Joe d’Amato –  » Emanuelle et les derniers cannibales « 

Tourné dans la foulée de Emanuelle en Amérique et Emanuelle autour du monde en 1977, Emanuelle et les derniers cannibales s’affranchit -en partie- avec l’univers crapoteux du « mondo » pour dériver vers la simplicité du cinéma d’aventure picaresque, presque léger convoquant aussi bien les fumetti des années 60 que l’univers de Tintin, rappelant à plusieurs reprises la structure narrative de La montagne du Dieu Cannibale de Sergio Martino. Il reste sans aucun doute le plus solaire des trois, le plus agréable à visionner. Une atmosphère décontractée et désuète flotte durant les 2/3 du métrage au gré des exploits érotiques de personnages s’ébattant dans un décor de carte postale, interrompant parfois les galipettes pour sauver une pauvre fille des marécages ou d’un boa vicieux. Une vague intrigue greffant un trésor et des personnages fourbes se greffent à l’ensemble.  Le voyeur qui sommeille en nous en oublierait presque la raison qui l’a poussé à regarder le film du stakhanoviste Joe d’Amato, au sommet de son talent à la fin des années 70-début 80. Ce dernier vise le divertissement pour adultes voluptueux et inoffensif. Il est aisé de se laisser bercer par ce récit ludique et  charmé par la photogénie des premiers plans, la beauté naturelle de Laura Gemser, l’aura imposante de Gabriele Tinti et la candeur d’une intrigue cousue de fil blanc, promesses de bien des surprises.

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Véritable globe trotteuse téméraire et peu avare de ses charmes, la journaliste-reporter Emanuelle accepte de partir en mission, accompagnée de l’anthropologue Mark Lester au fin fond de l’Amazonie afin d’enquêter sur des cas avérés de cannibalisme. La trajectoire linéaire du récit épouse la structure classique du film de cannibale alors peu en vogue à l’époque, tout en s’offrant régulièrement des digressions nous permettant non seulement de patienter avant le carnage nauséeux de la dernière partie. Mais  c’est dans cette dichotomie assez franche qui souffle le chaud et le froid, le sensuel et le crapoteux que Emanuelle en Amérique se distingue et trouve sa raison d’être .

L’apport de Joe d’Amato à la série des Emanuelle après un premier opus gentillet signé Bitto Abertini, se situe dans cette collision parfois brutale et choquante entre érotisme et horreur, entre l’exaltation d’une forme de beauté idéalement incarnée par la plastique affolante de Laura Gemser, piètre actrice au visage inexpressif  et la souillure des corps déchiquetés, mutilés, décharnés. L’intérêt du cinéma de d’Amato se situe à cette jonction entre deux genres populaires opposés mais complémentaires. D’Amato pousse jusque dans ses derniers retranchements Eros et Thanatos, le sexe et la mort filmés dans un cadre photogénique, agréablement mis en valeur par un cinéaste talentueux et roublard. Pourquoi roublard ? Si  vous n’avez jamais foulé le sol de l’Amazonie,  inutile d’être un expert en paysage et végétation pour s’apercevoir que le film ne fut nullement tourné en Amérique du sud mais bien dans la campagne italienne, baignant dans une belle lumière néanmoins. Les seuls passages exotiques se déroulent durant les  premières minutes à New York où Joe d’Amato capte l’atmosphère urbaine de la ville, par son aspect documentaire lié à l’absence d’autorisation effective. Ces plans volés apportent une authenticité absente par la suite, d’un film plus honnête  que le pseudo-vérisme de Cannibale Holocaust, jouant la carte plus toc que choc du faux reportage.

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Pendant  une heure l’intrigue progresse difficilement. Les enjeux dramaturgiques paraissent  futiles. Le spectateur assiste à d’innombrables séquences érotiques aussi  joliment filmés que totalement gratuites. La bourgeoise blanche se fait prendre en levrette par un noir aux muscles saillants. Les éternels ébats saphiques entre Emanuelle et une jeune blondinette, apportent cette touche de lesbianisme coutumier du genre. Rien de neuf sous les tropiques. La musique de Nico Fidenco,  entre rythme tribale et mélodie sucrée,  soutient l’ambiance exotique, souvent envoûtante mais  parfois gâchée par l’excès de bruitages censé nous immerger au cœur de la jungle.

Afin de rappeler le but du voyage d’Emanuelle, journaliste coquine usant de ses charmes pour arriver à ses fins, les scénaristes multiplient les dialogues  à visée  pédagogique dans lesquels sont expliqués les origines du cannibalisme, les divers courants, les bienfaits aussi pour la survie, référence au fameux fait divers survenu dans les Andes.

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L’insoutenable dernière demi-heure multiplie les horreurs graphiques: éviscérations, écartèlements, sexes arrachés et perforés. Les clichés racistes néo-coloniaux montrant les indiens s’adonner à des rituels d’une sauvagerie inouïe ne sont pas atténués avec le temps. Il est difficile de défendre cette vision fantasmée ethnocentrée du « sauvage » perçu par le regard occidental. Mais paradoxalement,  c’est bien dans ses moments déviants et guère défendables que Joe d’Amato donne la pleine mesure de son talent. La mise en scène s’emballe, le montage est frénétique et la caméra, agile, scrute l’horreur. Joe d’Amato prend plaisir à filmer l’innommable  et le communique;  un plaisir difficile à partager mais réel, palpable à l’écran. Les gros plans gores  sur un sein découpé ou un vagin transpercé par une lance ressemblent à s’y méprendre à des inserts pornographiques, assumant la fonction de choquer, bousculer le spectateur en lui offrant un  spectacle extrême. Libre à chacun de ne pas regarder ou se délecter  de ces images peu recommandables de ce  divertissement  pour adultes dont on ne louera jamais assez la beauté de Laura Gemser quitté à la répéter ad nauseam eternam.

Est-il utile de vanter les mérites de l’édition concoctée par Artus ? Oui évidemment, tant il parait inimaginable quelques années auparavant de se trouver avec un si bel objet pour un film aussi déviant même si le film était déjà sorti chez néo publishing dans une copie très acceptable. La qualité de l’image est incomparable pour cette restauration 2K, permettant d’admirer le talent de d’Amato en tant que chef opérateur. Le somptueux digibook est constitué d’un formidable livret écrit par David Didelot, Emanuelle au pays du sexe … et du sang  revenant sur la saga des Emanuelle. Bien écrit et documentée, cette plongée dans l’univers affriolant des aventures de la journaliste donne sacrément envie de voir les autres et ses dérivés. Très présent David Didelot intervient sur les bonus filmés pour une présentation succincte mais assez complète de Joe d’Amato.

Serait-ce le début d’une collection? La question reste ouverte!

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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