Tom Tykwer – « Un hologramme pour le roi »

Malgré une sortie en salles sur plus d’une trentaine de territoires en 2016, le onzième long-métrage de Tom Tykwer, Un hologramme sur le roi, n’aura pas eu droit au grand-écran en France (ce fut déjà le cas pour Drei en 2010). Il aura fallu attendre quatre ans pour pouvoir le découvrir en vidéo, grâce à l’éditeur Crome Films. À y regarder de plus près, il faut concéder qu’à l’exception de son adaptation (bien plus réussie qu’on ne l’a dit à l’époque) du Parfum, le réalisateur allemand n’a jamais attiré les foules dans l’hexagone. Par exemple, lorsque son célèbre Cours Lola cours, cartonnait dans le monde entier, il restait ici, bloqué sous le seuil des 100 000 entrées. Cinéaste globalement mésestimé ou minoré, il construit de plus de 25 ans une œuvre éclectique, tantôt allemande, tantôt internationale. Également scénariste, producteur (il est l’un des fondateur de X-Filme Creative Pool) et compositeur (il signe, toujours à plusieurs, les bandes-originales de tous ses films), il co-réalise en 2013 Cloud Atlas aux côtés des Wachowski. Une connexion reconduite sur la série Sensé8 pour laquelle Tykwer, met en boîte deux épisodes et compose la musique (en compagnie du fidèle Johnny Klimek). Un hologramme pour le roi arrive ainsi chronologiquement comme le premier film consécutif à cette collaboration fructueuse. Il s’agit de l’adaptation d’un roman éponyme de Dave Eggers publié en 2012, avec Tom Hanks dans le rôle principal. L’interprète de Seul au monde campe Alan Clay, un cadre commercial américain, dans la nécessité de sauver sa réputation au sein de son entreprise et de se refaire une santé financière. Il est envoyé en Arabie Saoudite afin de vendre une technologie d’hologramme au Roi. Sur place rien ne se déroule comme prévu…

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Copyright X-Verleih 2016

Sur la base d’un matériau littéraire qui pourrait rappeler En Attendant Godot ou Franz Kafka dans le caractère potentiellement absurde de certaines situations (l’absence du Roi, le fonctionnement opaque de la bureaucratie locale), Tom Tykwer orchestre un choc des cultures bienveillant, doublé d’une quête de soi et de rédemption. Transparaît l’idée d’un cinéma positif, où la notion de jugement est catégoriquement exclue, où les mauvais sentiments n’existent pas, pas plus que l’on ne trouve de gentils ou de méchants, simplement des personnages humains et complexes. Il s’inscrit alors dans le sillage d’un Cameron Crowe (sur la même période sortait l’injustement décrié Aloha, qui peut présenter plusieurs similitudes thématiques) ou en remontant le temps, celui de Frank Capra. Une dernière analogie appuyée par le choix de l’acteur principal, Tom Hanks, qui tourna ce film pile entre deux incarnations de héros « ordinaires », tels ceux jadis incarné par James Stewart : James Donovan (Le Pont des espions, Steven Spielberg) et Chesley Sullenbergerg (Sully, Clint Eastwood). Le long-métrage repose sur un regard doublement étranger (celui d’un réalisateur allemand et d’un protagoniste américain) respectueux et animé d’un désir de compréhension d’autrui, d’une envie d’apprendre à ses côtés. Cette douceur n’entrave pas une gravité latente pas plus qu’elle ne pousse hors champ ou évacue du dialogue les problématiques inhérentes au cadre investi : violentes inégalités sociales, place des femmes dans la société, exécutions publiques, nombreux interdits. À l’image de ce court passage où Alan Clay visite un immeuble de luxe en construction et croise sur sa route les ouvriers en charge du chantier, se dessine un contraste (un fossé) furtif, immédiatement saisissant. Grand luxe et misère sont temporairement voisins, mais ne se regardent, ne se parlent, ne s’écoutent pas. La mise en scène s’épargne de surligner, elle préfère dire. La simplicité de l’histoire (du moins la relative minceur de son postulat) trouve dans sa discrète sophistication formelle une complexité et de profondeur nouvelles. S’il n’est assurément pas cynique, le cinéaste s’autorise quelques petites touches d’ironies, tels un détournement de « vrais-faux » placements de produits ou plus explicite, la séquence d’introduction. Un cauchemar du héros mis en images tel un spot publicitaire laid et vulgaire. Une imagerie précise et indentifiable est utilisée à la fois comme outil de dénonciation indirecte et retranscription de la psyché perturbée du personnage.

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Un hologramme pour le roi nous parle de solitude dans un monde moderne mondialisé où les technologies ont bouleversé les rapports humains. Sur ce dernier point, il est moins question de ressasser des critiques faciles maintes fois lues, entendues, que d’évoquer des codes nouveaux à appréhender, digérer. Grand gestionnaire de l’espace (le souvenir de l’impressionnante fusillade au musée Guggenheim dans L’Enquête – The International, peut constituer une spectaculaire illustration), Tom Tykwer compose des cadres rigoureux géométriquement, exploitant pleinement les particularités géographiques de son décor (grandes étendues désertiques, longues routes, métropole luxueuse). Personnage esseulé progressivement reconnecté, rapproché par une science du montage fonctionnant par association d’idées. Héritage wachowskien évident, le procédé fut déjà mis en place sur Cloud Atlas et Sense8. Approche mentale, où le temps de certaines séquences présent et passé se confondent, images et sons se répondent, désynchronisés avec fluidité. Expérimental par à-coups, le cinéaste se plaît à parasiter le classicisme apparent : une photo s’anime et prend vie, une image déjà vue est réutilisée succinctement tel un simili effet Koulechov. La forme tape-à-l’œil de l’introduction a beau détonner, elle indique de façon ostentatoire, le point de vue épousé intimement, celui du héros. Un second cauchemar viendra faire écho au premier, plus conforme esthétiquement à l’ensemble du long-métrage, même s’il emprunte alors ses effets du côté du cinéma de genre. Se trouve là l’une des raisons qui peuvent rendre son metteur en scène parfois si difficile à cerner, à l’image de sa filmographie, de ses diverses collaborations, du casting hétéroclite et international qu’il emploie ici : il n’y a chez lui aucune barrière, une totale liberté, un désir d’invention et de réinvention constant. Dans le cas présent, le récit fait mine d’établir un programme précis, avant de le contourner, de bifurquer et finalement nous émouvoir sincèrement et simplement. Délicate, pudique, belle, se dessine peu à peu une œuvre transgressive dans la douceur, transcendée par une forme évolutive mais cohérente, en recherche et pourtant parfaitement aboutie. Film faussement mineur d’un réalisateur définitivement majeur.

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Disponible en DVD et Blu-Ray sur le site d’ESC Distribution.

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A propos de Vincent Nicolet

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