Réalisé par Richard Loncraine en 1987, Bellman and True (1) appartient à cette nouvelle vague du cinéma britannique de la fin des années 80 qui offrait des instantanés d’époque, faisant le portrait des ultimes années thatchériennes, un peu délabré, entre le spectacle de la ville et celui de la banlieue ouvrière, où l’urbanisme le dispute au terrain vague. Il s’inscrit donc dans une veine facilement reconnaissable, celle qui vit éclore également le cinéma de Stephan Frears avec Prick Up your Ears la même année ou My Beautiful Laundrette. Lorsque Stephen Frears avec The Hit ou Neil Jordan avec Mona Lisa abordent le polar, c’est pour jouer avec ses codes et lui faire perdre ses oripeaux fantasmatiques. Finis les truands charismatiques – même si Terence Stamp dans The Hit constitue une belle exception –  ou les héros séduisants à la Michael Caine dans Get Carter. Bellman and True est donc un curieux polar dans lequel l’héroïsme s’est éteint. L’horizon exposé est celui de la dépression intime et économique. Dans un Royaume-Uni miné par le chômage, braquer une banque n’est plus un divertissement, mais un moyen de plus de tenter de gagner de l’argent. Un peu minables et décalés, tous se perdent dans une atmosphère automnale, où le monde a perdu sa vivacité et ses couleurs, plongé dans une mélancolie qui s’accorde à celle des humains. Les polars des années 70, s’ils étaient rugueux et secs, adoptaient le montage nerveux du cinéma d’action avec une BO en adéquation entre soul et disco. Ces années 80 marquent un ralentissement du rythme, déprimé, qui épouse l’époque et ses préoccupations, au carrefour du cinéma social. Ainsi Hiller (remarquable Bernard Hill) porte la marque de la détresse sur son visage, dès ces premières images le montrant au ralenti sortant du train et regardant de toutes parts s’il n’a pas été suivi. C’est un homme aux abois, fuyant de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel avec son jeune beau-fils pour échapper aux malfrats qui l’ont engagé pour orchestrer à distance le cambriolage d’une banque. Séquestré avec le garçon par les deux gangsters dans un immeuble désaffecté, totalement largué et pas seulement par sa femme, cet ingénieur en informatique capable de fabriquer des petits jouets robotisés est l’homme utile qui doit payer sa dette en décryptant les codes qu’il a volés à la boite qui l’a licenciée pour alcoolisme.

© Powerhouse films

Tandis qu’Anna, étrange prostituée baby-sitter chargée de surveiller le garçon, se rapproche de lui, il s’attelle à la tâche. Posée jamais très loin de lui, comme fidèle compagnon, sa bouteille d’alcool. Restera à rassembler un gang, à abandonner les équations pour passer à l’action.

Si le glamour et l’élégance ne sont plus de rigueur, Bellman and True installe néanmoins une singularité qui l’éloigne du réalisme pur, un curieux sentimentalisme qui rappelle fortement le Neil Jordan de Mona Lisa qui lui aussi entremêlait le prosaïque et le réalisme poétique, où le sordide était rattrapé par un romantisme tragique. C’est dans ses échappées que Bellman and True s’avère le plus convaincant, malgré ses faiblesses, ses baisses de tension et sa tendance à l’inertie dans son premier acte. Richard Loncraine opte d’ailleurs régulièrement pour des angles un peu tarabiscotés, plans cassés dans une pièce, ou inclinés dans de longs couloirs, proposant un climat de perte de repères, de déformation de perceptions. Cet immeuble bourgeois déserté au milieu de Londres, avec son impressionnante hauteur sous plafond, ses vieilles cheminées, ses grandes chambres et ses escaliers profonds posent un décor fascinant et inquiétant, comme un manoir au milieu de la ville, un lieu immense qui avale les protagonistes, ridiculement petits. Pour amplifier cette sensation d’anachronisme, la photo puise dans la peinture flamande son approche en clair-obscur des intérieurs, dans laquelle domine le marron et autres teintes sombres. Richard Loncraine avait d’ailleurs demandé à Ken Westbury, chef opérateur n’ayant quasiment travaillé qu’à la télé, de s’inspirer de Van Eyck pour la texture esthétique du film. A partir d’une telle mise en place, Loncraine organise un climat d’attente, un huis-clos délabré propice à l’ennui. Les deux parties distinctes de Bellman and True soulignent un évident changement de rythme et de tons, car lorsqu’enfin se matérialise le cambriolage, la cadence s’accélère jusqu’au final.

