Tranche de rire   

  

C’est une ouverture tonitruante que nous avons vécue avec ce 27ème Étrange Festival ! L’humoriste Fabrice Éboué ouvrait en effet le bal avec Barbaque, comédie irrévérencieuse sur fond de cannibalisme et de veganisme. Sa présentation pré-projection était on ne peut plus enlevée et claire : le énième degré sera de mise, l’humour sera caustique et le trait féroce.

Le tour de force de Fabrice Éboué, co-scénariste avec Vincent Solignac et réalisateur du film, est d’avoir trouvé le ton juste pour narrer cette histoire abracadabrante et se maintenir tout du long dans le registre de la comédie horrifique. Sophie et Vincent Pascal (vous apprécierez le clin d’œil en forme de nom de famille-prénom plutôt répandu chez les tueurs en série) sont les propriétaires d’une petite boucherie de province mais les affaires sont peu florissantes. Le jour où ils se retrouvent avec un cadavre sur les bras, celui d’un jeune homme vegan ayant participé à vandaliser leur commerce, leur destin prend un tout autre tournant. Fabrice Éboué surprend, parce que ce qui suit n’est pas vraiment l’apanage de la comédie française, à savoir un humour très noir, voire parfois noir à tendance parodiquement beauf, un zeste de gore et une touche de provoc’. Le film ne s’interdit pas grand-chose, pousse son concept jusqu’au bout, et même si sa trame générale se laisse plutôt aisément deviner, on se demande régulièrement si Éboué va franchir tel ou tel pas, si le film va se raviser passé un certain stade, mais non, c’est tête la première et sans filet.

Le sujet du film est diablement d’actualité et permet de renouveler le thème essoufflé du cannibalisme. Dans l’enjeu poursuivi, cette fin – sauver la boucherie et leur couple – justifiant les moyens se dessine un portrait économique et humain de notre époque on ne peut plus réaliste, tandis que la dimension vegan offre une satire de notre société, dans ce qu’elle révèle de la manière dont tout choix personnel ouvre la voie au prosélytisme, au jugement d’autrui, à l’intolérance, jusqu’à la perte de tout bon sens. Ainsi la scène de la rencontre entre notre couple de bouchers et le petit ami vegan de leur fille est savoureuse, et régulièrement les répliques feront mouche. Dans la manière dont nos deux héros mettent en œuvre le plus naturellement et naïvement du monde leur projet complètement scabreux et criminel, se loge une jubilation revigorante, un décalage particulièrement juteux, une férocité impolie qui trouvent en Marina Foïs et Fabrice Éboué lui-même des interprètes de choix pour ces personnages à la fois si impliqués et tellement à côté de la plaque. Certes Marina Foïs ne prend pas énormément de risques en appliquant ce calme inquiétant qu’on lui connaît bien, mais cela fonctionne particulièrement bien ici, en contrepoint de son mari gentil, un peu dépassé et complètement mené par le bout du nez par sa femme. Franchement, on ne s’attendait pas à se payer une telle tranche de rire, à être titillés ainsi, à défaut d’être choqués, par une comédie ayant pour sujet la viande et pour héros le porc d’Iran !

La séance était précédée du dernier court-métrage des belges Vincent Patar et Stéphane Aubier, intitulé Les Grandes Vacances, la nouvelle épopée de Cowboy, Indien, Cheval et leurs amis, issus de la série culte Panique au Village. Après leurs déboires à la foire agricole en 2019, voilà Cowboy et Indien  lancés dans la construction d’un bateau pour tromper l’ennui qui se profile en ce début d’été. Bien sûr, de catastrophe en rebondissement épique, les deux amis vont vivre mille aventures, toujours à 100 à l’heure, avec ces doublages qu’on adore signés des réalisateurs, Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde ou encore Jeanne Balibar, dans ce décor bariolé en carton-pâte et petits objets tout droit sortis de boîtes de jeu, avec cette animation image par image très saccadée caractéristique du duo et ces doublages inimitables. Et si l’histoire se rend d’un point A à un point B, ce sera en passant par de multiples détours, cocasses, absurdes ou inattendus, qui rendent l’ensemble trépidant, sautillant, surprenant. Les célèbres figurines de notre enfance retrouvent sous les doigts de ces talentueux animateurs une sacrée jeunesse !

