Oleg est le deuxième long-métrage du réalisateur lettonien Juris Kursietis. Le film traite d’un sujet qui n’est pas nouveau, celui des immigrés de pays pauvres qui viennent en Europe occidentale pour travailler et envoyer l’argent gagné à la famille. Et comme dans nombre de ces films, le quotidien sévère et étriqué du héros déraille vers le cauchemar dans un enchaînement kafkaïen d’événements qui le pousseront toujours plus loin dans la dépossession de sa propre vie. Il ira même jusqu’à rencontrer un véritable sadique, dont l’étendue de la cruauté se révélera lentement mais sûrement au fur et à mesure des séquences. Même si le film veille à ne jamais tomber dans le cliché et à donner une vision des choses fine (ici, ce sont des travailleurs de l’Est qui manipulent, volent et exploitent d’autres travailleurs de l’Est, les européens occidentaux étant d’ailleurs quasiment absents du film), ce n’est pas là qu’il nous emporte le plus, mais plutôt dans l’efficacité et la justesse des univers qu’il plante et de certaines situations plus anodines que vit le héros.

© Arizona Distribution

Oleg est garçon-boucher, et la lumière blanche des salles carrelées et sans jour où il travaille au début du film nous reste longtemps en mémoire. La caméra légère et mobile de Bogumil Godfrejow scrute également avec attention et justesse les appartements et maisons surpeuplées où les corps de ces travailleurs se délassent, se frôlent, se heurtent parfois. Ces lieux, traversés par le corps et le visage placide d’Oleg, nous donnent à voir et à sentir un univers parallèle qui existe juste à côté de celui que l’occidental standard expérimente au quotidien.

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D’où notre surprise, lorsqu’Oleg va soudain aller errer dans les rues touristiques de Bruxelles, entrer dans une cathédrale. C’est comme si il était impensable que son univers de rues pavillonnaires et grises, de salles de travail stériles ou d’appartements délabrés et étroits rencontre la Bruxelles du centre-ville.

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Il faut dire que Valentin Novopolskij porte littéralement le film. Il campe à merveille ce personnage de gars ordinaire qui glisse d’abord de situation en situation avec une certaine naïveté avant de prendre peu à peu la mesure de ce qu’il est en train de vivre. Le visage de Novolpolskij, ses cils blonds, ses yeux d’un bleu translucide et ses traits qu’on jugerait de prime abord effacés donnent corps au personnage d’Oleg, le rendent tangible, crédible et le posent également comme surface suffisamment lisse pour que chacun puisse y projeter ce qu’il souhaite y voir : un travailleur ou un passant invisible pour certains, un objet à sadiser pour d’autres. Ce n’est pas anodin que son visage apparaisse dans quasiment chacun des plans du film ; le réalisateur explique même avoir choisi un format d’image « carré », en 1,37 (format aujourd’hui assez rare) pour que dans les gros plans du visage d’Oleg, ce dernier occupe tout le plan.

Oleg est également quelqu’un qui subit depuis longtemps une situation de non droit. Kursietis s’en explique dans le dossier de presse pour ceux qui ne connaîtraient pas la situation des « non citoyens » en Lettonie :

« Ces « non-citoyens » sont une conséquence directe de l’ère soviétique, ils ne possèdent ni la nationalité russe ni la nationalité lettone et sont stigmatisés. Ils constituent un point de cristallisation du vote nationaliste letton. »

De là à imaginer que c’est aussi pour cette raison qu’il faut du temps à ce personnage doux et travailleur avant de se rendre compte de la manière dont il est en train de sombrer, il n’y a qu’un pas. On peut alors remercier Kursietis de ne pas être trop cruel avec son personnage. Dans les films sur ce type de trajectoire de gens marginalisés contre leur volonté, la plupart du temps les choses finissent excessivement mal. Or, ici, le réalisateur emboîte le pas de son personnage en lui laissant parfois des échappatoires possibles. Les meilleurs moments du film sont ainsi ceux où soudain nous entrevoyons une autre trajectoire possible pour le héros : dans l’appartement cossu et baigné de soleil de la directrice d’un restaurant qui l’a pris pour un acteur mutique et fascinant (encore une projection), ou encore lorsque la police le regarde comme un être humain au lieu de le condamner simplement parce qu’il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. De ce point de vue, la fin (que nous ne dévoilerons pas ici) – une fin mélancolique et douce-amère – est particulièrement réussie.

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A propos de Eugénie ZVONKINE

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