus Maze, ayant transformé les humains en monstres cannibales, un antidote est enfin trouvé. 75% des contaminés sont guéris, pouvant ainsi reprendre une vie normale et retrouver leurs proches… Les souvenirs de leurs périodes de contamination subsistent, ils doivent faire face à leur propre culpabilité mais aussi à la défiance d’une partie de la société, générant discriminations et fortes tensions, la peur et la suspicion risquant de plonger de nouveau le monde dans le chaos… On suit Sean Brown (Sam Keeley), hanté par son douloureux passé de « contaminé », revenant vivre chez sa belle-sœur Abbie (Ellen Paige).

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The Cured (Copyright Splendid Film)

Aux promesses générées par son idée initiale, David Freyne répond avec deux partis-pris forts. D’une part, la volonté manifeste d’ancrer le récit dans un univers réaliste dont les teintes grisâtres, les architectures délavées, dégradées et bien sûr le lieu de l’action (le Royaume-Uni), évoquent deux références de la décennie passée : 28 Jours plus tard de Danny Boyle et Les Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron. D’autre part, en assimilant le processus de contamination puis de guérison de son personnage principal à une forme de stress post-traumatique, amenant le film quelque part entre l’anticipation et le drame psychologique. Les souvenirs que Sean tente de refouler, d’oublier, jaillissent aléatoirement et brusquement dans son esprit – par extension à l’écran – comme d’inquiétants cauchemars sur lesquels il n’a pas la moindre prise. Il règne ainsi un climat d’insécurité, le héros étant sans cesse renvoyé à un passé dont il ne parvient pas à se défaire : dans son inconscient, le regard de sa belle-soeur, lorsqu’il écoute la radio, regarde la télévision et plus encore lorsqu’il quitte son domicile, obligé d’affronter les brimades des autorités ou le lynchage de la population. Habile inversion des rôles, le « contaminé » n’est plus la menace mais l’espèce menacée, n’est plus terrifiant mais terrifié. Les allégories politiques et sociétales potentielles découlant de ce traitement et de cette difficile réinsertion sont nombreuses : on peut voir en ces figures meurtries, des vétérans de retour d’un conflit éprouvant, largement conspués par l’opinion, ou pousser plus loin pour faire un raccord avec une actualité brûlante, en cherchant en eux la représentation de « djihadistes » déradicalisés, repentis, de retour dans leur pays natal… À tort ou à raison, le réalisateur ne tranche pas, préférant rester à hauteur humaine, se concentrant alors sur la relation délicate entre ses deux personnages principaux. Sean cherche à avancer, s’affirmer tout en courbant l’échine pour être accepté, quand Abbie est partagée entre ses valeurs humanistes et des doutes grandissants, l’envie de pardonner et son incapacité à le faire véritablement. Complexes et contradictoires, écrits dans la nuance et parfaitement incarnés par deux acteurs investis, ils sont les meilleurs alliés du réalisateur pour interroger en évitant les pièges du didactisme.

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The Cured (Copyright Splendid Film)

Malheureusement, comme s’il doutait de la viabilité de son matériau sur la durée d’un long-métrage, à mi-parcours David Freyne commence à s’éparpiller maladroitement en intrigues secondaires nettement moins intéressantes aux enjeux convenus, laissant émerger au premier plan des personnages beaucoup plus caricaturaux (leader de la rébellion, général militaire brutal et intolérant). Le thriller psychologique bifurque vers le récit d’oppression et de révolte conduisant à la guère civile, l’action prend le pas sur la réflexion, comme une étape obligée qui semble ne guère intéresser le réalisateur. L’’intérêt, l’originalité de la première partie, se voit entaché par un enchaînement de séquences répétitives et rébarbatives dans la seconde, délaissant trop ses deux héros et les interrogations qu’ils portent. Le film qui ne captive alors plus que par intermittence, retombe in extremis sur ses pieds à la faveur d’un dénouement habile et convaincant, venant atténuer la relative déception. Imparfait et inabouti, The Cured emporte toutefois l’adhésion par sa capacité à se démarquer du genre tout en s’inscrivant pleinement dans ses fondamentaux, son désir d’aborder des questions universelles tout en laissant planer le spectre de problématiques beaucoup plus contemporaines. (V.N.)

Satan’s Slaves de Joko Anwar (Indonésie, 2017)
Compétition

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Satan’s Slaves (Copyright D.R.)

Révélé en 2013, avec un Modus Anomali bêtement manipulateur et un peu trop sûr de son efficacité, Joko Anwar vient de faire un carton au box-office Indonésien avec son nouveau long-métrage Satan’s Slaves, remake de Pengabdi Satan, classique de l’horreur indonésienne datant de 1982. On suit Rini (Tara Basro) vivant dans la banlieue de Jakarta dans une vieille maison appartenant à sa grand-mère, avec sa mère une ancienne gloire de la chanson gravement malade, son père et ses trois frères cadets. La famille en proie à d’importants problèmes dus au coût du traitement de la maladie de la mère, contraint Rini à abandonner ses études, son frère Tony (Endy Arfian) à vendre sa moto et autres effets personnels… En vain, un soir la mère est retrouvée morte dans sa chambre… Commencent à se produire d’étrange phénomènes, comme l’apparition d’une figure ressemblant à la mère morte, puis le corps de la grand-mère retrouvée noyée…

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Satan’s Slaves (Copyright D.R.)

