L’adaptation télévisuelle du recueil de nouvelles Chroniques Martiennes écrit par Ray Bradbury devait être diffusée sur la chaine américaine ABC en septembre 1979. Mais à la première vision des images, l’écrivain désavoua l’ensemble, ce qui retarda sa diffusion. Un montage cinéma fut élaboré en parallèle et il arriva en salles françaises le 23 juillet 1980, seul pays à en avoir bénéficié. Oblitérant au passage des chroniques et écourtant certaines scènes. Avec un certain malheur, puisque la sortie se solda par un échec total en cumulant à peine 24 390 amateurs.

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

Les 3 épisodes seront finalement diffusés en janvier 1980 aux USA, puis courant 1982 à la télévision française. Pour ensuite atterrir en Blu Ray – d’abord dans les pays anglo-saxons, chez Kino Lorber, aux USA, Imprint en Australie – édition limitée à 1500 exemplaires, Final Cut au Royaume Uni, et en France chez Rimini Editions.

En relisant Les Chroniques Martiennes (le livre), on s’aperçoit rapidement de la différence avec la série. A savoir que l’adaptation de Richard Matheson créé un liant entre chaque chronique (qui sont indépendantes les unes des autres) via le personnage joué par Rock Hudson. Un général organisant les premières expéditions sur Mars en vue de sa colonisation, puis finalement migrant vers la planète rouge avant l’autodestruction de la Terre. Il est en fait le fruit de plusieurs personnages des nouvelles solidifiés en un seul. 

Aussi, le livre subira plusieurs ressorties, agrémentées à chaque fois d’un peu plus de chair pour relier le tout. A noter que la série s’inspire avant tout de la première version du recueil.

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

Tentant de gagner en visibilité auprès du public, la production misa sur Rock Hudson, acteur facilement reconnaissable. Il est secondé par une ribambelle d’acteurs récurrents dans la galaxie des productions américaines des années 70. Darren McGavin en tête, héros de la série Dossiers Brûlants, Fritz Weaver sortant de succès comme Marathon Man et Holocauste, l’ancien joueur de football américain Bernie Casey – exceptionnel ici au générique de Gargoyles et Dr Black & Mister Hyde, Christopher Connelly des séries Peyton Place et La Barbe à Papa, Roddy McDowall… un casting qui vend du rêve aux téléspectateurs de l’époque.

Les choix des iles de Lanzarote et Malte se révèlent d’une pertinence rare comme décors naturels. Les désert de lave noire, les volcans de Lanzarote font merveille de superficie martienne. On « est » littéralement sur Mars, avec ses sables noirs, rouges et ses 110 volcans à perte de vue. Pas pour rien que Thomas Pesquet choisit Lanzarote pour ses entrainements de sa future mission sur Mars.

idem pour les canaux de Malte, la pierre blanche et la végétation rase permet, avec le ciel bleu tranchant, de donner une identité géologique unique. Idéal pour transplanter l’imaginaire de Bradbury et respectant au mieux l’essence de ses descriptions de la nature de la planète rouge.

Les Chroniques Martiennes tiennent surtout la route grâce au discret travail de Michael Anderson, grand directeur d’acteurs. Même s’il a jonglé avec de grosses productions à effets spéciaux, comme Le Tour du Monde en 80 Jours (1956) ou L’Age de Cristal (1976). Il s’agit d’une production télévisuelle de la fin des années 70, dont certains stéréotypes de jeu ampoulent parfois le récit. Mais la plupart des acteurs principaux remplissent adéquatement leur mission et au delà, Rock Hudson en tête. Il maximise la part humaine du récit, la désagrégation du système terrien, le sens de l’abandon, la cupidité et les croyances désespérées. Il est de ce fait intéressant de comparer l’approche humaine que Michael Anderson a d’abord développé dans l’excellent Les Briseurs de Barrages (1955) et son insertion au sein d’éléments d’effets spéciaux visuels – approche qu’il réitèrera dans Operation Crossbow (1965). Un style définitivement Andersonien, témoignant d’un auteur résolument méconnu et mésestimé.

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

Anderson s’appuie aussi sur les décors élégants élaborés par Assheton Gorton ( ayant oeuvré sur Blow Up pour ensuite se diriger vers La Maitresse du Lieutenant français et Legend), donnant aux cités martiennes abandonnées des variations géométriques prolongeant ce sentiment d’ailleurs et de bizarre. Les angles de prises de vue magnifient cet aspect. Là aussi, une marque de son style qui se retrouve aisément dans l’Age de Cristal ou 1984.

