À un peu moins d’une heure du début de la cérémonie au cours de laquelle seront dévoilés les lauréats de la 78e édition du Festival de Cannes, alors que les reluisantes voitures noires à vitres teintées, estampillées de grandes palmes dorées, stationnent déjà en file indienne sous le Palais des festivals, prêtes à aller chercher les smokings et robes fabuleuses que nous verrons défiler sur le tapis rouge et monter les célèbres marches, avec leurs prestigieux occupants bien sûr, essayons-nous en toute spontanéité à un parcours rapide, dans l’ordre, de ce que la compétition nous a proposé cette année et disons-le sans attendre, les deux œuvres qu’on a le plus aimées (justement parce qu’elles sont précisément ça, pas juste des films mais des œuvres) viennent d’un pays dont les habitants ont un nom qui rime avec « petites fesses, grande bagnole », et même d’une communauté autonome spécifique dudit pays.
Cette année, sans nous chavirer nous plus, n’a pas été un mauvais cru, mais sans ces deux-là (pour nous très loin au-dessus des autres), ç’eût été une autre histoire. Olé. Sans eux et le brillant Jafar Panahi.
Et comme il est très probable qu’on ne finira pas le parcours à temps pour tout couvrir avant l’annonce des vainqueurs, on complètera a posteriori – ou encore : attention, à partir de la ligne rouge, cet article aux vagues intentions d’article-pronostic va se muer en un article-commentaire sur les prix décernés.
Deux procureurs de Sergueï Loznitsa
Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev.
Kornev se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents corrompus de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur-général à Moscou.
À l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.
Bon, Loztnisa est incapable de faire un film qui ne soit pas splendide, édifiant, et magistral dans l’exploration qu’il fait du médium cinématographique, c’est un fait. Ce qu’il a souvent de remarquable, en sus, même quand il propose des documentaires d’observation ou des documentaires de montage d’archives, c’est qu’il arrive toujours à laisser poindre un humour narquois particulier, très reconnaissable. Dans le long-métrage de fiction Deux procureurs, c’est un peu moins le cas (peut-être aussi parce que le film reprend le ton du roman dont il est l’adaptation), mais on note tout de même que le procureur principal du titre (l’autre est presque anecdotique : d’ailleurs il n’a pas à lever le petit doigt, puisqu’il n’est là quepour faire barrage et entraver), jeune procureur manifestement encore un peu idéaliste quant à son rôle qui cherche à « enquêter » sur un témoignage de mauvais traitements dans les prisons soviétiques qui a échappé à la destruction instantanée par le feu (par le fait d’un acte de rébellion minuscule autant qu’immense), tend à s’endormir partout où on le fait attendre – la salle d’attente imposante et figée à l’atmosphère raréfiée, où qu’elle se trouve et quelle que soit la forme qu’elle prenne, étant le lieu principal de l’action.
C’est que le système est déjà si bien installé, rance même (on sent presque l’odeur de poussière et de naphtaline des bureaux officiels où l’on stagne tour à tour ici), qu’il n’a plus rien à faire pour se maintenir. Immuable, il jugule de fait sans difficulté la moindre ombre de contestation, ce qui est d’autant plus facile qu’elle ne peut survenir qu’en son sein, entre ses murs épais et gris, physiques et métaphoriques. C’est implacable, sans issue, et c’est donc en toute logique que le film adopte une forme aussi austère pour décrire ce système qui n’a même plus besoin d’huiler ses engrenages pour tourner et écraser tout ce qui dépasse. De fait, le procureur intègre autant que candide qu’incarne remarquablement Alexandre Kouznetsov peut bien faire un petit somme. La confiance qu’il fait à la procédure serait touchante si elle n’était pas aussi tragiquement erronée, mais en même, rien de ce qu’il pourrait faire ou ne pas faire n’y changera quoi que ce soit.
Sound of Falling de Mascha Schilinski
Quatre jeunes filles à quatre époques différentes. Alma, Erika, Angelika et Lenka passent leur adolescence dans la même ferme, au nord de l’Allemagne. Alors que la maison se transforme au fil du siècle, les échos du passé résonnent entre ses murs. Malgré les années qui les séparent, leurs vies semblent se répondre.
Interminable, lourdingue dans sa manière de filer ses thèmes (les rituels mortuaires, la noyade, le féminin à la campagne), sans être particulièrement disert ou poétique, le film fait l’effet d’une caricature prétentieuse de film d’auteur, et ce qu’il cherche à transmettre, pour être cryptique (enfin surtout parce qu’on comprend mal l’intérêt du sujet) et dans le même temps cousu de fil blanc. La volonté d’expérimentation photographique est trop ostentatoire et le motif du pénis ridicule qui point par-ci par-là, par exemple sous forme d’une glace à l’eau parfum fraise, laisse franchement pensif.
Sirât d’Oliver Laxe
Chef d’œuvre.
Dossier 137 de Dominik Moll
La Petite Dernière de Hafsia Herzi
Eddington d’Ari Aster
Renoir de Hayakawa Chie
Nouvelle Vague de Richard Linklater
Die My Love de Lynne Ramsay
O agente secreto de Kleber Mendonça Filho
The Phoenician Scheme de Wes Anderson
Les Aigles de la république de Tariq Saleh
Alpha de Julia Ducournau
Un simple accident de Jafar Panahi
Romeria de Carla Simon
Histoire d’une jeune fille qui prend sa caméra. Du journal intime écrit par la mère, de celui filmé par la fille. De deux parents avalés par une époque libre et folle comme s’il n’y avait pas de lendemain. Du silence bourgeois. De l’effacement et de la réécriture du passé qui gêne. D’un bout de tissu rouge qui habillera la mère et la fille. Histoire de mer, de jeunesse impétueuse. Tranquillement magistral, bouleversant. Aussi beau que les deux jeunes acteurs, qu’ils jouent deux personnages complices de leur génération ou deux amoureux de la génération précédente.
The History of Sound d’Oliver Hermanus
Valeur sentimentale de Joachim Trier
Woman and Child de Saeed Roustaee
Résurrection de Bi Gan
Jeunes mères de Jean-Pierre et Luc Dardenne
The Mastermind de Kelly Reichardt
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