Michael Apted – « Nashville Lady » (1980)

Cinéaste britannique d’une longévité notable, actif dès 1960 à la télévision (où il a dirigé la série documentaire Up) jusqu’à la sortie sur grand-écran de son ultime réalisation, Conspiracy en 2017, Michael Apted a laissé derrière lui une œuvre vaste et éclectique. De ses débuts au Royaume-Uni à la mise en scène de grosses productions telles que le dix-neuvième James Bond, Le Monde ne suffit pas, ou le troisième volet du Monde de Narnia, il s’est essayé à diverses échelles budgétaires et différents registres. En 1972, The Triple Echo, son coup d’essai pour le cinéma, ne passe pas inaperçu, son drame antimilitariste questionne l’identité de genre bien avant The Crying Game ou dans une autre tonalité Tootsie, lui conférant une dimension de précurseur. Deux ans plus tard, il s’immisce une première fois dans le monde musical en signant la suite de That’ll Be The Day avec David Essex et Ringo Starr, Stardust, avant d’enchaîner sur Le Piège infernal, un polar brutal et crasseux dans la veine de Get Carter, puis Agatha un portait de femme porté par Vanessa Redgrave et Dustin Hoffman, autour de la disparition onze jours durant, de l’auteur du Crime de l’Orient-Express. Cette polyvalence et cette capacité à s’imposer régulièrement sur de nouveaux terrains, ne manquent pas d’attirer l’attention outre-Atlantique. En parallèle, depuis la parution couronnée de succès de l’autobiographie de Loretta Lynn, Coal Miner’s Daughter coécrite avec George Vecsey en 1976, un biopic sur l’artiste de country est en chantier chez Universal. Le projet, initialement entre les mains de Joseph Sargent, qui reste sur le semi-échec de MacArthur, est encadré par la chanteuse qui impose l’actrice pour l’incarner, Sissy Spacek (très en vue après avoir enchainé Prime Cut de Michael Ritchie, La Balade sauvage de Terrence Malick, Carrie au bal du diable de Brian De Palma et Trois femmes de Robert Altman au cours des seventies). Le réalisateur opposé à ce choix en raison d’une faible ressemblance physique, est alors remercié et Apted embauché, ce dernier s’exilant par la même occasion aux Etats-Unis. Il se mêle au casting en proposant Tommy Lee Jones, un acteur qui à ce stade, est encore cantonné aux seconds rôles, pour interpréter Doolittle Lynn. Carton sur le sol américain où il termine à la septième place du box-office annuel, Nashville Lady (son titre français) reçoit plusieurs récompenses dont l’Oscar, le Golden Globe et le Bafta de la meilleure actrice pour Sissy Spacek, tandis que son partenaire obtient la première nomination de sa carrière. Culte aux États-unis, le long-métrage est nettement plus méconnu à l’étranger. Inédit en haute-définition, il bénéficie aujourd’hui d’une remise en lumière orchestrée par Rimini Editions, qui le propose en Combo Blu-Ray/DVD.

