Rayhanna – « À mon âge je me cache encore pour fumer »

Plaisir interdit aurait pu être le titre du film de l’algérienne Rayhanna. Adaptation de sa propre pièce de théâtre,  À mon âge, je me cache encore pour fumer tient du huis clos. Film de femmes qui s’enferment dans un hammam pour se délasser le corps et l’esprit, pour parler d’amour, de sexe et de peurs. Au son du goutte à goutte, les corps occupent tous les plans : dénudés ou voilés, mouillés ou huilés, les cadres se resserrent et les confidences se libèrent. L’ancienne, Louisa, raconte sa virginité perdue à 11 ans, dans les pleurs de sa mère et la loi de son père. L’attente du drap sanglant. L’homme aux bonbons devenu un adversaire violent et exigeant. Le mariage arrangé. Ça commence comme un conte des Mille et une nuits pour virer au cauchemar ordinaire.
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Depuis les toits d’Alger la blanche, Samia raconte l’espoir, l’attente de l’amour. Depuis les toits, l’horizon semble à peine encombré de linges étendus et de paraboles TV. Depuis les toits, la voix off claire et joyeuse plonge tristement vers une fenêtre afin de révéler autre chose. La violence d’un corps soumis aux caprices d’un mari. Un corps blessé, instrumentalisé. Et l’horizon ouvert vient se refermer sur les murs du hammam de Fatima.
Enfermées mais à l’abri, les femmes se mettent à nu et les voix se délient. Dans la pénombre et les chuchotements, le film opte pour une couleur chair quand les corps viennent s’abandonner aux gestes lents, aux vapeurs et aux eaux bienfaitrices. Pourtant ces femmes entre elles ne se font pas de cadeaux, elles se jugent et se réprouvent mais le hammam se dresse tel un rempart contre la barbarie, contre la confiscation de leur désir.  » Fumer c’est pour les putains « , alors Fatima se cache, à son âge encore c’est le seul plaisir qui lui reste. Tout le mérite du film tient dans cette réappropriation du corps par la parole. Elles n’ont pas droit au plaisir mais l’ont toujours à la bouche. L’amour. L’orgasme. En français. « Comment dit-on orgasme en arabe?  » demande Samia. Et Nadia de répondre : « En arabe, je crois qu’on dit pas ».
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Les intentions de la réalisatrice sont louables, bien entendu, mais à trop vouloir représenter tous les affronts faits aux femmes, à trop vouloir faire défiler tous les types de femmes, son propos finit par devenir pur cahier des charges. Le film se veut choral, on l’aurait souhaité moins démonstratif. Elle sait cependant filmer les joies et les peines de la chair qui vient laver ses douleurs, les sécrétions et les luttes de ces femmes qui refusent la violence. L’incompréhension farouche entre hommes et femmes est dénoncée : aux femmes le sang des draps, des vierges percées, des menstrues, de l’accouchement,… le prix à payer pour être une femme.
Elles s’appellent Fatima, Sonia, Nadia, Louisa, Zahia, Meriem… elles ne possèdent rien d’autre que ce corps trop souvent réduit à un paquet de sang, que les hommes s’échangent et monnaient, elles qui voulaient le voir aimé, caressé, malaxé, elles qui ont tout donné pour rêver.
Voir également notre interview de Hiam Abbass

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A propos de Séverine Danflous

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