À défaut d’originalité, le début du film tient la route, le réalisateur prenant longuement le temps d’introduire ses multiples personnages et dévoiler progressivement les problématiques auxquels ces derniers sont confrontés, sans chercher à les sacrifier au profit d’une quelconque efficacité rythmique. Servi par une actrice principale convaincante, mis en image avec un certain savoir-faire et un souci de clarté appréciable, Joko Anwar nous immerge aisément aux côtés de cette famille évoluant dans un cadre réaliste et tangible, préparant ainsi idéalement le terrain pour la bascule à venir l’horreur surnaturelle. Paradoxalement, c’est précisément quand le réalisateur se confronte à sa mission première – créer l’effroi – que l’intérêt du film commence à se déliter sérieusement. La rigueur initiale cède sa place à une utilisation abusive d’effets faciles vus et revus depuis plusieurs décennies de cinéma horrifique, sans jamais trouver le bon dosage. On prend pour exemple, cette séquence où le simple regard horrifié des deux jeunes frères ayant entrevu quelque chose au fond d’un puits, suffirait à créer l’angoisse, pourtant Joko Anwar ne peut s’empêcher de dévoiler explicitement la raison de cette terreur, désamorçant ainsi tout le mystère du hors-champ. À ce caractère foncièrement éculé dans la réalisation, s’ajoutent maintes citations – pompages – de cinéastes et films infiniment supérieurs allant du Dario Argento de Ténèbres et Phénoména en passant par le Hideo Nakata de Ring, le George A.Romero de La Nuit des Morts-Vivants ou encore le Rob Zombie de The Lords of Salem… Poussif, daté et incapable de trouver sa propre singularité, Satan’s Slaves ne provoque au final que de profonds soupirs. (V.N.)

Downrange de Ryûhei Kitamura (Japon, 2017)
Film de clôture – Hors compétition

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Downrange (Copyright Splendid Film GmbH)

Cinéaste japonais inégal mais potentiellement fun dans sa propension décomplexée à se lâcher dans les excès formels aux limites de l’aberration filmique (Versus), Ryûhei Kitamura avait quasiment disparu des radars depuis son adaptation – assez sympathique – de Clive Barker, The Midnight Meat Train, sortie dans les salles françaises lors de l’été 2009. Il faut dire que malgré plusieurs réalisations, seul No One Lives (2013) a eu droit à une sortie vidéo en France. Downrange, son nouveau long-métrage, après un passage dans quelques festivals, devra également se contenter d’une sortie vidéo. Il s’agit d’une production japonaise, tournée en anglais avec des acteurs américains – pas très bons soit dit en passant – dotée un maigre budget et située dans un décor unique. L’intrigue est aussi simple et dénuée de surprise que le résumé qui suit : Six étudiants font du covoiturage, jusqu’à ce que leur véhicule se retrouve avec un pneu crevé dans un coin reculé et désertique des Etats-Unis. Ce pneu crevé n’est pas un accident, quelqu’un leur a tiré dessus et va les assassiner un par un…

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Downrange (Copyright Splendid Film GmbH)

Pour mille et une raisons, il serait aisé de démolir en flèche un film vain (inutile de chercher un sous-texte), totalement gratuit (inutile de chercher des éventuelles motivations au tueur) et fondamentalement crétin, pourtant, idéalement programmé en clôture de festival, ce fut pour nous un parfait défouloir régulièrement jouissif, permettant de décompresser après une semaine chargée et intense, pas plus mais pas moins. Avec Downrange, Ryûhei Kitamura fait exactement ce qu’on attend de lui sur la base d’une intrigue aussi squelettique : il s’amuse avec sa caméra comme un enfant avec ses jouets. Le cinéaste ne lésine devant aucun mouvement clinquant et improbable – un travelling arrière sortant du trou d’un œil éclaté par balle – aucun effet de mauvais goût – répétition d’une même action sous plusieurs angles rappelant au hasard l’illustre Prachya Pinkaew sur Ong-Bak -, pas plus qu’il ne lésine sur les saillies gores, la cruauté bête et méchante, le tout dans un même but provoquer bassement mais efficacement l’enthousiasme de son spectateur. Le désintérêt total porté à ses personnages associé à l’appétence, presque candide (que les détracteurs qualifieront peut-être à raison de cynique), pour les régressions puériles, n’élèvent certainement pas le genre, mais achèvent de rendre attachante une petite chose mal élevée qu’on aura pris un certain plaisir – probablement coupable – à découvrir. (V.N.)

 

Retrouvez la seconde partie du compte-rendu consacrée aux rétrospectives :
Hallucinations Collectives 2018 – Seconde Partie

 

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A propos de Vincent Nicolet

A propos de Jean-François DICKELI

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