Faire œuvre de mémoire, retracer des parcours individuels dans l’histoire de la Shoah en mettant en place un dispositif inédit tout en faisant preuve d’une reconstitution historique fidèle : le pari était audacieux. Andreï Konchalovsky aborde sous un angle nouveau – celui de la confession face caméra – le traumatisme d’une période historique, en sortant des codes du genre (de Portier de nuit au Fils de Saul, en passant par Nuit et brouillard ou encore Le choix de Sophie). Pourtant c’est bien le sentiment de frustration émotionnel et intellectuel qui domine Paradis d’Andreï Konchalovsky étouffé par une démarche formelle finalement trop démonstrative et empesée pour convaincre.

Paradis d’Andreï Konchalovsky est la rencontre fortuite de chemins individuels, dans un temps où l’humain se cogne inlassablement à l’inhumain, à des numéros tatoués pour toute identité, des pyjamas rayés pour seul vêture, à un amoncellement de lunettes, de montres ou de chaussures dépourvus soudainement de toute histoire à l’entrée de l’univers concentrationnaire. Andreï Konchalovsky tente ainsi de se faire rencontrer, dialoguer et confronter le Bien et le Mal au sein d’un seul être.

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Andreï Konchalovsky entremêle le destin d’Olga (Julia Vysotskaya), résistante russe, prête à tout pour s’enfuir du Paradis allemand – celui du IIIème Reich – au parcours de Jules (Philippe Duquesne), fonctionnaire de police français ayant choisi la collaboration pour protéger sa famille, et à celui d’Helmut (Christian Clauss), amour de jeunesse, devenu officier SS, promis à une grande carrière militaire auprès du Fürher. Filmé seul par une caméra subjective, chacun tente de donner sa part de vérité, relatant son histoire, ses actes, comme engagés dans un travail de rédemption face à Dieu, tentant de justifier son entrée dans l’au-delà « où le bien a besoin d’être, parfois, un peu aidé » selon Olga.

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L’alternance mécanique de ces trois témoignages et de scènes mémorielles s’épuise rapidement, le propos s’essouffle et devient laborieusement répétitif. Ces confessions, trop factuelles pour trouver un retentissement existentiel, finissent par détruire tout un mécanisme trop maîtrisé, complexifié par le recours à trois langues différentes : Jules répète d’un air un peu pataud qu’il voulait s’engager dans la collaboration pour protéger sa famille, Helmut répète que le Führer était son obsession, persuadé que le Paradis allemand est trop parfait pour l’être humain. Un scénario qui requiert de la part du spectateur un effort de concentration en ajoute à la lourdeur du dispositif l’ensemble, transposant ainsi l’émotion de l’image et de l’histoire dans un décorum historique devenu factice et ainsi vidé de tout son sens. Seule Olga, personnage quasi-dostoïevskien, transcende cette « chronique » quotidienne ; grâce à son abnégation, elle met en lumière cette si fragile frontière entre le bien et le mal, et par sa rédemption, parvient parfois à sauver Paradis du purgatoire.

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Obnubilé par la prouesse technique, Andreï Konchalovsky en oublie l’émotion, empêchant le message existentiel de se déployer entièrement. Mais si Paradis souffre de son didactisme, il faut lui reconnaître une indéniable puissance dans sa capacité à ressusciter la légèreté du passé, confrontée à l’horreur concentrationnaire, dans des scènes baignées d’une lumière paradisiaque. Visuellement, Andreï Konchalovsky par sa minutie documentaire saisit la chair, la lumière, les objets, l’enfer concentrationnaire et sa puanteur grâce à une pellicule teintée par un noir et blanc immaculé. Laissant à chacun le soin de juger, Paradis a au moins le mérite d’interroger « comment les hommes vivent », dans cette « région cruciale de l’âme qui fait s’opposer le Mal absolu à la Fraternité »[1] et dans laquelle chacun de ses personnages tente désespérément de sauver sa peau et son honneur : celui de ne pas être un salaud.

[1] André Malraux, Lazare.

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