Certaines scènes fonctionnent mieux que d’autres, évidemment. Mais des moments restent gravés, comme le martien changeant d’apparence jusqu’à en mourir, le restaurant abandonné, la séquence très Quatrième Dimension de la ville terrienne retrouvée, la séquence du Christ martien… une série de trouvailles à la fois visuelles, la richesse de la palette chromatique utilisée, les fascinants maquillages et costumes. mais reposant surtout sur le levier du jeu d’acteurs.

La construction en 3 chapitres (Les Expéditions, Les Colons, Les Martiens)  tente d’apporter des impulsions narratives absentes du recueil, une bonne chose en soi pour permettre un rythme et un repère temporel, malgré les libertés prises.  Et de trouver un équilibre en croisant les destinées de plusieurs personnages. La composition dramatique se révèle lente, peut-être trop aux yeux de canons actuels. Mais efficace en terme d’impact, comme pour cette fameuse séquence entre Fritz Weaver (dans le rôle du missionnaire) et sa rencontre avec le Christ extra-terrestre. Graduellement, la parabole surgit, celle d’une nouvelle version de la colonisation des Amériques. Sans ironie, ni moquerie.

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

Il existe une mélancolie permanente qui parcourt la mini-série. Une certaine indolence dans le rendu visuel. Mais n’oubliant pas le spectaculaire, de la poursuite des vaisseaux de sable jusqu’à la séquence d’ULM pilotée par un Christopher Connelly en grande forme.

Maintenant, tout reste matière à perspective. Physiquement parlant pour les effets spéciaux, mais aussi concernant le regard porté sur l’oeuvre. La mode était au film dans l’espace depuis le succès de La Guerre des Etoiles, la série a donc été lancée en 1977. Mais…

Dès sa diffusion, certains effets spéciaux étaient déjà dépassés – entre autres, les vaisseaux spatiaux, redoutables suppositoires géants volant à haute altitude -, et ceci a grandement nuit à sa réputation. Dû au choix de techniques utilisées, mais également au budget restreint que la chaine TV derrière la production – qui fit que l’ensemble en pâtit de la vision initiale jusqu’à sa transposition à l’écran.

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

Visuellement parlant, il faut mentionner le travail titanesque accompli  par Ray Caple concernant des plans en matte painting. Pas moins de 45.  Ray Caple fait partie de ces maîtres invisibles des films de genre. Il commença sous la houlette du grand Les Bowie, qui oeuvrapour les mattes des Chaussons Rouges, Le Narcisse Noir jusqu’aux 7 Vampires d’Or. Il se dirigea ensuite vers la peinture de plus grosses productions, comme L’or de McKenna, Highlander, en passant par les mattes de Cosmos 1999, Le 6e Continent et bien sûr Alien sur la plupart des plans composites. Un grand monsieur.

La plupart des mattes demeurent élégantes, poétiques. D’autres souffrent des pauvres miniatures de John Stears – mais également de choix de focales pour les filmer, certains discutables malgré les connaissances du directeur photo Bob Kindred, opérateur de camera sur plusieurs James Bond jusqu’en 1981. Rendant certains effets risibles, hélas. 

Aujourd’hui se partagent deux yeux, l’un nostalgique et l’autre critique. Les Chroniques Martiennes propose une vision à part, un sens de l’étrange que peu de productions de cette époque possèdent.

Rimini offre dans sa collection SF une édition sur 3 Blu Ray qui contient à la fois les 3 épisodes (les deux premiers sur le disque 1 et le 3e sur le disque 2) et le montage cinéma en version française, sur le troisième disque, en compagnie du bonus documentaire. Il s’agit bien dela version complète ici, par rapport à la scène du Christ, qui avait été amputée lors de sa première diffusion – de peur de heurter les puissantes communautés religieuses américaines. 

Il faut toutefois préciser que cette présente édition diverge de ses consœurs américaine et australienne, à savoir que les épisodes 2 et 3 ne possèdent pas l’introduction des épisodes précédents, ni n’offrent le segment de présentations de l’épisode suivant. Il faudra passer sur les interruptions propres à la diffusion pour la télévision américaine, à savoir l’interruption publicitaire tous les 1/4 d’heures. Ces interruptions demeurent d’ailleurs curieusement opérées, figeant l’image. Bizarre.Solide présentation audio et video. Le format original 1.33:1 respecté, avec une présentation en encodée AVC et 1080p,  avec un solide débit en moyenne à 31 MBps. Le côté négatif demeure l’accentuation du côté artificiel de certains effets visuels, dès la première scène avec l’arrivée du module sur Mars, clairement une miniature avec fils supendus.

