Tourné deux ans avant The Wicker Man de Rod Hardy, La Nuit des maléfices (The Blood on Satan’s Claw) s’inscrit dans la mouvance folk-horror, sous-genre emblématique d’un cinéma horrifique en pleine mutation au début des années 70. Le déclin de la Hammer, qui tente alors de se retrouver avec des films plus explicitement érotiques et sanglants comme Comtesse Dracula de Peter Sasdy ou The Vampire Lovers de Roy Ward Baker, permet à des petites boites plus modestes d’émerger, d’être davantage en phase avec une société changeante, post-68, entre les mouvements contestataires à forte résonance politique, l’avènement d’une contre-culture modifiant les rapports de forces, notamment dans l’éducation, entre une jeunesse fougueuse et le reste d’une population dépassée par les bouleversements idéologiques. L’une des vertus spécifiques du cinéma horrifique tient à sa capacité à être en phase avec son époque, captant l’air du temps en s’emparant de tropes issus du folklore gothique et historique de la société (anglaise) pour évoquer l’évolution complexe du monde contemporain. La Nuit des maléfices ne déroge pas à la règle. Ses intentions souscrivent à un désir de greffer certains événements récents – comme la prolifération des sectes meurtrières, la déviance malsaine d’une partie de la de la génération hippie – à l’intérieur d’un film d’épouvante rural sur fond de sorcellerie et de paganisme.

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Cette production Tigon, à qui l’on doit quelques petits classiques comme Le Grand Inquisiteur ou Doomwatch, réalisée avec un budget modeste, exploite habilement la topographie verdoyante de la campagne anglaise de la fin du XIXᵉ siècle, où les croyances sont encore profondément enracinées dans les esprits. Dans ce cadre aussi enveloppant qu’étouffant, exploitant majoritairement une atmosphère diurne contrairement à ce qu’indique le titre français, La Nuit des maléfices déplie un récit intriguant mais chaotique, bizarrement écrit, décuplant les pistes narratives non exploitées, les personnages qui apparaissent, disparaissent et réapparaissent par magie en dépit de toute logique diégétique. Pourquoi une telle anarchie dans la structure d’un récit qui manque clairement d’une ossature claire, d’une colonne vertébrale assemblant la déflagration d’idées foisonnantes et de motifs graphiques excitants ? La raison peut s’expliquer simplement par le développement du projet en amont, pensé à l’origine comme un film à sketches découpé en trois segments. Il en résulte une histoire qui part dans tous les sens, mais qui paradoxalement contribue au charme vénéneux et onirique de cette plongée au cœur d’une civilisation tiraillée entre les croyances et la rationalité, le bien et le mal, les représentants de l’ordre et une jeunesse ivre de jouissance et de transgression.

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L’intrigue initiale peut se résumer facilement, mais ne rend pas compte des chemins de traverse qu’elle va emprunter. Il n’y a rien de plus galvanisant au fond que d’assister à une telle expérience de spectateur, suscitant autant l’étonnement que la frustration. L’action se déroule en Angleterre au XVIIIᵉ siècle. Dans un petit village reculé, un jeune paysan affirme avoir vu la marque du Diable représentée par un crâne humain recouvert d’une drôle de fourrure. Le juge du comté, cartésien, n’y prête pas attention et considère qu’il s’agit encore de superstitions locales. Mais une série d’événements étranges se produit : une future mariée devient folle, des jeunes filles sont couvertes d’une peau brune poilue, les villageois sont en proie à des accès de démence en se mutilant. Au centre de cette atmosphère déliquescente, la jeune Angela Blake, possédée par le démon selon les autochtones, pourrait être à l’origine de ces mystérieux incidents. Elle se livrerait à des orgies et à des sabbats au sein de la secte où elle entrainerait avec elle les enfants et adolescents du village. Constamment surprenant, le récit ne cesse de bifurquer. À défaut de cohérence, La Nuit des maléfices captive et ravive ce plaisir rare de ne jamais nous permettre d’anticiper, même s’il semble moins maîtrisé que d’autres fleurons du genre. Sur le plan formel, on retiendra le travail exigeant du directeur de la photo, Dick Bush, chef op attitré de Ken Russell, mais aussi – excusez du peu – de Sorcerer de William Friedkin. En privilégiant la lumière naturelle, il tourne le dos aux conventions de l’époque, privilégiant les images naturalistes dans un style heurté proche du documentaire. Beaucoup de plans sont tournés caméra à l’épaule, majoritairement de jour.

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Cette volonté de créer une angoisse dans un univers diurne s’avère payante. La Nuit des maléfices comporte peu de séquences spectaculaires, préférant miser sur le hors-champ et le réalisme cru des situations, sans ajout d’effets spéciaux ou de scènes sanglantes, à l’image des scènes de sorcellerie qui ne sont jamais ridicules, d’une réelle authenticité. Cette crédibilité tient à ce rapport trouble, ambivalent entre le réel et le surnaturel, posant l’éternel dilemme du cinéma à caractère fantastique : tout cela a-t-il eu lieu ou est-ce le délire hystérique d’une collectivité manipulée par une entité bien humaine ? L’apparition du Démon laisse par ailleurs le spectateur dans le flou, tant la séquence joue sur un trompe-l’œil saisissant. Tout est construit pour que nous ayons une perception floue d’un final exutoire et non dénué d’ironie. L’ambiguïté s’incarne dans une mise en scène distanciée qui ne prend pas parti, entre le positionnement du juge censé incarner la justice et toutes ces âmes envoûtées qui subissent les violences répressives. Entouré d’une équipe de techniciens compétents et d’excellents comédiens, toute génération confondue, Piers Haggard, artisan mésestimé, à qui l’on doit l’excellente mini-série Quatermass et le très curieux Venin, signe son meilleur film, le plus original et le plus profond, incursion singulière dans un genre qu’il a quasiment renouvelé.
![LA NUIT DES MALÉFICES de Piers Haggard [Critique Blu-Ray] - Freakin' Geek](https://zupimages.net/up/25/16/wg7d.jpg)
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(GB-1971) de Piers Haggard avec Patrick Wymark, Linda Hayden, Barry Andrews, Wendy Padbury
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