« The Magnet » de Charles Frend (1950) et « School for Scoundrels » de Robert Hamer (1960)

Deux nouveaux films de la collection « My Brittish Comedies » sont édités par Tamasa : « The Magnet », une suite d’aventures enfantines qui parodie la morale bien-pensante de l’après-guerre, et « School for Scoundrels », opus plus tardif sur la compétition sociale et l’art de la rouerie…

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Dans « The Magnet », le jeune Johnny Brent (l’acteur James Fox à ses débuts) abuse un petit garçon naïf qui joue sur un bord de plage. Il fait mine de posséder une montre invisible, et l’échange avec le garçonnet pour obtenir son gros aimant en forme de U. Johnny décampe l’objet en poche mais craint d’être arrêté à chaque coin de rue pour son vol. Les avertissements et les menaces rencontrés en chemin, vont le persuader que l’aimant exerce une mauvaise influence. Johnny s’en débarrasse en le donnant à une personne qui collecte des fonds afin d’équiper un petit hôpital d’une machine d’assistance respiratoire (l’imposant « poumon d’acier » : un coffre étanche, mis sous pression, dont ne dépasse que la tête du patient). L’histoire de ce « pauvre » et généreux garçon, qui a cédé son aimant faute d’argent, est grossie pour émouvoir l’opinion publique : on vend l’aimant aux enchères et la campagne de dons obtient un succès inespéré. La municipalité se met alors à chercher le petit bienfaiteur anonyme pour le récompenser. Mais Johnny, qui est bien éduqué et ne manque chez lui de rien, est convaincu de son « péché » (voler plus pauvre et innocent que lui par pure convoitise), voire de conséquences encore plus dramatiques. Il se cache pour échapper à la ville qui s’est lancée à ses trousses…

Ici l’intrigue du film (une gentille morale qui se perd dans des méandres aventureux) sert de prétexte à parcourir rues, plage, pavillons cossus, et terrain vague anglais. Les situations improbables s’enchaînent dans un rébus de signes et un bric-à-brac de circonstances. La circulation de l’aimant, jouet bon marché de l’après-guerre, devient un déclencheur magique qui enchante et dérègle l’ordinaire. L’objet révèle surtout l’hypocrisie redoutable des petites et moyennes bourgeoisies. Chacun s’épie, se juge et exhibe sa générosité, pour ne pas passer à son tour pour un sans-cœur égoïste. Les adultes sont donc de la farce : la bonne société qui donne à contrecœur et les récolteurs de fonds qui appuient sans scrupules sur la culpabilité collective. S’ajoute à tout cela la parodie de la psychanalyse freudienne en vogue dans les foyers. Les parents de Johnny, qui ne savent comment interpréter le trouble du garçon, le mettent sur le compte de la préadolescence…

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James Fox et Meredith Edwards dans « The Magnet »

La satire de ce monde en reconstruction, opportuniste et encore très clivé, sous-tend cette fable ironique. C’est T.E.B Clarke, le fameux scénariste des studios Ealing, qui en signe l’histoire rocambolesque. On peut rattacher ce film à « Hue and Cry » (A corps et à cri, 1947) de Michael Crichton, authentique joyau « noir » de la période, également scénarisé par Clarke et photographié par Douglas Slocombe (le grand chef opérateur anglais décédé cette année). Dans cette veine, mi-réaliste mi-fantaisiste, on pourrait citer le film du couple américain Ruth Orkin et Morris Engel. « Le Petit Fugitif », fiction proto Nouvelle-Vague improvisée sur une trame liminaire avec des acteurs amateurs, est une autre errance d’enfant imaginatif, cette fois-ci dans les rues new-yorkaises et surtout le décor populaire de Coney Island.

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Alastair Sim dans « School for Scoundrels »

« School for Scoundrels » (1960) est une curiosité, principalement parce qu’il s’agit du dernier film du réalisateur Robert Hamer (qui, atteint de crises de déliriums tremens, n’en assura que très peu le tournage). Réalisateur brillant des studios Ealing, il est célébré pour son classique « Noblesse Oblige » (Kind Hearts and Coronets, 1949). Cette « académie des coquins », n’en a pas la brillance ni la noirceur, mais reste une comédie satirique savoureusement interprétée par son trio d’acteurs, Ian Carmichael, Terry Thomas et Jeannette Scott, en plus d’une poignée de seconds rôles truculents, parmi lesquels la vedette Alastair Sim en professeur-pygmalion, et Denis Price en garagiste escroc.

