Premier long métrage officiel de Joe D’Amato, La mort a souri à l’assassin est aussi le seul qu’il signe de son vrai nom, Aristide Massaccesi, ce qui n’est pas anodin, tant l’ambition formelle et narrative explose à l’écran. Le temps d’un film, l’italien pourra sans doute réconcilier exégètes et détracteurs. Joe D’Amato était jusque-là reconnu comme un chef opérateur de talent, participant à de nombreux films populaires de Mais … qu’avez-vous fait à Solange à La gatta in calor en passant par Sartana … si ton bras gauche te gène, coupe-le. Sa compétence réelle l’amène officieusement à diriger quelques longs métrages dont Les vierges de la pleine lune ou Le Colt était son dieu tous les deux signés Luigi Batzella. Pour les néophytes, il est utile de rappeler que Joe D’Amato est essentiellement connu pour ses films bis mêlant sexe explicite et horreur craspec comme dans La nuit érotique des morts vivants ou Porno Holocaust avant de devenir un faiseur de films X traditionnels. Les amateurs de gore et de cinéma plus bizarre préfèreront sans doute Anthrophagous et surtout Blue Holocaust, relecture malsaine et réussie de Psychose d’Hitchcock.

La mort a souri à l'assassin (1973) | MUBI

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En 73, l’italien a de réelles ambitions plastiques et thématiques, se frayant un chemin du côté de ses maîtres, Riccardo Freda et Mario Bava. L’épouvante gothique n’est plus qu’un lointain souvenir, supplanté par le giallo et bientôt le polar urbain.  Les scénaristes imaginent un récit délirant et très habile où le giallo s’invite à l’intérieur d’une histoire de fantôme à l’ancienne. En 1909, quelque part en Europe, Greta von Holstein, qui entretient une liaison incestueuse avec Franz, son frère bossu, perd la mémoire à la suite d’un accident de calèche survenu devant la demeure des von Ravensbrück. Appelé au chevet de la malade, le Dr Sturges semble surtout s’intéresser à l’étrange médaillon inca qu’elle porte autour du cou et qui pourrait l’aider dans ses recherches sur la résurrection. Restée auprès de Walter et Eva von Ravensbrück qui se sont entichés d’elle, la belle Greta semble en proie à une ombre. La maisonnée est bientôt la cible d’une vague de crimes particulièrement violents… Et c’est parti, le croit-on du moins, pour un classique whodunit dans la veine de certains giallos gothiques. Ce n’est pas faux mais l’essentiel est ailleurs, notamment dans l’incroyable vitalité et l’invention d’une mise en scène, fluide et brillante, dont certains auront du mal à reconnaître le réalisateur de la série des Emanuelle (aussi agréable soit-elle). En 5 mn le décor est planté au cœur d’un univers envoutant, où Joe D’Amato accomplit des miracles en termes d’écriture cinématographique, déflagration de plans déments, entre plongées, contre -plongées, grands angles, ralentis et gros plans composant ainsi une symphonie baroque harmonieusement agencée par un montage brillant.

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Encore novice et ambitieux, le cinéaste ne capitalise pas sur ses acquis, ne fait pas de ses thèmes fétiches un fond de commerce crapoteux. Une sincérité touchante ce dégage de ce conte nécrophile aussi naïf que tordu dans lequel le réalisateur libère ses pulsions sans état d’âme mais sans jamais non plus chercher à choquer et provoquer. La combinaison entre érotisme et l’horreur dégage une poésie macabre évidente loin des futurs délires du cinéaste qui ne cessera de repousser les limites bon gout, devenant un des pionniers avant-gardistes du pornogore.  Les obsessions du cinéaste sont jetées à l’écran comme un peintre aspergerait sa toile de couleurs vives aux motifs déviants :  nécrophilie, saphisme, inceste, chairs lacérées sont magnifiés par la mise en scène élégante qui puise le meilleur de ses classiques tout en amenant une forme de modernité, par les expérimentations visuelles constantes.  L’intrigue, habilement menée, ne surprendra pas les habitués, qui auront certainement rapidement découvert l’identité de l’assassin, prétexte à dynamiser une sorte de rêve éveillé, un film fantastique onirique aux accents morbides et romantiques ; la mort et l’amour fusionnent dans un ballet hypnotique dont on se demande parfois si derrière la caméra il s’agit du même cinéaste que celui de Horrible. Quelques séquences gores ponctuent cette œuvre envoutante, ghost story décadente très bien construite qui se conclue par une pirouette finale perturbante du plus bel effet. La réussite du film tient également à la remarquable prestation des comédiens. Klaus Kinski incarne un docteur moins fou que prévu, ce qui permet au comédien de jouer sur une tonalité plus sobre. Et Ewa Aulin est parfaite en amnésique ingénue ambiguë. Tous les autres acteurs sont très bien dirigés par un metteur en scène visiblement attentif au moindre second rôle, fait assez rare pour être souligné dans la production bis italienne. Non dénué d’humour noir (la scène de meurtre qui se transforme en scène de lesbiennes) et de poésie déviante, La Mort souri à l’assassin bénéficie également de l’étonnante partition de Berto Pisani, entre dissonances jazzy et complaintes mélancoliques, et de la magnifique photographie concocté par le cinéaste en personne, au sommet de son talent, pour rappelons-le, son premier film officiel.

Death Smiles on a Murderer (1973)

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Comme à l’accoutumée chez Le Chat qui fume la copie est resplendissante, et il faut bien être de mauvaise foi ou extrêmement tatillon, pour ne pas le mentionner. Deux bonus intéressant complète l’édition : L’interview d’Ewa Aulin (Ewa a souri à l’assassin), est très agréable à regarder et écouter, tant l’intelligence et le charme de l’actrice, malgré les années, demeurent intactes. L’intervention de l’assistant réalisateur Gianlorenzo Battaglia (Le Talentueux Mr D’Amato) est une mine d’informations sur le plan technique, notamment en ce qui concerne les différents types de caméra utilisés pendant le tournage. Il insiste sur les qualités de metteur en scène d’un cinéaste trop souvent décrié.

 

 

 

 

 

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