© Powerhouse films

Loncraine poursuit la démythification en présentant des commanditaires minables, comme des bandits qui sortent un instant de leur vie pathétique pour passer à l’acte et dont quelques-uns sont proches de l’âge de la retraite. Si l’on se réfère aux grand films de casse des années 70 comme Le gang Anderson de Sidney Lumet ou The Robbery de Peter Yates, à l’évidence les temps ont changé et l’idée d’une illustration héroïque est bien loin. Les figures de hors-la-loi élégants se sont volatilisées pour faire face à des truands sans envergure, empâtés, mais suffisamment coordonnés pour mener à bien leur projet. A l’instar des futurs reservoir dogs, les membres anonymes n’ont d’identité que leur caractérisation dans l’action. Ils sont The Peterman, The Wheelman, The Bellman avec Guv’nor à leur tête. L’ironie discrète de Richard Loncraine fait de ces méchants l’incarnation d’un Mal sans splendeur, presque apathique. Et surtout sans loyauté, morale, ni sens de l’honneur. Délicatement amer, Bellman and True fait preuve d’une grande misanthropie à laquelle n’échappent pas les personnages féminins, qu’il s’agisse de la mère du garçon qui l’a laissé tomber en même temps que son beau-père, ou d’Anna dont l’attirance pour Hiller n’est qu’une imposture. Entre celle qui laisse en guise de mot d’adieu à Hiller « Just boring » écrit au rouge à lèvres sur une vitre et celle qui se moque bien qu’il risque d’y laisser sa peau et ne compte absolument pas s’occuper son fils, on se retrouve avec de bien piètres figures maternelles ; mais Richard Loncraine ne les charge pas tant que ça, comme s’il respectait les raisons de chacune : un ennui terrible pour l’une, un désir de survie pour l’autre. Cinéaste britannique classique, malgré ses modestes réussites (et en particulier sa transposition de Richard III sous le nazisme avec Ian Mc Kellen), Richard Loncraine restera dans les mémoires l’homme d’un unique grand film : le magnifique et tragique Full Circle, dont curieusement il ne garde pas un souvenir impérissable à cause d’un tournage éreintant et d’un producteur canadien qui souhaitait un film gore. Dommage. Il appartient à ces honnêtes artisans – et ça n’est pas un défaut – qui ne se sont jamais revendiqués « auteurs ».

© Powerhouse films

Et pourtant son œuvre reste attachante, mi moqueuse, mi tendre, et témoigne d’un regard toujours attendri sur ses personnages. Aussi, Bellman and True infuse lentement mais sûrement son émotion diffuse et pudique. Cette relation presque silencieuse entre un jeune garçon et son père de substitution demeure le fil rouge de cette œuvre peu spectaculaire où l’intime finit par avoir raison des archétypes du genre. En plein milieu de cet horizon vide, de ce paysage de perdants naît une ligne de fuite, l’idée positive d’un destin changeant. Quoi de plus beau que ce garçon qui finit par faire le deuil (de la présence) de sa mère et appelle Hiller « papa », guidant l’adulte éteint vers une lumière, un optimisme renaissant. L’air de rien, Richard Loncraine distille sa petite musique, jonglant avec les tons et les styles, passant du comique ridicule de ses malfrats, à la beauté d’une cellule familiale inédite. Et Bellman and True de se clore sur un happy end de conte de fées aussi improbable que superbe. Nous ne songerons pas un seul instant à la crédibilité du déroulement, heureux que nous sommes de voir un enfant sourire à son père en lui déclarant que c’était « une sacrée journée ». Heureux comme eux de quitter sur un générique de dessin animé la grisaille londonienne pour le soleil de Rio.

Technique et suppléments

La copie du combo Powerhouse – Indicator est belle, respectant  la photo de Ken Westbury au grain très prononcé. Deux versions du film nous sont proposées (il existe également une version télé de 3 X 50 mn, non présente ici), la version cinéma de 117 mn et la version longue de 122 mn proposées au Festival de Londres en 1987. Dans Running in Traffic (2019, 24 mn) Richard Loncraine se souvient du tournage et de l’élaboration du film. Pour l’acteur Kieran O’Brien (Just an Adventure, 20 mn), dont ce fut le premier rôle, c’est le regard d’un enfant de 10 ans qui remonte à la surface. Le scénariste et écrivain Desmond Lowden  (Cracking the System2019, 17 mn) aborde l’adaptation au cinéma de son propre roman. Enfin, un dernier témoignage (Trust Me, 2019, 10 mn), celui du compositeur Colin Towns déjà auteur de la partition follement mélancolique de Full Circle de Richard Loncraine. Le livret contient une belle analyse de Kevin Lyons, un interview de Bernard Hill et l’habituel sélection de réceptions critiques de l’époque. Un article nous éclaire également sur les origines du titre : « D’ye Ken John Peel ? » une chanson traditionnelle que l’on entend à la fin du film. Encore plein de bonnes raisons pour se procurer ce Bellman and True oeuvre aussi émouvante que modeste. Donc précieuse.

 

 

Combo Blu-Ray / DVD édité par Powerhouse films
Les films possèdent des sous-titres en anglais uniquement.

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(1) En 2006, Richard Loncraine en réalisera un remake US absolument inutile avec  Harrison Ford, Paul Bettany et Virginia Madsen : Firewall

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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