Harry Palfrey (Ian Carmichael), le « héros » du film, n’a pas d’autorité : il est traité comme un sous-fifre par ses employés et humilié par un rival, le très snob Raymond Delauney (Terry Thomas), qui séduit la belle April Smith (Janette Scott) sous son nez. Pour remédier à cette sempiternelle infirmité sociale et conquérir April, Palfrey s’inscrit dans l’onéreuse école du Dr Potter (Alastair Sim), qui promet à chacun de devenir gagnant en toutes circonstances. La transformation s’accomplira au-delà de toute espérance, et le Dr. Potter, admiratif, proposera à son disciple de partager la chaire, très lucrative, de sa petite école.

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Ian Carmichael, Janette Scott et Terry Thomas dans « School for Scoundrels »

Le burlesque de situation joue pleinement dans cette comédie satirique. Harry Palfrey, l’ingénu qui n’a pas d’ambition, est la proie de tous : de l’élite arrogante, des petits escrocs, et des « coachs » en réussite qui prospèrent sur les espoirs très communs d’ascension. Le film s’inspire des « Gamesmanship », une série de manuels à succès écrits par Stephen Potter dès 1947. Ces livres ironiques dévoilaient les tactiques permettant de reprendre « la main », durant un match de sport et dans n’importe quelle autre situation sociale. « School for scoundrels » est une pochade comique qui s’amuse de cet arrivisme généralisé, variante civilisée de la jungle sociale. Enfin devenu expert aux jeux de séduction et domination, le bon Palfrey préfèrera quand même la sincérité au cynisme… Le film, réalisé sur le tard, hors des studios Ealing qui venaient de fermer, en perpétue l’esprit de satire, toujours truculent et bon enfant. Les bruitages de l’automobile de Palfrey – une véritable antiquité pétaradante vendue comme un modèle de course – ne sont pas sans évoquer les gargouillis burlesques de l’invention de « L’homme au complet blanc ».

A côté des grands films de la période (le génial « Conte de Canterbury » de Michael Powell et Emeric Pressburger (1944) ou l’inoxydable « L’homme au complet blanc » d’Alexander Mackendrick (1951)), nombre de comédies populaires produites par les studios Ealing, sont des objets assez modestes, voire mineurs, mais non moins charmants et représentatifs. Cette production-là se goutte pour sa spécificité : on y invente surtout dans l’écriture, avec ce sens du « timing » mi-burlesque mi-nonchalant, mais dans un cadre économique que l’on devine parfois limité. Aussi, certains films ne concourent pas véritablement dans la même catégorie en termes de moyens, même si, fréquemment, une ambition de dépassement pointe à l’horizon : les premières comédies de Mackendrick lorgnent du côté de l’épopée ; « Passeport pour Pimlico » d’Henry Cornelius tend aussi à la fresque ; sans compter le fameux « Noblesse Oblige », récit sophistiqué d’une vengeance menée « à rebours » de la lignée généalogique. C’est peut-être au final cette démesure contenue sous l’habillage de petites comédies, de farces, ou d’ersatz anglais de grands films de studio, qui donne sa saveur débordante à cette production. Une sorte de balancier inédit – entre sérieux et parodie, petitesse et ambition, subtilité et burlesque affiché  – contamine l’esprit et la forme de chaque film.

Compléments éditoriaux : à noter, les éditions dvd de Tamasa sont accompagnées d’un précieux livret, toujours écrit par Charlotte Garson, proposant un regard informé et ludique sur les films.

Les films sont disponibles en Dvd chez Tamasa depuis avril 2016 – crédits photographiques : Tamasa – Studio Canal

à suivre :

« Heureux mortels » (1944), « L’esprit s’amuse » (1945) et « Les amants passionnés » (1949) de David Lean

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A propos de William LURSON

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