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© Rimini Editions 2022

Née dans une famille de mineurs, au cœur d’un village du Kentucky, Loretta (Sissy Spacek) se marie à 13 ans avec Doolittle Lynn (Tommy Lee Jones). Décelant chez elle un véritable talent de chanteuse, il lui offre une guitare et l’encourage à se produire sur scène… L’introduction nous présente, au moyen d’un montage alterné de l’héroïne à cheval en forêt accompagnée de l’un de ses frères pendant que son père travaille à la mine. Un procédé remployé à plusieurs reprises, témoignant d’une envie de point de vue duel, de retranscrire une vision « large » d’une même situation. Le décor est planté, le passif dans le documentaire de Michael Apted constitue un atout non négligeable, il place le biopic sur le terrain de la chronique sociale. La musique met du temps à être au centre du récit, il préfère s’atteler à une peinture bienveillante et réaliste de l’Amérique des « hillbillies ». Observation tendre et dénuée de jugement par un cinéaste étranger, réellement intéressé à l’idée de découvrir une population sous-représentée sur grand-écran ou trop souvent regardée avec condescendance. Sur le tournage, le réalisateur et son chef opérateur Ralf D.Bode (La Fièvre du samedi soir, Pulsions) refusaient de planifier les cadres à l’avance, préférant regarder les acteurs répéter et concevoir les images autour d’eux : cette approche s’accorde avec une volonté d’authenticité palpable. La mise en scène sobre et pudique tend à s’effacer au profit des personnages et des situations. Il en ressort une reconstitution à la fois ancrée dans un contexte spécifique et pourtant pleine de vie (la durée des plans souvent longue favorise ce dessein empreint de naturalisme), aucunement figée, drôle et émouvante. L’attention se porte sur des détails faussement futiles rendus captivants grâce à ce traitement. À l’instar de la séquence de vente aux enchères d’une tarte, conçue en jeu de séduction, ou celle de la demande en mariage, à la tonalité double, marquée par les allers et venues de Doolittle entre le père et la mère de Loretta. Cette humilité et ce dépouillement apparents n’empêchent pas une certaine complexité et évolution des rapports, car si Nashville Lady dépeint des schémas familiaux traditionnels et des individualités aux prises à des enjeux aujourd’hui archaïques, il se révèle malgré tout surprenant. Loretta Lynn, jeune femme sans perspectives autres que fonder un foyer, arrachée prématurément à sa condition (il est permis de penser par aspects au rôle que tenait Sissy Spacek sept ans plus dans La Balade sauvage), peu cultivée et instruite, est moins docile quelle n’y paraît au premier abord. Il est en de même pour son mari, machiste bourru se mettant peu à peu au service de son épouse, quitte à s’astreindre aux taches de maison en devenant le soutien infaillible de Loretta et l’architecte de son émancipation. Le script signé Tom Rickman (The White Down de Philip Kaufman, Le Flic ricanant de Stuart Rosenberg et La Fureur du danger d’Hal Needham), délesté de coups de forces scénaristiques et d’effusions dramatiques surlignées, se déploie par blocs séquentiels entrecoupés d’ellipses judicieuses, trouve une parfaite osmose avec la réalisation discrète d’Apted.

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Nashville Lady évite ainsi les lieux communs et figures obligées de la success story filmique classique, davantage préoccupé par l’idée de construire de beaux personnages de cinéma, humains et faillibles, de nous attacher à eux, nous permettre de les comprendre. Film de portraitiste (de femme, d’homme, d’un mode de vie, d’une région), il tient plus du témoignage modeste que de l’hagiographie excessive, en mesure de toucher bien au-delà des affinités musicales du spectateur. L’histoire d’une héroïne qui devient une icône nationale sans se renier, révolutionnant en douceur sa discipline, sans jamais oublier ses racines, se transformant en étendard d’une population jusqu’alors cantonnée au silence. L’usage du titre Coal Miner’s Daughter pour l’ultime séquence et le générique de fin (ponctué d’extraits antérieurs illustrant les crédits), a une résonance significative, il retrace en quelques minutes un parcours et un récit rectiligne, pourtant parsemé d’épreuves, de douleurs sur lesquelles Loretta Lynn a puisé sa force. Le casting, atout évident du projet, tutoie la recherche d’authenticité du metteur en scène. Sissy Spacek, qui interprète elle-même toutes les chansons (c’est également le cas pour Beverly D’Angelo dans la peau de Patsy Cline) a accompagné de nombreux mois en amont la chanteuse, en studio et en tournée pour l’observer. Juste et puissante, elle crève l’écran avec une prestation habitée, crédible de l’adolescence à l’âge adulte. Face à elle, Tommy Lee Jones, dans un rôle faussement ingrat, profondément magnifique, s’affirme incontestablement comme une révélation de premier plan. Très belle découverte que ce long-métrage simple et touchant, incarné à chaque pore de l’écran. Il bénéficie d’une copie de qualité accompagnée de trois suppléments (tirés de l’édition blu-ray américaine datant de 2014). Michael Apted est omniprésent, en commentaire audio aux côtés de Sissy Spacek mais aussi pour une interview de Loretta Lynn ainsi qu’un échange avec le futur acteur du Fugitif et de Men in Black. Des moments conviviaux et sans langue de bois, comme lorsque l’artiste déclare que ce film constitue l’une des choses les plus importantes de son existence qu’elle ne peut cependant plus le revoir en raison de son trop grand réalisme et des souvenirs personnels qu’il lui rappelle. Jones évoque quant à lui sa relation avec sa partenaire de jeu, qu’il considère comme une sœur, avec qui il a repartagé l’affiche par la suite (JFK d’Oliver stone) et qu’il a même dirigé en 1995 dans le téléfilm The Good Old Boys.

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A propos de Vincent Nicolet

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