Présenté en compétition à l’Etrange Festival, Spree mérite ses cinq étoiles; la croisade obsessionnelle de son protagoniste, Kurt, pour sa popularité online.
Ce film de l’ukraino-américain, Eugene Kotlyarenko, est à a fois un pur concentré de cinéma indépendant dans ce qu’il a de plus libre et insolent -d’ailleurs, le film était présenté au Festival de Sundance en janvier- et du zeitgeist 2.0.
Comme si les tenants irrévérencieux du genre s’embarquaient pour une ballade sanglante et déjantée, une « spree »( folie, fête en V.O) avec des miIIenials.

Par son traitement satirique et son sens de la mise en scène, Eugene Kotlyarenko nous renvoie aux excentricités létales de Dawn Davenport dans Female trouble, le chef d’œuvre du Maitre du mauvais genre, John Waters:        « Who wants to be famous ? Who wants to die fort art ? »* scandait Divine/Dawn en se trémoussant sur un trampoline. Un malheureux spectateur levait le doigt et se faisait buter illico. Ici, « évolution » des mœurs, Kurt, est prêt à tuer père et mère pour des likes. Waters et Solondz auraient-ils pu soupçonner l’ampleur incontrôlable de la quête de la popularité et de l’hyper visibilité?

Kurt Kunkle est un jeune chauffeur VTC, tête à claque et wanna be influenceur, qui tente de percer depuis 10 ans et ne dépasse pas la barre des dizaines de followers, Une décennie de galères et de méga-flops. Lorsque soudain : « épiphanie » comme il le clame : li va donner au monde -virtuel, voire réel? – sa Leçon… Va-t-il déjouer les propos plein de morgue de son jeune concurrent, Bobby : « Certains sont nés pour influencer » ?
Dans la vidéo de présentation qui précède le film, le cinéaste incite malicieusement les spectateurs à aimer, suivre, partager et twitter le film, façon Kurt.
Beaucoup plus profond et métaphysique que son abord potache trash pourrait laisser paraître, Spree peut être résumé par l’adage de Kurt: « Si vous ne vous filmez pas, vous n’existez pas ».
Ainsi, l’aspirant aux 10K de « vues » va côtoyer un rival qui s’‘illustre sur les réseaux sociaux en filmant des vols de téléphones portables, une starlette du net coréenne qui veut poser devant le plus important « taco truck » de L.A, une vedette du stand up qui, comme Kurt, filme tout en live, mais avec succès,, etc…
Mêlant astucieusement dans la narration et à l’écran, cette débauche d’écrans : Twitter, Insta,Tictoc … tous live, Spree fait le pont entre le « vieux « cinéma indie US et les GAFAN, en se servant de ses codes. Il est un des premiers films à jouer aussi habilement avec les réseaux et commentaires en direct,
L’air de rien, Spree est la comédie roublarde et dark que beaucoup auraient souhaité diriger et que, seul, un talentueux cinéaste a accompli : convoquer tous les démons du numérique et s’amuser à les secouer dans le shaker mental tordu de Kurt.
Cette comédie noire et corsée se rapproche le plus de ce qui pourrait être une soirée arrosée en compagnie de John Waters, Todd Solondz, Britney Spears, Jackass, Brett Easton Ellis, Paris Hilton et des youtubeurs, appréhendés façon Gonzo.
On en sort sans gueule de bois, agréablement éméchés et sonnés aussi.
Car cette parodie acerbe ressemble à s’y méprendre notre réalité, malgré ou à cause de toutes ces embardées dans le virtuel.

A l’aune de la folie numérique et des orgasmes aux likes, c’est à la fois réjouissant et navrant. Une petite mort, dans les deux sens du terme.

 

Tezuka’s Barbara de Macoto Tezuka n’est pas en compétition, mais présenté au sein de la section Mondovision -ce qui paraît logique pour une muse qui supplante toute ses rivales.
Macoto Tezuka est le fils du célèbre auteur de mangas, Osamu Tezuka- Astro Boy, Black Jack, notamment. Dur d’exister avec un tel

héritage. Tezuka junior a d’abord fait partie d’une nouvelle vague de cinéastes nippons fin 70, puis d’une frange carrément underground, mais où le fiston de la star du manga, n’était pas pris au sérieux. Arrive une commande pour les 90 ans de son père. Tezuka, devenu Tezka choisit d’adapter un manga fantastique d’Osamu T : Tezuka’s Barbara.