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

 Mais les couleurs sont vibrantes, voir l’épisode 3 avec la rencontre entre Rock Hudson et la fantôme martien – ou encore sur le film à 50mn11 avec les fusées bleues. Les teints de peau naturels, une belle définition du contour des objets – même si le master utilisé trahit le temps, on a affaire à un bel ouvrage.

Le menu des deux premiers disques offre la possibilité de la version doublée en français et la version originale avec sous-titres français, qui sont amovibles. Le tout en mono DTS HD MA encodé sur deux canaux. Qu’il s’agisse du disque 1 (avec deux épisodes) ou du disque 2 (avec le seul épisode 3), la qualité de compression sonore est au rendez-vous. Les accès depuis le menu sont simplifiés, aucun chapitrage n’est cependant proposé – un grand dommage.

A noter que la version française s’avère très créative : elle rajoute des éléments en voix off absente de la VO – sur l’arrivée de Rock Hudson sur terre en 2006, entre autres (version cinéma). Et que tout est fait pour gommer son origine télévisuelle, puisque le générique modifie le « teleplay by Richard Matheson » en « screenplay by Richard Matheson » , trompant quelque peu le chaland sur la marchandise…

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

La tandem Alexandre Jousse / Jean-Manuel Costa qui a déjà oeuvré dans l’excellent segment présent dans La Fusée de l’Epouvante remet le couvert pour un segment nommé Retour aux Chroniques Martiennes sur un peu moins de 30mn. Très informatif sur l’aspect technique et des décors, du très beau boulot de recherche et idéalement présenté à l’écran.

Un livret « Nous, les martiens » écrit par Pascal Montéville apporte une lumière précieuse sur Chroniques Martiennes le livre, ses origines, un éclairage analytique inattendu. Littéraire, car n’ayant aucune relation avec l’adaptation de Michael Anderson. Réussi.

Un regret toutefois, l’absence de suppléments propres aux participants du film, alors que la matériel existe. L’édition US chez Kino Lorber offraient une conversation avec l’acteur John Faulkner. L‘australienne de chez Imprint plusieurs interviews de techniciens et acteurs es interviews de la superviseuse du script Cheryl Leigh, le compositeur Richard Harvey, le sculpteur Brian Muir et le superviseur des maquillages Colin Arthur. Plus un documentaire sur Ray Bradbury., offrant une perspective rare sur cette création artistique à la destinée peu commune. 

La sortie la plus récente, anglaise chez Final Cut le 24 mars 2024, reprend la plupart des éléments de chez Imprint. Mais pour ce faire, la connaissance de langue anglaise reste un impératif.

En conclusion, l’ensemble oscille entre faiblesses techniques, une caméra parfois figée et des transfigurations obliques, propulsant le récitvers le bizarre et le grotesque. Les Chroniques Martiennes gardent une fascination quelques 45 ans après. Toujours d’actualité sur les thématiques récurrentes d’humanité arrogante et du sens de l’autre. Aussi, d’offrir un poésie différente, désabusée, pour peu qu’on se laisse bercer par cette musique indicible.

Captures Ecran du Blu-Ray © Rimini

Si vous espérez un récit regorgeant de batailles au sabre laser, de montage hyper cut et moments d’actions spectaculaires, passez votre chemin. Si vous gardez une capacité à être surpris, challengé parfois, faisant fi d’une technique parfois médiocre, vous êtes au bon endroit. Malgré une narration disjointe et quelques soucis de rythme, la série surmonte sa difficulté d’adaptation d’un recueil quasi impossible à filmer tel quel. Le récit réussit à lier ce canevas martien, réflexion d’anticipation sur l’exploration du mental humain. Passées les imperfections superficielles, Les Chroniques Martiennes se révèle passionnantes et cette édition recommandée.

Série:

Episode 1: 98mn12

Episode 2 : 94mn02

Episode 3 : 92mn52

langues: anglais, français DTS HD MA 2.0, format 1.33:1

sous-titres : français.

Film: 113mn58

langue : français DTS HD MA 2.0, format 1.33:1

Bonus : 

Retour aux Chroniques Martiennes (Alexandre Jousse/Jean-Manuel Costa) 29mn10

Bande annonce originale VF 2mn26

Livret « Nous, Les Martiens » par Pascal Manteville – 20 pages

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Francis BARBIER-MARTINS

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.