 

 

Very weird trip

Entre nous… vous aussi, vous en rêviez la nuit, de cette rencontre Sono Sion / Nicolas Cage, non ? D’autant plus intensément que le projet tardait à parvenir jusqu’à nos mirettes avides. Le danger d’un film fantasmé est évidemment la déception, et celle-ci a pointé le bout de son nez lors de la projection. L’ensemble est en effet très bancal, ce bancal gênant, pas le côté foutraque qui nous a si souvent enchantés chez le réalisateur nippon. Pour autant, n’évacuons pas le contexte du tournage, à savoir que suite à la crise cardiaque de Sono Sion, qui compromettait le tournage prévu aux États-Unis, c’est Nicolas Cage lui-même qui suggéra que le tournage ait lieu au Japon. Sans rentrer dans de trop importantes considérations matérielles et logistiques, le geste est très beau, mais on peine à imaginer les conséquences pour les équipes techniques. Ainsi, ces décors outrageusement irréels, au toc entêtant, sont peut-être un contrecoup matériel lié à la production. Ce mix américano-japonais est vraiment très curieux, on a là une drôle d’ambiance de ville de western, comme une recréation de saloons geishas à Las Vegas. La vision de l’ensemble a peut-être été malmenée, d’où ces liaisons étranges entre les scènes et toute la porosité entre l’univers fantasmatique du film et la réalité de sa conception.

Il y a les films malades et il y a les films malades… de Sono Sion. Aller jusqu’à dire qu’il passe à côté de son sujet ou de sa mise en scène serait mentir. Dans la petite ville de Samourai Town, un prisonnier coupable d’avoir dévalisé une banque et causé la mort de plusieurs personnes se voit proposer un marché par le Gouverneur en personne : Hero a 5 jours pour retrouver Bernice (prometteuse Sofia Boutella), la petite-fille du Gouverneur, mystérieusement disparue. S’il réussit, il sera libre. S’il échoue, la combinaison piégée dans laquelle on l’a engoncé explosera. Prisoners… n’est pas un western, ni un film de mercenaire, ni un actioner, mais un mélange d’un peu tout cela, recouvert d’un voile de passivité qui donnerait naissance au genre du film d’action sans action, accompagné d’une dimension fantastico-mystique assez perchée qui donne naissance à une communauté très intrigante, obsédée par le temps et par les esprits de leurs défunts. Cette composante-là du film est d’ailleurs la plus intéressante, celle donnant lieu à des visions et des idées atypiques et marquantes, comme ces femmes emprisonnées dans des espèces de mannequins de magasin cassés, ou ces étranges cérémonies mêlant danse et incantations, inspirées du butō.

©XYZ Films

Pour le reste, le film souffre d’un manque de rythme flagrant, et la trame narrative tutoie d’un peu trop près l’abîme du tournage en rond. La non évolution narrative explore la notion de temps qui s’écoule, à l’image de cette horloge dont il faut absolument bloquer l’aiguille sous peine de voir un désastre survenir. Le patchwork esthétique, entre saillies pop et références plus traditionnelles, ne convainc pas totalement. Quant à Nicolas Cage, on l’a connu plus intense, qu’il s’agisse d’une intensité dans l’énergie ou dans les émotions rentrées, cela dit il délivre une performance en adéquation avec le film et il se fond sans anicroche dans l’univers du cinéaste, qui est un espace d’expérimentation, d’hybridité, et pour le coup Prisoners of the Ghostland nous immerge totalement dans ces aspects. Au final la gestation difficile du projet imprime sa marque, ce qui en fait un film obligatoirement frustrant, dont la beauté est à chercher dans sa fragilité.

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A propos de Audrey JEAMART

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