Mikura est un écrivain à succès qui croise la route d’une SDF, glamour et alcoolo, Barbara, qui va devenir sa muse toxique. Le film démarre sur une exergue de Nietzsche « Il y a toujours un peu de folie dans l’amour mais il y a toujours un peu de raison dans la folie. »
Mikura va tomber fou amoureux de cette belle inconnue à la rue, mais qui récite des vers de Verlaine. Le voici décontenancé, intrigué. Nous aussi.
Le film illustre dans une ambiance feutrée et sophistiqué, nappée de jazz et de fumée, le rêve pénétrant du pète français : « je fais parfois ce rêve étrange et pénétrant d’une femme que j’aime et qui m’aime »
Si l’ont peut regretter une réelle baisse de régime aux deux-tiers du film et qu’au fond, le sujet principal, l’inspiration est évacué, nonobstant Tezuka’s Barbara nous happe par son esthétique chiadée et son atmosphère. Plus que l’inspiration d’un écrivain -dont on comprend qu’il est plutôt du côté de Marc Levy que d’Edgard Allan Poe !- le film porte sur le fantasme. A ce titre, les scènes de séduction qui virent au cauchemar et à la décomposition dès lors que Barbara interfère sont très réussies. Tezuka fait mouche quand il est du côté du mythe : la terrible mère de Barbara, Mnemosyne, attifée comme une boule disco mortifère, le pacte faustien… La photographie sublime est signée par le grand Christopher Doyle (qui oeuvra beaucoup pour Wong Kar Wai). On peut reprocher au film de manquer de profondeur et de passer à côté du propos : un écrivain en panne d’idées, mais pas sa dimension onirique et éthérée qui nous emporte dans un monde fascinant, dont celle qui en tient les rênes n’est pas une muse, mais une femme fatale. Réduire la muse à ce statut est à la fois, la force et la faiblesse de ce beau film, prenant, mais un peu creux. Un rêve étrange et pénétrant, au demeurant.

 

 

Découvert en 2005 avec une comédie romantique, Joko Anwar fait partie de la nouvelle génération de réalisateurs en Extrême-Orient, marqué par la production de son pays et le cinéma populaire indonésien. En 2017 il réalise un hommage à la cinématographie locale et film d’horreur, Satan’s Slaves et passe à la postérité en décrochant le  plus grand succès de tous les temps au box-office indonésien. Cela l’a sans doute incité à récidiver dans l’épouvante avec Impetigore.

La première chose qui frappe dans Impetigore est le talent du cinéaste pour instiller une ambiance inquiétante en sculptant la lumière, en jouant sur des teintes orangées, la brume de la forêt et des jeux d’ombre. Son film évoque justement la part d’ombre de l’héroïne, Maya, puis cette darkside va s’avérer contagieuse…Maya est harcelée par un inconnu qui connait son village natal. Elle décide s’y rendre avecs on amie Dini. Elles se retrouvent dans une contrée hostile où règne un marionnettiste. Bientôt, Dini disparait…La très convaincante Tara Basro porte le film sur ses ravissantes épaules. On retourne sur les traces de son passé trouble et découvre en empathie totale avec elle ces lieux chargés. Le travail d’orfèvre de Joko Anwar sur la matière porte aussi sur la bande-son inquiétante du film qui vire parfois musique industrielle. Plus que de l’épouvante gore- comme son titre pourrait le laisser croire, c’est un conte gothique qui sonde les malédictions, superstitions et zones d’ombres des histoires personnelles. Tendu tout le long, le film fait la part belle au personnage de Maya et ravive l’art ancestral du wayang (les marionnettes), véritables métaphores de cette darkside. En dire plus serait spoiler un film qui marche essentiellement par son suspense, sa qualité plastique, sa forte atmosphère. Une aventure totalement cinématographique, à la fois classique au meilleur sens du terme et  moderne car  elle inaugure un nouveau cinéma indonésien, très excitant.

                                                       

*qui veut devenir célèbre? Qui veut mourir au nom de l’art?

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A propos de Xanaé BOVE

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